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Les syndicats ne se font plus de cadeaux

Les syndicats du temps de l'unité, lors de la mobilisation contre la réforme des retraites en septembre 2010. Jean-Christophe MARMARA/Le Figaro

Radicalisation, transformation, alliances… les nouvelles règles de représentativité obligent chaque centrale à revoir sa stratégie et à adapter son discours pour exister encore dans deux ans.


La Fête du travail, dimanche, ne sera pas «unitaire», contrairement au 1er mai 2010 où les huit grands syndicats avaient défilé ensemble au nom de «la défense de l'emploi, du pouvoir d'achat, des services publics et de la retraite à 60 ans» . FO et la CFTC feront bande à part. La CFE-CGC a renoué avec sa tradition de… ne pas manifester le 1er mai. Reste l'intersyndicale réduite à cinq membres: CGT, CFDT, FSU, Solidaires et Unsa, qui défileront en «soutien aux peuples des pays arabes qui se soulèvent pour la dignité et la liberté» , par opposition aux «politiques d'austérité imposées par les États membres de l'Union», et contre «un contexte de crise économique et sociale qui creuse les inégalités et mine la cohésion sociale» . Malgré cette unité de façade, chaque centrale joue désormais sa propre carte. Car elle sait que, dans moins de deux ans, la partie sera finie pour certains joueurs. Le 1er janvier 2013, tous les résultats des élections d'entreprise des quatre années précédentes seront additionnés au niveau national. En vertu de la loi du 20 août 2008 sur la représentativité syndicale, seules seront habilitées à signer des accords nationaux les confédérations ayant dépassé la barre des 8% des voix aux élections d'entreprise alors que, depuis 1966, la CFDT, la CFE-CGC, la CFTC, la CGT et FO disposaient de ce droit indépendamment de leur poids réel auprès des salariés. Une révolution qui oblige chaque centrale à redéfinir sa stratégie.

• CGT : retour à la contestation pure et dure

Fini le pas de deux avec la CFDT. Au sortir du conflit sur les retraites, la centrale de Bernard Thibault a durci le ton. La CGT s'affiche désormais clairement contre le patronat - elle a refusé de signer les trois derniers accords paraphés par les autres syndicats, sur l'assurance-chômage, les retraites complémentaires et l'accompagnement des jeunes chômeurs - et contre le gouvernement dont tous les projets sont assimilés à de la «casse sociale». Tout juste a-t-elle approuvé le texte réduisant la précarité dans la fonction publique. «C'est bien la preuve que nous ne sommes pas dans une posture politique», veut faire croire Bernard Thibault qui se dit «en phase» avec la majorité des salariés. Affaiblie toutefois par des revers électoraux dans ses bastions historiques (EDF, SNCF, La Poste, RATP…), la CGT s'attache désormais à se rapprocher de sa base pour ne pas apparaître en décalage avec les salariés. Dans le public, elle travaille de plus en plus avec la contestataire FSU (représentative uniquement dans la fonction publique). Et dans le privé, elle compte faire des conditions de travail une thématique de syndicalisation. «On doit refaire de la souffrance au travail un thème de revendication quotidienne et se convaincre qu'on peut intervenir à nouveau sur l'organisation du travail», plaide Bernard Thibault.

• CFDT : entre coups de gueule et coups de pouce

La centrale dirigée par François Chérèque a surtout cherché dans la période récente à faire oublier son soutien à la réforme des retraites de 2003 - qui avait entraîné le départ de plusieurs dizaines de milliers de militants - et a donc durci le ton contre le gouvernement. Mais le syndicat réformiste n'en reste pas moins constructif. Aussi est-il toujours le premier à signer des accords avec le patronat et à faire des contre-propositions, parfois intégrées, aux projets gouvernementaux. Il semble également avoir fait le deuil de son idylle retrouvée avec la CGT. «Il est plus facile de se mettre d'accord pour s'opposer que pour construire», ironise un dirigeant. À défaut, la CFDT s'est rapprochée de l'Unsa avec laquelle elle tente de constituer un «pôle réformiste». Mais pas question de fusion imposée par les instances nationales. C'est dans les entreprises que les rapprochements doivent avoir lieu. Tout comme la CGT, dans un contexte où le taux de syndicalisation reste très bas en France (7,7%), la CFDT semble redécouvrir que c'est d'abord et avant tout en s'adressant… aux salariés qu'elle peut asseoir son développement. La centrale réformiste va former plusieurs centaines de militants pour «construire des objectifs concrets de changement». Elle va aussi lancer une trentaine d'expérimentations dans des entreprises «pour une meilleure qualité de vie au travail». Elle compte enfin proposer un baromètre pour mesurer les évolutions du travail.

• FO : bande à part

Pour Jean-Claude Mailly, il y a un avant et un après-loi sur la représentativité. Il n'a jamais voulu de ce texte, inspiré par la CFDT et la CGT. Après son adoption, FO a fait cavalier seul pendant presque trois ans, sortant de l'intersyndicale et disant non à tous les accords qui lui étaient soumis. Ces dernières semaines, le syndicat semble changer de tactique. Plutôt que de se distinguer à tout prix, il profite du raidissement de la CGT pour se positionner en possible deuxième syndicat signataire des textes qui lui sont soumis. Or il est plus facile, pour la CFDT comme pour la partie «adverse» (gouvernement ou patronat), de s'engager quand plusieurs centrales sont prêtes à soutenir le compromis. Ce rôle pivot permet à FO d'arracher des concessions. Il l'oblige aussi à faire le grand écart. Lors de son congrès de février, FO a ainsi plaidé pour le maintien de la retraite à 60 ans. Un mois et demi plus tard, elle était la première centrale à annoncer sa signature de l'accord sur les retraites complémentaires, qui valide le recul de l'âge de départ. «Il faut croire que FO a besoin de donner des gages pour assurer son avenir», avait alors taclé Bernard Thibault dans Les Échos.

• CFTC : s'unir ou mourrir

La centrale chrétienne, ce sont les autres syndicats qui en parlent le mieux. «Condamnée», «inexistante», «la CFT quoi?»… les qualificatifs lapidaires fusent sur le syndicat présidé par Jacques Voisin. Même s'il lui reste quelques bastions, il est «sorti» dans un nombre croissant d'entreprises. Faute d'accepter des alliances qui atténueraient la faiblesse de son propre poids électoral. La CFTC croit en effet dur comme fer que ses valeurs chrétiennes suffiront à lui faire conserver son ticket de centrale représentative. «Les autres syndicats attendent qu'elle meure pour se partager les miettes», considère un expert ès syndicalisme. Cerise sur le gâteau, le syndicat vit actuellement une guerre de succession. Jean-Louis Deroussen, l'actuel vice-président, est le «candidat désigné» par l'équipe sortante pour succéder à Jacques Voisin en octobre. Mais Philippe Louis, le secrétaire général, s'est également porté candidat. «On n'avait vraiment pas besoin de cela», soupire un dirigeant de la centrale.

• CFE-CGC : les cadres sinon rien

Après des mois de bataille interne pour savoir si elle devait se muer en centrale généraliste ou revenir à un syndicalisme catégoriel (centré sur les cadres), la CFE-CGC a tranché pour la deuxième option. Faute de partenaires avec qui s'allier. La centrale de l'encadrement a opté pour un retour sur ses fondamentaux et entend développer un syndicalisme de services pour ses adhérents. Quasiment inaudible dans les débats nationaux, la CFE-CGC se concentre depuis quelques mois sur le «Retraithon», opération de communication qui vise à faire valoir son opposition à la réforme des retraites. Elle a, en outre, refusé de signer l'accord sur les retraites complémentaires, qu'elle qualifie de «véritable hold-up» et qu'elle a prévu d'attaquer en justice.

• Unsa : des flirts mais pas de mariage

Si le syndicat autonome a un nouveau secrétaire général - Luc Bérille a succédé le 17 mars à Alain Olive -, la ligne reste la même: dépasser 10% des voix à l'échelle nationale en 2013 et décrocher sa représentativité au niveau interprofessionnel, pour participer aux grandes négociations. Notamment grâce à des partenariats passés avec d'autres centrales. «J'ai appris de l'échec en 2009 de la fusion avec la CFE-CGC, explique Luc Bérille. Les rapprochements se feront dans les entreprises, sur la base d'un corpus de valeurs et de projets communs.» Quitte à accepter des alliances parfois contre nature avec FO ou la CGT. L'Unsa s'est rapprochée au niveau national de la CFDT, avec laquelle elle fait front commun au sein de l'intersyndicale. Elle compte capitaliser sur la visibilité que lui a procurée le conflit sur les retraites pour recruter de nouveaux adhérents en mettant en avant les services qu'elle propose. Comme une protection sociale pour les salariés qui n'ont pas de contrat collectif dans les petites entreprises.

• Solidaires : radical comme jamais

Peu de changement dans la myriade de syndicats SUD. L'heure est toujours à la radicalisation et à «l'extension de toutes les luttes» même si le mouvement contestataire a dû mettre de l'eau dans son vin et refréner ses revendications pour rester au sein de l'intersyndicale. Elle a en outre peu profité du conflit sur les retraites puisque ses récents résultats électoraux, notamment à la SNCF, la donne en léger recul. Certains considèrent que Solidaires a atteint son potentiel maximal dans les entreprises.

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