C'est “Castor & Pollux” qu'on assassine

La version de l'opéra de Rameau par Christian Schiaretti, présentée au Théâtre des Champs-Elysées, est d'un ennui mortel. D'autant que la direction musicale n'arrange rien.

Par Gilles Macassar

Publié le 14 octobre 2014 à 15h51

Mis à jour le 08 décembre 2020 à 05h20

Gémeaux astrologiques, nés des frasques de Jupiter, Castor et Pollux sont de faux jumeaux — l'un est d'essence divine, Pollux, l'autre, Castor, simple mortel. Les deux productions de l'opéra de Rameau qui se déroulent en parallèle, l'une à Lille, à partir du 17 octobre, l'autre à Paris, inaugurée le 13, sont elles aussi de fausses jumelles. La première, venue de Berlin et Londres via Dijon (en septembre dernier), est divine — d'invention, de jeunesse, d'émotion ; la seconde, au théâtre parisien des Champs-Elysées, mortelle … d'ennui ! Pourtant, dans cette version révisée de 1754, postérieure de 17 ans à sa création, la tragédie de Rameau est l'un des plus ardents chefs d'œuvre du répertoire lyrique, à l'architecture dramaturgique efficacement rebâtie, à l'écheveau psychologique subtilement tressé. Entre les deux frères épris de la même femme, Télaïre, ce n'est que surenchère de générosité et d'abnégation — Pollux renonçant à l'immortalité pour rendre la vie à Castor tué au combat, Castor renonçant à l'amour de Télaïre pour épargner les enfers à Pollux. Mais derrière cet éloge (maçonnique) de l'amitié, derrière ces protestations de bon sentiment et de sacrifice, s'insinue la peur du désir amoureux et des conflits fratricides, le poison des jalousies et la fascination pour l'énigme de la mort. Cette intrigue de rivalité familiale n'a pu que rencontrer un écho secret dans le cœur de Jean-Philippe Rameau, s'amourachant dans sa jeunesse d'une femme qui lui préféra son frère cadet Claude-Bernard (le père du fameux « neveu » raconté par Diderot !).

Rectiligne et sans arrière-plan, la mise en scène sous-alimentée de Christian Schiaretti ne prend guère au mot ni au sérieux les paroles du librettiste, abandonnant les chanteurs à des gestes et des positions d'une convention molle, vide de danger et d'affect. Comment croire qu'en 2014, il soit encore possible de représenter la mythologie grecque selon des poncifs décoratifs qui semblent sortis d'un tableau néoclassique de Poussin ou de David, le panache pictural en moins ? Avenue Montaigne, Castor et Pollux ne sont que deux mannequins antiques cuirassés de carton pâte, harnachés de quincaillerie guerrière (casques, boucliers, épées et jambières), deux fantoches de bande dessinée — Dupont et Dupond aux Thermopyles.

Castor & Pollux  

Castor & Pollux   Photo : Vincent Pontet/Wikispectacle

Face à ce spectacle morne, Hervé Niquet, à la tête de son Concert Spirituel, cède à ses démons familiers : diriger à bride abattue et à tour de bras, au figuré comme au propre. Une éolienne en folie. Qui brasse plus de vents qu'elle ne produit d'électricité. Et qui, surtout, avale les phrasés, rabote les accents. Il faut tout l'art d'une Héloïse Gaillard au pupitre des hautbois, d'un Alexis Kossenko à celui des flûtes pour qu'un peu de cette poésie « tendre », si caractéristique de la magie orchestrale de Rameau, nimbe les deux gavottes et le menuet qui concluent le quatrième acte, parmi les ombres heureuses. Rare moment où les danses réglées par le chorégraphe Andonis Foniadakis ne relèvent pas d'une gymnastique éperdue. Quant à la distribution vocale, seule Michèle Losier, dans le rôle épisodique de Phœbé (jalouse de sa sœur Télaïre), s'impose en authentique tragédienne, avec coffre, déclamation et ligne de chant idoines. Le Pollux d'Edwin Crossley Mercer succombe à la raideur militaire que lui impose une direction cravachée, tandis qu'un Castor au timbre quelconque et une Télaïre puccinienne, égarée dans le répertoire baroque, déparent le plateau. Dans son essai sur Shakespeare, Victor Hugo affirme joliment : « qui a marché sur les astres refuse une sous-préfecture ». Bételgeuse ou Aldébaran avec Rameau, oui ; Montargis ou Romorantin avec Christian Schiaretti et Hervé Niquet, non merci.

avec Omo Bello, Michèle Losier, John Tessier, Edwin Crossley-Mercer, Reinoud van Mechelen, Jean Teitgen, Chœur et orchestre du Concert Spirituel, dir. Hervé Niquet, mise en scène Christian Schiaretti,
Théâtre des Champs Elysées, les 15, 17 et 21 octobre, à 19 h 30, le 19 à 17 h, rés. 01 49 52 50 50
En direct sur Culturebox, Mezzo et le site du théâtre le 15


Et aussi :
à l'Opéra de Lille :
avec Emmanuelle de Negri, Gaëlle Arquez, Pascal Charbonneau, Henk Neven, Frédéric Caton, Chœur et orchestre du Concert d'Astrée, dir. Emmanuelle Haïm, mise en scène Barrie Kosky,
les 17, 21, 23 et 25 à 20 h, le 19 à 16 h, rés. 03 62 21 21 21

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