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[Interview] Giédré: “Je crois que les gens ont tendance à oublier que c’est un peu par hasard qu’on est là ou on est…”

[Interview] Giédré: “Je crois que les gens ont tendance à oublier que c’est un peu par hasard qu’on est là ou on est…”

21 May 2013 | PAR Marie Charlotte Mallard

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princesseCACA

De passage à Paris pour son concert à la Cigale, l’espiègle miss moisie nous a accordé quelques minutes d’interview, le temps pour nous, de mieux la connaître et de l’amener à nous parler un peu plus en profondeur de son univers. Dans sa petite loge, la belle nous reçoit simplement, amicalement, et nous accueille en toute décontraction, le sourire aux lèvres. Un moment convivial, tout comme le fut son concert…

Beaucoup de contrastes se dégagent de votre univers, vous êtes presque un oxymore à vous seule, l’obscure clarté semble vous caractériser, à quoi cela tient-il ? est-ce une façon de dédramatiser un peu le monde ou au contraire de mieux mettre en valeur les  travers de notre société ?

Je crois que les choses sont quand même assez segmentées, (dans la vie comme dans la musique), et  j’ai l’impression que de manière générale si on a envie de dire des choses violentes, il faut absolument faire du Hip Hop ou du Death Métal. Sauf que moi, je ne sais pas rapper et je n’aime pas le Death Metal ! Donc un jour je me suis dit que le mieux était de juste faire avec ce que j’étais!

Mais c’est marrant qu’on me dise qu’il y a un contraste ect… comme si quelque part, l’intérieur devait toujours être visible de l’extérieur, mais finalement on ne sait jamais ce que sont et comment sont les gens à l’intérieur …..

Initialement tu es comédienne, est-ce que cela ne t’inspirerait pas également, d’autant que le théâtre, et la littérature mettent souvent en valeur l’ambivalence de l’être humain ? Cette vision de la double personnalité des gens et du monde de manière générale ne viendrait-elle pas de là ?

Non, je ne pense pas. Bien sûr, on dit que le théâtre est le miroir de la vie et qu’il faut montrer en 1h30 une espèce de concentré d’humanité, et c’est vrai! Mais je ne pense pas du tout que cela vienne de là, je pense simplement qu’on en est tous là, c’est tout….

Ce n’est pas une question de double personnalité, mais plutôt le fait que chacun essaie d’exister au sein d’une humanité, alors que lui-même n’a peut-être rien à voir avec les gens qui l’entoure. Pourtant, il est obligé de les côtoyer, de prendre le métro avec eux, et d’aller à la poste, de faire ses courses ect… mais si ça se trouve, lui,  tout ce qu’il a envie de faire,  c’est de  manger son caca toute la journée… mais bon voilà il est un peu obligé d’aller travailler, d’aller faire ses courses au milieu des autres….

J’ai vu que tu étais née en 85, ce côté sarcastique, ce regard désabusé sur notre société de même que cette facilité à parler de choses dégoûtantes ou tabous, et à les accepter, est-ce que ça ne tient pas à quelque chose de générationnelle ?

Non, je ne crois pas… Je ne crois pas que nos parents répudiaient ou cachaient autant les choses. Au contraire, en France par exemple, il y avait des maisons closes, on les a fermées donc ce n’est pas aujourd’hui que l’on découvre les choses, au contraire je pense qu’il y a une espèce de régression.

Après, j’ai une culture différente parce que je suis née en Lituanie… Je n’ai surement pas assez de recul, pour pouvoir en parler. En tout cas, je ne crois pas qu’il y ait quelque chose de générationnelle, je n’ai pas l’impression de m’inscrire là-dedans, et je ne le cherche pas, d’abord parce que je suis dans un pays qui n’est pas le mien. Je ne suis pas de culture française et d’ailleurs je ne parlais pas français chez moi donc non je ne peux vraiment pas le savoir …

.Finalement, beaucoup d’universalité se dégage de ton discours, est-ce que passer par le sarcasme, l’humour noir, montrer les choses sales ne serait pas une façon de prôner la tolérance ?

Je ne sais pas si c’est la tolérance, c’est simplement que je crois que les gens (enfin, les gens je n’en sais rien non plus et puis j’en fait partie aussi) ont tendance à oublier que c’est un peu par hasard qu’on est là ou on est…. et que le mec qu’on ne regarde pas dans la rue parce qu’il est en train de se pisser dessus, ou la nana, qui va congeler ses gamins, qu’on montre du doigt en faisant un fait divers et en la traitant de paria, qu’on oublie qu’avec une autre éducation, d’autres fréquentations, juste un autre chemin de vie, on aurait pu être ces gens là … …

Moi, je crois que j’aurais pu être n’importe laquelle des personnes dont je parle dans mes chansons. Oui, je parle de pédophilie, de prostitution, de bébés congelés, et d’infanticide, de choses qui sont les tabous de la société mais, je pense que c’est avant tout parce que je crois que n’importe qui pourrait en venir là ….

 

 

Est-ce que ton intérêt pour l’anus qui revient beaucoup dans ton répertoire (avec ce signe ces petits anus avec les doigts que tu aimes à faire sur scène et à demander à tes fans) c’est une façon de prôner cela et de dire qu’initialement, on est tous identiques ?

Complètement ! et puis  c’est juste qu’au bout d’un moment… j’ai envie de dire à tout le monde, on s’en fout… vraiment, on s’en fout parce qu’on va tous mourir un jour ! Peut-être que je vais mourir ce soir avant de faire mon concert ! Je vais tomber dans les escaliers et me faire le coup du lapin !

Et, dans tout ça, à quoi cela aura servi de faire croire toute ma vie que : « non moi je ne fais pas caca, que je suis une princesse et  que je vomis uniquement quand j’ai une gastro, mais que je n’ai pas la diarrhée parce que je suis magique ! je ne  suis pas comme les autres gens ! » Voila, tout ça, tous ces masques, ces façons d’essayer de faire croire qu’on est différents des autres, c’est beaucoup d’efforts pour pas grand-chose…

Donc finalement tu prône la transparence et le naturel ?

C’est juste… enlever les couches, comme les couches d’oignons. Moi, quand on me met trop de trucs dessus, ça m’empêche de respirer … qu’on me dise, cache ci, cache ça…., je me demande toujours, mais pourquoi ? Mais tout le monde a la même chose! Pourquoi je devrais le cacher ? Souvent, les gens ne savent même pas pourquoi ils cachent, mais ils cachent, parce que cela ne fait pas bien ou n’est pas bien… mais au nom de qui de quoi ? ils ne le savent pas! Moi non plus je sais pas, alors puisque je ne le sais pas et bien je ne le fais pas !! c’est un peu : ” laisse-moi tranquille ! laisse-moi faire ce que je veux ! Laisse-moi dire ce que je veux!”

Dans ton univers il y a de l’infanticide, de la prostitution comme tu le disais tout à l’heure est-ce que finalement tu ne trouverais pas plus intéressant, plus attirant et plus riche le côté sombre de notre société ?

En fait, je crois surtout que j’ai une vision hyper organique des choses. Je ne sais pas si c’est une sorte de déformation professionnelle entre guillemet. D’ailleurs, je ne peux même pas parler de professionnelle, parce que j’ai commencé à faire ça hyper instinctivement… C’est une nature finalement, que j’utilise à des fins professionnelles sans doute. Mais, moi quand je vois quelqu’un ou quand je vois une situation je ne peux pas m’empêcher d’imaginer les choses sous un autre angle…

Par exemple : Je vois une jolie fille dans la rue, je me dis : « wahou cette fille est vraiment très très très belle ! mais en même temps, si là, elle se prend un bus et que ses entrailles volent partout …. elle sera beaucoup moins belle … c’est quand même très relatif, …. Je suis hyper terre à terre en fait, je suis même sous terre…..

Malgré ton discours, ta façon d’écrire est très poétique, Je sais que l’on en est pas forcément toujours conscient, quels sont ceux qui t’ont inspirée cette poétique et construit cette prose si particulière ? J’ai notamment vu que tu aimais beaucoup Jean Teulé….

Oui, je pense que ça doit être inconscient parce que ne pourrais jamais dire que Brassens m’a inspirée ect…. Quelque part, ça voudrait dire que je tends à quelque chose de similaire ou semblable et loin de moi cette idée, parce que bien souvent, ce sont des monstres! Si on commence à penser à ça, on en vient à comparer et on écrit plus rien ! C’est vrai que j’ai beaucoup écouté Brassens, Jean Yann, Boris Vian que j’aime beaucoup.

En ce qui concerne Jean Teulé, je l’adore véritablement! J’ai lu tous ses livres, et je l’aime vraiment pour ce qu’il a de naturaliste ainsi que pour la poésie qu’il met dans ses romans. Quand il parle d’une nana qui est en train de se faire violer dans une prison, il le raconte clairement et durement mais en même temps c’est poétique et c’est drôle également. C’est aussi juste la vie pour certains et parfois… Par contre, j’avais commencé à écrire avant de le découvrir, mais il est vrai que je retrouve en son écriture tout ce que j’aime. Mon œuvre favorite c’est Darling, et Longue peine. Il y en a un que je n’ai par contre pas réussi à lire parce qu’il était trop hardcore, c’est Mangez-le si vous voulez….

 

Côté production, tu t-auto produit, est-ce une manière d’être détachée du système, d’être plus libre dans tes choix, dans ta conception du disque ? 

Le seul intérêt que je vois à faire ce que je fais, c’est  de le faire exactement comme je le veux et de ne pas rendre de compte à qui que ce soit. Le jour ou j’ai des comptes à rendre à quelqu’un, je crois que j’arrête, je retourne dans mon bistrot ou personne ne me demandait quoi que ce soit et que je pouvais chanter exactement ce que je voulais. Et puis, j’aime beaucoup le côté artisanal et je crois que dans “artiste” il faut qu’il y ait aussi un côté artisan, qu’être artiste, c’est aussi cela, être artisan, fabriquer, de ses mains…

Comme pour ton décor ?

Oui !! quelque part, il y a un côté assez inhumain à faire cela aussi. Regarde, ce soir,  je vais chanter devant 1200 personnes que je ne connais pas… c’est inhumain, c’est  bizarre quoi ! Normalement tu ne fais pas cela. Ce côté artisanal, ça permet de garder le coté concret des choses. Quand tu crées les choses toi-même, tu sais pourquoi tu les fais, et plein de choses concrètes y sont rattachées. Quand tu ramasse un truc dans ta poubelle et tu le mets sur ta scène, tu te dis : « ah mais, je me souviens! j’ai trouvé ça à Barbès en mars 2012 ! » ça a un côté concret, ça rattache à la réalité. Pour ton album c’est pareil … tu te dis : ah ouais je fais juste des disques en fait…. »  ça garde un côté très terre à terre, c’est à toi, ce n’est pas juste un truc qui ne t’appartient plus et que les gens gèrent pour toi, c’est toi…

Ta notoriété est venue d’internet, tes vidéos ont circulé, comment considères-tu ce support ?  Est-ce justement pour toi le symbole de cette liberté artistique que tu souhaites conserver ? Et puisque ton succès s’est fait sur internet, pourquoi ne pas avoir utilisé une plateforme comme my major compagny pour produire ton disque ?

C’est sûr qu’internet pour moi ça a cette magie, cette liberté. Tout le monde peut y mettre ses choses et les gens font le choix de regarder ou d’écouter. Moi, j’ai vraiment envie d’être un choix pour les gens, envie qu’ils viennent aux concerts parce qu’ils m’ont choisie et pas parce qu’ils m’ont entendue 40 mille fois dans le week-end sur chérie fm. C’est hyper important ! Je trouve qu’aujourd’hui, on choisit tellement peu de choses…  internet permet cela, cette liberté….

Après my major compagny, on en revient d’une part au côté artisanal dont je parlais, et surtout je crois que je n’oserai jamais demander aux gens….C’est  aussi un truc ou tu te sens redevable quelque part, tu te dis  que les gens ont investi, qu’ils attendent quelque chose, que tu ne dois pas les décevoir, c’est une pression en plus. Je préfère faire tout, toute seule, et voila je fais mon truc et les gens choisissent ou pas ….

 

Plus d’infos sur Giédré ici.

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Marie Charlotte Mallard
Titulaire d’un Master II de Littérature Française à la Sorbonne (Paris IV), d’un Prix de Perfectionnement de Hautbois et d’une Médaille d’Or de Musique de Chambre au Conservatoire à Rayonnement Régional de Cergy-Pontoise, Marie-Charlotte Mallard s’exerce pendant deux ans au micro d’IDFM Radio avant de rejoindre la rédaction de Toute la Culture en Janvier 2012. Forte de ses compétences littéraires et de son oreille de musicienne elle écrit principalement en musique classique et littérature. Néanmoins, ses goûts musicaux l’amènent également à écrire sur le rock et la variété.

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