La RVF : Quel est l’endroit du monde le plus surprenant dans lequel vous avez trouvé et étudié la vigne ?
Pierre Galet
: C’est sans doute l’Afghanistan, où j’ai été envoyé par le ministère des Affaires étrangères en septembre 1967. Ce pays était alors méconnu en France, je n'ai pas pu trouver de carte géographique disponible. J’ai heureusement pu retrouver sur place un de mes anciens étudiants qui travaillait au Ministère de l’Agriculture et qui m’a confié un de ses jeunes employés pour m’accompagner à travers le pays. Dans une Jeep russe appartenant à l’ambassade française de Kaboul, j’ai visité tous les vignobles afghans, en suivant des pistes difficiles, et en montant à plus de 3.500 mètres d'altitude. J’ai ainsi fait un herbier, que je conserve chez moi depuis, et publié l’étude des cépages dans la revue allemande Vitis en 1970. Depuis, avec les guerres, beaucoup de vignes ont surement été détruites ou remplacées par la culture du pavot, plus rentable.


La RVF : Y a-t-il un cépage non utilisé en France que vous aimeriez voir se développer ?
Pierre Galet
: Je pense au cépage hongrois Furmint, qui entre dans la composition du célèbre Tokaj. Dans ma jeunesse, j’ai bu et analysé des vins de ce cépage, cultivés en Costière de Nîmes, à Capestang (Hérault) ou dans l’Aude. On obtenait alors un vin blanc liquoreux, très parfumé et alcoolique. Ce cépage était souvent cultivé par des descendants des officiers de Napoléon, qui avaient rapporté le cépage en France, et qui en buvaient notamment le 2 décembre en souvenir de la victoire d’Austerlitz ! 


La RVF : Certains de vos travaux ont-ils provoqué des désordres ?
Pierre Galet
: En 1980, j’ai été invité par le gouvernement brésilien pour étudier les cépages cultivés dans ce pays et pour identifier un cépage vendu sous le nom de Sauvignon. Il s’agissait en réalité d’un hybride de Seyve-Villard : le 5.276, connu en France sous le nom de Seyval. Ce plant avait été volontairement introduit par un ancien directeur d’une station agronomique, qui trouvait le véritable sauvignon trop sensible aux maladies. Évidemment, le vin issu de ce cépage était très différent du sauvignon. Quand je suis retourné au Brésil, l’année suivante, les viticulteurs étaient mécontents, car les banques refusaient de leur prêter de l’argent pour faire les vendanges d’un cépage ordinaire. Autre exemple : en 1971, on vendait au Chili un vin blanc de pinot bianco, synonyme pour les Chiliens de chardonnay, mais j’ai découvert que le plant cultivé sous ce nom était en réalité le chenin, vendu autrefois sous le nom de pinot blanc de la Loire.


La RVF : Que pensez-vous de la façon dont les AOC envisagent les cépages en France ? 
Pierre Galet
: Lors de la création des AOC en 1935, il avait été prévu un encépagement tenant compte des usages locaux. Si l’on envisage de modifier l’encépagement, on va modifier les vins et nous perdrons, à juste titre, des consommateurs. Par exemple, le merlot n’était considéré, avant le XIXème siècle, que comme un cépage secondaire. Il n’était même pas mentionné sur la liste des cépages de la subdélégation de Pauillac, ni dans le livre de Jullien en 1816. La première description a été faite en 1857 par Rendu dans son livre où il mentionne "qu’il s’allie bien avec le malbec et le cabernet sauvignon et qu’il est admis dans les grands crus du Médoc". Actuellement c’est le premier cépage noir cultivé en France avec 114.000 hectares. Il devance largement le cabernet sauvignon (53.000 ha) et le cabernet franc (35.000 ha) car il donne des vins plus souples, moins riches en tanins, et donc commercialisables plus tôt.


La RVF : L'appellation muscadet envisage d'introduire le colombard dans son cahier des charges, qu'en pensez-vous ?
Pierre Galet
: Le nom de Muscadet est propre au cépage bourguignon melon, introduit dans la région après le terrible hiver de 1709, par le roi Louis XIV qui paya les plants sur sa cassette personnelle. Apporter du colombard, cépage charentais, n’est pas souhaitable car on ne produira plus le même vin.


La RVF : Que pensez-vous des cépages dits "hybrides" ou "résistants", peu utilisés en France mais répandus en Suisse ou en Allemagne par exemple ?
Pierre Galet
: En 1958, le vignoble français comprenait 406.000 hectares de cépages hybrides, soit 30% du vignoble. Ce vin se vendait essentiellement pour faire des coupages avec les vins d’Algérie, riches en alcool, mais pauvres en acidité, alors que c’était l'inverse pour les hybrides. Le "mélange Bercy" chez les négociants était un mélange de ces deux provenances auquel on ajoutait plus ou moins de vins d’Aramon pour ajuster au degré voulu. J’ai évidemment bu assez souvent des vins issus de cépages hybrides au cours de mes voyages, j’en ai même vinifié personnellement à Montpellier, mais je n’ai jamais obtenu des vins de qualité.


> Le Dictionnaire encyclopédique des cépages a rencontré un beau succès sur le site de financement participatif Fundovino : le projet a récolté plus de 25 000 euros pour un objectif de 20 000 euros (consulter la page du projet du Dictionnaire encyclopédique des cépages sur Fundovino).