Le dernier cadeau au public de Nicolas Joel, le directeur de l’Opéra de Paris, aura donc été cette nouvelle production d’Adriana Lecouvreur, de Cilea, plus de vingt ans après son entrée au répertoire de l’Opéra de Paris en 1993. Nouvelle ? Notre Adriana n’est pas une inconnue : la mise en scène empesée que David McVicar a conçue en 2010 pour la soprano roumaine Angela Gheorghiu (décors réalistes fourmillant de détails, belles lumières picturales, somptueux costumes) a déjà parcouru les scènes de Londres, Barcelone et Vienne. Elle a également été l’objet d’une édition en DVD parue en avril 2012 chez Decca.
Le chef-d’œuvre du compositeur calabrais (1866-1950), écrit au tournant du XXe siècle et créé en 1902, s’est inspiré du destin tragique de la grande comédienne française Adrienne Lecouvreur (1692-1730), morte prématurément. Un fait divers suffisamment frappant pour avoir inspiré plusieurs poèmes, pièces de théâtre et films – Sarah Bernhardt, Joan Crawford ou Yvonne Printemps lui prêteront leurs traits.
C’est ainsi que Voltaire, dont elle fut l’amante et l’interprète, lui rendra hommage, exécrant les usages religieux qui la vouaient à l’excommunication, se gardant cependant de toute allusion à sa liaison avec le comte Maurice de Saxe et la haine (meurtrière) qu’en aurait conçue sa rivale, la princesse de Bouillon. Représentations théâtrales (muettes), intrigues amoureuses et rebondissements politiques, le livret d’Arturo Colautti tire sa trame de la pièce de Scribe et Legouvé.
Un manque d’incarnation
Angela Gheorghiu, à 49 ans, a gardé sa jolie silhouette, son timbre moelleux et ses merveilleux pianissimos arachnéens – un fil de soie mordorée, dont elle tisse avec art l’impalpable chatoyant. Mais la diva ne peut compenser, fût-ce par le truchement outrancier du jeu, un manque de projection d’autant plus flagrant que lui fait face le maelström Luciana D’Intino, princesse de Bouillon au timbre profond et au style mordant, à l’aise sur toute la tessiture, tout simplement effrayante.
Parée des richissimes costumes de Brigitte Reiffenstuel, auréolée comme une sainte par les lumières d’Adam Silverman, propulsée à l’avant-scène par les décors de Charles Edwards, « Adriana Gheorghiu » promène sur la musique son maintien affecté jusque dans la mort (ah, ce permanent replacement coquet de la chevelure !) et compromet à la scène l’incarnation si bien mise en valeur par les caméras du DVD.
Toujours aussi pataud en scène, le Maurizio de Marcelo Alvarez séduit d’autant plus par la simplicité de son engagement. Le ténor argentin n’a certes pas le sex-appeal de son homologue allemand Jonas Kaufmann, qui, dans la version DVD, rend si palpable l’attirance de la roturière et de la noble pour lui, mais il s’impose par son naturel et son art de la nuance.
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