Design fiction : plongée dans le monde du travail de l’après-présidentielle
Un collectif de designers s’est donné pour mission d’explorer le futur du travail en se fondant sur les programmes des cinq principaux candidats à l’élection présidentielle. Le résultat : la mise en ligne d’un site dense, présentant plusieurs scénarios d’anticipation aussi décalés qu’informés. Rafraîchissant.
Pour pouvoir penser le monde de demain, le recours à la fiction s’avère parfois nécessaire. C’est le pari d’un collectif de quatre designers, dont les membres de Design Friction, incarné dans un site baptisé politique-fiction. L’objectif affiché : explorer les possibles futurs du quotidien des Français au travail. L’équipe a donc imaginé deux scénarios, l’un idéal, l’autre critique, pour chacun des cinq « grands » candidats. Tous designers ou graphistes, les membres du collectif ont mis à profit leurs compétences et appliqué les recettes du design fiction, une approche qui utilise les techniques et la méthodologie des designers pour explorer le futur. « L’idée de base, nous l’avons porté dans une démarche collaborative, comme tous les projets de Design Friction, confie Estelle Hary, membre du collectif. On a choisi de faire un workshop de deux jours pendant un week-end. Une quinzaine de personne se sont réunies au Tank, à Paris, pour réfléchir avec nous au sujet. »
Format hybride pour imagination débordante
De cet atelier sont nés plusieurs scénarios, mis en scène sur le site par le biais d’articles, parfois agrémentés de créations visuelles réalisées par les designers impliqués dans le projet. Pourquoi avoir choisi ce format spécifique ? « L’article de presse est un format pratique, accessible et assez répandu, explique Estelle Harry. Il peut être diffusé sur le Web facilement. Si on fait quelque chose qui se retrouve au final dans une galerie ou un musée, on touche un public assez élitiste. Là, on voulait allez au-delà, avec un format hybride. »
Un format hybride qui fait la part belle à l’imagination des graphistes et des designers, qui utilisent leur compétence pour créer les sites, objets, documents ou publicités qui pourraient bien envahir le quotidien des Français dans les années à venir.
Dans le scénario critique d’une victoire du candidat socialiste Benoît Hamon, par exemple, des hommes et des femmes cumulent son revenu universel d’existence avec de petits boulots au noir, qu’ils peuvent trouver par l’intermédiaire de sites accessibles sur le dark Web comme « Berre noir ».
« Les images sont des points d’entrée, explique Max Mollon, graphiste et membre du studio what if. Ce qu’on apporte en tant que designers, c’est qu’on réfléchit différemment à la prospective. On démarre par ce qui pourrait être anecdotique, par exemple un objet, avant de proposer une analyse plus systémique. On se focalise sur les usages du quotidien et leur écosystème. »
Une prospective du quotidien
Une prospective du quotidien qui s’illustre à merveille dans le scénario négatif d’une France gouvernée par Jean-Luc Mélenchon. La mise en place de ses « bureaux du temps », imaginés pour harmoniser et synchroniser les différents temps sociaux, a donné l’idée à des entrepreneurs de 2022 d’aider les salariés à mieux gérer leur temps libre à l’aide d’applications mobiles.
« D’un point de vue design fiction, la thématique du travail est très intéressante à explorer », précise Estelle Hary. Pour s’en convaincre, on peut se plonger dans la France de 2020 gouvernée par Marine Le Pen. Son ministre de l’Intérieur, Gilbert Collard, a réussi à faire voter une loi sur la présomption de légitime défense dans les cas d’usage des armes par les forces de l’ordre. Résultat : les affaires de violences policières se multiplient, et des avocats se spécialisent sur ces dossiers, certains proposant même des applications permettant d’informer les policiers sur l’état du casier judiciaire de tel ou tel individu avant une intervention.
Avec la plateforme de Design Friction, on sort de la prospective classique qui, si elle permet de se projetter dans le futur, peut parfois prendre la forme d’un rapport aride ou de scénarios trop prévisibles. « Le design fiction permet de présenter les choses sous un autre angle, de façon un peu décalée par rapport à ce qui se fait habituellement, expose Estelle Hary. Cela rend les choses plus tangibles, et ça peut permettre aux individus qui ne s’intéressent pas à la politique de comprendre un peu mieux certains enjeux. »
Rendre la complexité accessible
À l’heure des fake news et de la post-vérité, le design fiction se propose donc, comme le résume Max Mollon, de « rendre la complexité accessible. En s’attachant aux usages et aux comportements, on part de ce qui se passe dans le quotidien des individus, ce qui permet de vulgariser. » Un exemple ? L’algorithme d’évaluation salariale mis en place par Pôle Emploi, développé ici par le gouvernement d’une potentielle présidence Macron.
À quelques heures du premier tour de l’élection présidentielle, cette plongée dans le futur, sur une période allant de 2019 à 2029, permet d’aborder de manière concrète, et souvent très amusante, ce que les candidats développent dans leur programme. De quoi aider, pourquoi pas, les fameux indécis à se faire une opinion à seulement quelques heures du scrutin…
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