Le gwoka : de l’Unesco aux nouvelles perspectives

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Né en Guadeloupe au XVIIe siècle avec l’esclavage transatlantique, le gwoka est un genre musical exclusivement chanté en langue créole. Il a été transmis de génération en génération. S’appuyant sur le triptyque tambour-chant-danse, le gwoka accorde une large place à la voix. Musique-mémoire et musique de résistance, cette expression chantée et dansée, inscrite en 2014 sur la liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’Unesco, poursuit son expansion à travers le monde.

Le gwoka est devenu la musique la plus représentative de la Guadeloupe. Cette esthétique musicale suscite un engouement profond auprès de la jeunesse guadeloupéenne – à la fois sur l’archipel et dans l’Hexagone. Inscrit le 26 novembre 2014 sur la liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’Unesco, le gwoka se retrouve aujourd’hui face à de nouveaux défis : large vulgarisation de son répertoire, formation des musiciens, préservation de cet héritage culturel…
Le Centre des musiques et danses traditionnelles et populaires « Repriz » s’est chargé de porter le projet d’inscription du gwoka à l’Unesco. Au cours de la période précédant l’inscription ont eu lieu de nombreux débats, certains houleux, où fut soulevée la question de la pertinence d’une telle démarche.
Une frange des acteurs du gwoka – constituée en collectif – s’est érigée contre l’inscription. Arguant du fait que cette musique n’en avait pas besoin. Qu’elle avait « survécu » – et qu’elle continuerait de vivre – par elle-même. Nul besoin pour cela du soutien d’une quelconque « tutelle » ou d’un quelconque « parrainage ».
Critiques fondées ou non-fondées, toujours est-il qu’il a fallu s’atteler à de nombreux exercices de sensibilisation auprès de la population guadeloupéenne pour faire valoir les atouts et la nécessité de l’inscription du gwoka sur la liste représentative du patrimoine immatériel de l’Unesco. Et, à cette occasion, en expliciter les contours.
Le Centre « Rèpriz » – sous la houlette de son président Maître Félix Cotellon – s’est fixé plusieurs objectifs pour les années à venir. D’une part, la transmission et l’enseignement artistique. Il s’agit de « favoriser la continuité, la transmission et le renouvellement des musiques traditionnelles et populaires par un programme régional de formation artistique s’adressant aux formateurs, aux enseignants, à destination de tous les jeunes guadeloupéens, qui ne doivent pas ignorer ou sous-estimer la valeur de leur propre culture. » D’autre part, la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel. Dans le but de « mieux connaître et sauvegarder le patrimoine musical ancien et actuel de la Guadeloupe à travers des collectes, recherches scientifiques, réalisation de documentations, animations, publications destinées aussi bien aux spécialistes, artistes, et enseignants qu’au public le plus large. Avoir une connaissance et une mémoire plus juste du passé, détachée des déformations idéologiques, ainsi que du présent.  »
Derrière la vocation de préserver, de transmettre et de sauvegarder les musiques et danses de la Guadeloupe, se profile une mission de revalorisation d’un legs culturel longtemps « léthargisé », et quelquefois galvaudé. Thierry Gairouard, régisseur du festival gwoka de Sainte-Anne en Guadeloupe, estime que « les acteurs du gwoka se parlent et s’écoutent. Les tensions entre les musiciens tendent à se dissiper. On observe comme une prise de conscience des enjeux et des perspectives d’ouverture sur le monde pour la culture guadeloupéenne. J’ai le sentiment que beaucoup plus de gens se réclament de la culture gwoka. »
Notons qu’au-delà de son caractère festif, le festival de gwoka joue un rôle de passeur de traditions et d’échanges. Il permet d’entretenir le lien social dans la communauté. Les différentes journées de la diffusion organisées pendant le festival, ainsi que l’invitation de groupes étrangers, participent de ce souhait d’étendre la visibilité de cette musique dans le monde.
Quant aux raisons du choix porté sur le gwoka pour l’inscription au patrimoine culturel immatériel de l’Unesco, Thierry Gairouard considère qu’il se justifie par le fait que « cette musique représente un tronc commun et une des résultantes des cultures africaines qui se sont mêlées en Guadeloupe. Cette musique a accompagné – et ceci encore le cas aujourd’hui – les Guadeloupéens dans leurs moments forts de luttes et de revendication. Le Gwoka synthétise véritablement l’Homme guadeloupéen.  »
L’établissement d’une bibliographie commentée de la musique guadeloupéenne fait partie des objectifs que s’est fixé le centre « Repriz ». Ce document en cours d’élaboration – qui fera trois volumes – permettra entre autre de retracer l’histoire du gwoka. Et contribuera de la sorte à l’avancée des recherches portant sur ce genre musical. Le premier volume de la bibliographie commentée – couvrant la période 1635-1848 – paraîtra cette année. Le dernier ouvrage de l’historienne et chanteuse Marie-Héléna Laumuno – qui est consacré à Man Soso, figure marquante du gwoka et mère du chanteur emblématique Guy Konket – est un exemple parmi d’autres de l’intérêt que portent certains chercheurs à cette musique.
L’émergence de nouveaux groupes musicaux donne une bouffée d’oxygène au gwoka. Parmi eux, « 7 son @ To ». Constituée de jeunes musiciens multi-instrumentistes, également danseurs, tous virtuoses, cette formation explore avec audace de nouvelles voies. Notamment en intégrant des éléments contemporains – tant au niveau du chant qu’au niveau de la danse. Retenus au forum professionnel Babel Med de Marseille – mars 2016 -, ces jeunes talents représenteront le génie guadeloupéen sur la scène hexagonale.
Le groupe Fanm Ki Ka apporte également sa part d’innovation à l’univers gwoka. Entièrement féminin – dix femmes dont sept chanteuses lead et trois tambouye -, celui-ci se distingue par un travail axé sur les polyphonies vocales. Le premier album des Fanm Ki Ka – dont la sortie est prévue au printemps 2016 associe des chants a cappella (bouladjel) et des pièces chantées, avec le support rythmique des trois tambours. Autre élément notable : la reprise dans le répertoire de cette formation d’un chant en provenance du Bénin. Reprise qui fait suite à une collaboration avec le Trio Tériba. Collaboration qui s’est déroulée en deux temps : un voyage des Fanm Ki Ka au Bénin et la venue du trio béninois en Guadeloupe, avec dans les deux cas quelques concerts à la clé.
D’autres artistes guadeloupéens poursuivent leurs pérégrinations musicales, en s’inspirant du gwoka. À l’instar de l’excellente chorégraphe et chercheuse Léna Blou, avec sa « Techni’ka ». Ou encore du saxophoniste Jacques Schwarz-Bart, du trompettiste Franck Nicolas et du batteur Sonny Troupé.
Le gwoka est en pleine effervescence. On constate aussi cela à travers des collaborations fructueuses. Telles que celles du légendaire groupe Kan’nida – des frères Geoffroy – avec la vocaliste africaine-américaine Rachelle Ferrell. Ou du guitariste virtuose Christian Laviso avec les saxophonistes africains-américains Kenny Garrett et David Murray.
Un des faits marquants de l’expansion de ce genre musical est la reprise par la chanteuse bordelaise Ceïba du morceau « Evarist siyed’lon » – composition de René Geoffroy. L’enthousiasme que suscite aujourd’hui le gwoka montre à raison la richesse et la beauté de cette musique. Et le résultat de cet engouement s’inscrit dans le sillage des brillantes explorations initiées par des musiciens légendaires tels que Gérard Lockel, Sergius Geoffroy, Guy Konket, Robert Loyson, Germain Calixte ou Lin Canfrin. Gwoka toujou doubout’ !

///Article N° : 13466

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Les images de l'article
Rue pietonne de Pointe a Pitre. A droite sur la photo, le guitariste Christian Laviso. © Martine Sornay
Rue pietonne de Pointe a Pitre. © Martine Sornay





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