Un billard sur mesure habillé de chêne, comme les murs du restaurant chic où il trône, des tables en pierre et marbre terrazzo à tous les étages, des guéridons tulipes d’Eero Saarinen et des téléphones rouges à cadran : nous sommes dans The Bureau, le nouveau lieu de coworking grand luxe qui a ouvert au bas des Champs-Elysées, à Paris, avec vue sur la Seine et la tour Eiffel. « La décoration est inspirée de Mad Men, la série télévisée américaine qui dépeint la vie de bureau dans les années 1960, mais avec, en plus, une French touch : c’est l’univers qui nous faisait rêver », se félicite Rasmus Michau, qui a fondé avec Laurent Geneslay ce nouvel espace.
Une armada de fées se sont penchées sur le projet : de l’architecte d’intérieur Marika Dru à Constance Gennari, fondatrice en 2013 du blog déco « The Socialite Family », en passant par la paysagiste Julia Chaigneau et le directeur artistique Emmanuel Bossuet. Résultat : quatre étages avec bureaux moquettés plus ou moins spacieux, organisés autour d’espaces de convivialité où faire une pause et ce, avec un impact minimal sur l’environnement (eau filtrée au robinet et éclairages avec détecteur de présence). Et pour tous, selon ses moyens, du clé en main : concierge privé, menus concoctés par le chef Luca Laffi (ex-Thoumieux, La Corte…), pressing pour des chemises impeccables, salle de sport avec cours de yoga et autres joyeusetés.
Au-delà du décor
« Ce qui prévaut ? L’idée d’appartenir à un club privilégié, un peu comme les gentlemen anglais du siècle dernier », souligne Rasmus Michau. Dégustation de vins, conférence ou concert privé : un compte Twitter interne rappelle à chaque membre les réjouissances du soir. « La décoration est faite avec goût, les matériaux sont de qualité et le raffinement est poussé jusque dans les détails : les gens qui travaillent avec nous sont heureux de venir chaque jour ici », estime Jérôme Tourbier, qui y a établi le bureau parisien de son entreprise bordelaise, les célèbres Sources de Caudalie.
Beaucoup plus décontracté, Kwerk, rue de la Bienfaisance, dans le 8e arrondissement de Paris, a fait du design un élément de bien-être au travail. « Nous avons étudié la lumière du jour, la circulation des gens, les espaces de rencontre… afin de créer un art de travailler qui va bien au-delà du décor, jusqu’à un état d’esprit, que nous cultivons avec notre salle de yoga et d’arts martiaux ou des conférences sur la méditation », souligne Albert Angel, cofondateur avec Lawrence Knights de l’entreprise de coworking.
Velours, cuir, tissu, liège… le lieu est conçu pour être intime, chaleureux, avec cette table au plateau qui tourne, dans le lobby, pour échanger des notes sans quitter sa chaise ou bien – campés dans d’énormes vitrines – ces monstres géants de papier mâché, les Ogoh-Ogoh venus de Bali, censés conjurer le mauvais sort.
Les cofondateurs, qui ont dessiné eux-mêmes les canapés d’extérieur pour la terrasse ou les paravents-cloisons en liège, les proposent à la vente à leurs résidents. Dans les deux nouveaux Kwerk, qu’ils inaugureront ce printemps dans d’autres styles et d’autres arrondissements parisiens, ils envisagent de tester des coussins de gel polymère pour travailler debout, « comme en lévitation ».
Ces lieux de coworking sont les fers de lance d’un nouveau mantra : « Travailler bien, travailler design ». Sous leur impulsion, certaines entreprises se sont équipées de mobilier décontracté et chic (sofas colorés, poufs moelleux, etc.) pour « montrer à quel point elles sont uniques et développer la fierté d’appartenance de leurs salariés », souligne Anna Montano, de Colliers International France, société de conseil en immobilier d’entreprise.
Mais l’enjeu va bien au-delà de la simple décoration. En 2013, un projet de recherche porté par la Cité du design de Saint-Etienne soulignait le décalage de plus en plus visible – et gênant – entre les manières de travailler et les espaces et les meubles existants. Ces derniers n’ayant guère évolué depuis la révolution industrielle, pour laquelle ils ont été conçus.
Dans la majorité des cas, « le travailleur doit contraindre son corps et son cerveau pour qu’ils s’adaptent à un dispositif systématisé et obsolète », souligne Marie-Haude Caraës, politologue et directrice scientifique de cette étude. Les entreprises continuent de louer « des espaces vides qui sont habillés, meublés, éclairés au kilomètre, avec pour seul critère la rentabilité ramenée au poste de travail individuel ».
Partir des besoins des salariés
De 2013 à 2016, des designers du studio T&P Work Unit ont entrepris de partir des besoins des salariés pour repenser un espace de travail de 20 000 m², soit le nouveau siège social du roi de la publicité BETC, inauguré cet automne, dans les anciens magasins généraux de Pantin (Seine-Saint-Denis). Longues tables pour étaler ses dossiers, gradins pour travailler son portable sur les genoux, petites salles de réunion équipées high-tech – de la lumière façon bougie jusqu’aux grandes illuminations –, « huttes » de concentration pour s’isoler, terrasses et même cantine ouverte en dehors des repas : chacun peut s’installer n’importe où, au gré de ses envies, des moments de la journée et des tâches à accomplir.
Sans plus de bureau fixe, mais avec des casiers. « Il y a une ergonomie du corps à respecter : on sait que l’être humain doit bouger pour être bien, physiquement mais aussi mentalement, d’où ces espaces différents qui permettent de changer de posture et de se ressourcer », explique Catherine Geel, historienne du design, qui a participé en tant que directrice artistique à la conception de ce lieu, pensé comme un paysage dont on ne se lasse pas.
Un aperçu de cette réalisation sera exposé sous le titre Le Bureau générique ou le temps des cols blancs créatifs, pendant la Biennale du design de Saint-Etienne, qui s’interrogera précisément, du 9 mars au 9 avril 2017, sur les mutations du travail ou « Working Promesse ».
Introduction au concept de « bureau générique » pour « cols blancs créatifs »
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