Fan de Bill Evans, Keith Jarrett et Brad Mehldau, à qui on le compare volontiers, le pianiste épris de liberté défend le jazz sans complaisance.
Publié le 19 février 2015 à 07h00
Mis à jour le 08 décembre 2020 à 05h31
Le trio incarne-t-il une forme de liberté en jazz ?
On présente souvent le piano solo comme le format le plus libre. Pourtant, il impose de jouer en permanence, de « remplir ». En trio, on peut lever les mains, écouter les autres musiciens et multiplier les combinaisons en duo avec la batterie ou la contrebasse. Le piano a le privilège de jouer les mélodies ; la basse apporte les notes fondamentales, les racines de l'harmonie ; et la batterie représente à elle seule le jazz, son ancrage africain. Avec trois instruments, on a une palette sonore infiniment riche.
Cette liberté est-elle le seul apanage du leader ?
Je ne donne jamais d'ordre. Je suis entouré de musiciens formidables, à l'image de Jeff Ballard [batteur de Brad Mehldau, NDLR], et j'ai envie de leur offrir un maximum de liberté tout en les « contaminant » avec ma vision. C'était le mot utilisé par Alain Corneau. Sur un tournage, à défaut d'être autoritaire, il essayait de « contaminer » son entourage avec ses idées.
De quel trio vous sentez-vous le plus proche ?
J'ai beaucoup écouté Bill Evans, Oscar Peterson, Erroll Garner, le trio de Keith Jarrett ou celui de Brad Mehldau plus récemment.
Brad Mehldau, starifié grâce à la série de disques « The art of the trio », a-t-il réinventé le genre ?
Non, même si, en débarquant il y a une vingtaine d'années, il a mis un sérieux coup de frais à la façon de concevoir le piano au sein du trio. Il possède une personnalité très forte et une grande influence sur les jeunes musiciens.
Le qualificatif de « Brad Mehldau français » revient régulièrement à votre sujet...
L'analogie est sympathique : mieux vaut être comparé à quelqu'un qu'on estime. Mais c'est une facilité journalistique. Je pense avant tout que nous avons des sources d'inspiration communes : la musique européenne et la musique brésilienne. Et d'ailleurs, il me l'a confié, il a été lui-même influencé par certains de mes disques.
La pop a envahi les trios acoustiques. Est-on arrivé à bout de cette mode ?
Ce serait une bonne nouvelle ! Je la trouve effrayante, cette hystérie de « popisation » dépressive du jazz. Elle correspond à la peur : celle de ne pas y arriver au coeur de la crise du disque, de ne pas capter l'attention du public, noyé sous l'information... On se demande souvent si le jazz est mort ; il est bien vivant, mais une certaine idée du jazz, de la tradition, est en train de disparaître, en partie à cause de cette peur. Et je n'ai pas envie d'y céder.
Le jazz serait donc aujourd'hui plus formaté que jamais !
On vit une époque paradoxale. On compte énormément de bons musiciens alors qu'il y a un véritable formatage des couleurs, des styles. On pourrait presque établir un parallèle avec la gastronomie : alors que la malbouffe envahit la planète, de plus en plus de gens veulent revenir aux fondamentaux, à un savoir-faire ancestral.
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