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Dylan, fabrique d'une icône

Une exposition à la Cité de la musique de Paris retrace la mue du chanteur, du folk au rock.

Par Bruno Lesprit

Publié le 12 mars 2012 à 19h16, modifié le 02 avril 2012 à 14h50

Temps de Lecture 4 min.

Des pochettes d'albums dans le cadre de l'exposition

Après Lennon, Miles Davis ou Brassens, la Cité de la musique à Paris "expose" enfin un vivant, Bob Dylan. Programmée du 6 mars au 15 juillet, conçue par le Grammy Museum de Los Angeles, l'entreprise s'attache aux cinq premières années de la carrière discographique du barde américain, sur le modèle du documentaire de Martin Scorsese, No Direction Home (2005).

La musique ne se "montrant" pas, la partie la plus intéressante devrait encore une fois reposer sur la photographie, vedette in fine de ces expositions consacrées à un musicien. Les images de Dylan, dans les années 1960, ont acquis le statut d'icônes grâce aux pochettes d'albums vinyle. Entre 1961 et 1966, il en enregistre sept et se livre à l'objectif de cinq photographes différents. L'évolution de ses représentations traduit avec une surprenante fidélité son propre cheminement artistique, d'un folk singer indigné et austère à un poète électrique.

Les trois premiers photographes travaillent tous pour la maison de disques Columbia, qui signe Dylan en octobre 1961. Le débutant que fixe Don Hunstein apparaît comme un clone de la figure tutélaire du folk, Woody Guthrie, casquette de travailleur comprise. La deuxième pochette est plus personnelle : on voit le jeune homme arpenter une rue de New York enneigée du quartier du Village, bras dessus bras dessous avec sa copine Suze Rotolo. Une idée de la bohème : ils ont froid, se pressent pour se réchauffer, mais ils s'aiment et l'avenir s'annonce radieux. Dans ses mémoires, Le Temps des possibles. Greenwich Village, les années 1960 (Naïve, 2009), Rotolo compare cette scène à "un marqueur culturel qui a compté pour sa spontanéité banale, sans prétention, et sa sensibilité".

Avec The Times They Are A-Changin' (début 1964), Dylan est reconnu comme la voix de la contestation sur les campus. Le portrait esthétisant en noir et blanc de Barry Feinstein le présente en nouveau Tom Joad, héros des Raisins de la colère, et rappelle les images de Dorothea Lange prises pendant la Grande Dépression des années 1930. Cette période est une référence récurrente pour la scène folk, à laquelle Dylan fait ses adieux en douceur en 1964 sur Another Side of Bob Dylan, avant d'opter pour la brutalité avec Bringing It All Back Home, au printemps 1965.

L'une des salles de l'exposition

Le son est bipolaire, électrique sur une face, acoustique sur l'autre. La politique s'efface derrière la littérature. Et, pour la première fois, le chanteur est "mis en scène" en devanture. "Je ne m'intéressais pas vraiment au folk mais je l'avais vu chanter à la télé "The Lonesome Death of Hattie Carroll" et j'avais été très impressionné par son courage et ses paroles, raconte le photographe Daniel Kramer. J'ai appelé Columbia pour me présenter. Refus. Il m'a fallu plus de six mois pour l'approcher. Bob avait aimé le portrait que j'avais envoyé. Il a insisté pour que je le rejoigne à Philadelphie pour sa tournée. Je l'ai photographié pendant un an."

Ce privilège permet à Kramer de réaliser sa première pochette. Pendant l'enregistrement de Bringing It All Back Home, il entend "une musique que personne n'avait entendue auparavant : à la fin de l'année, Bob allait se produire dans des stades de 20 000 spectateurs. Il fallait montrer le nouveau Dylan, le placer au centre, en prince de la musique, et que tout semble bouger autour de lui, dans une circulation sanguine."

On repère en arrière-plan "la femme en rouge", Sally Grossman, épouse du manager du chanteur. Cette présence a prêté aux interprétations les plus farfelues. "J'ai même lu que ce serait Bob travesti !", s'amuse Kramer. Dylan caresse un chat à la manière du chef du Spectre, dans James Bond. Sur la gauche, on distingue une signalétique d'abri antiatomique et, en retrait, une couverture de Time avec le président Johnson. Devant la cheminée, l'actualité de la guerre froide est mêlée aux propres obsessions du musicien : un livre de poésie beat, des disques du bluesman Robert Johnson ou de Lotte Lenya. "Bob, qui a un bon oeil, était un excellent client, témoigne Kramer. Il aimait photographier, pigeait tout de suite et s'impliquait dans les choix." Comme celui de placer son précédent album, Another Side of Bob Dylan, dans ce bric-à-brac organisé. Avec Highway 61 Revisited (1965), la métamorphose en rock star est accomplie. La pose, Ray-Ban à la main, oscille entre défi et arrogance. "Il tenait absolument à être pris avec son tee-shirt Triumph", se souvient Kramer, qui a placé au second plan Bob Neuwirth, copain de Dylan, retenant la dragonne d'un Nikon : "Je me suis aperçu qu'il y avait un espace vide sur la gauche qui déséquilibrait et affaiblissait la photo. Nous y avons passé la plus grande partie de la journée. Pour ces pochettes, on faisait du reportage, il ne s'agissait pas seulement de vendre des disques. Et puis, je n'ai rien contre le digital mais ce format de douze pouces par deux, c'était quand même autre chose !"

L'auteur du visuel de Blonde on Blonde (1966), premier double de l'histoire du rock, est réputé dans le monde de la mode. Il s'agit de Jerry Schatzberg, futur Palme d'or à Cannes pour L'Epouvantail (1973). "J'étais ami de Sara Lownds quand elle avait débuté dans le mannequinat, avant qu'elle ne devienne Mme Dylan, raconte-t-il. Elle fut la première personne à me parler de sa musique. Du coup, on se connaissait bien, il me faisait confiance et était très coopératif."

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Bob Dylan, fin de l'acte I. Cheveux ébouriffés, mine cadavérique, il paie en drogues la rançon de la gloire. Dans Visions of Johanna (1966), il gémit que sa "conscience explose". Il ne sait plus qui il est. "Sur la planche-contact, précise Schatzberg, il a choisi une des trois ou quatre photos qui étaient floues." La clarté reviendra.

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