Barenboim de retour sur les lieux du crime

Soixante ans après

son premier concert,

Daniel Barenboim revient

à Bruxelles pour donner

le 6 décembre un récital

au Palais des beaux-arts

Temps de lecture: 6 min

Pour l’occasion, il jouera sur le nouveau piano qu’il a commandé en 2011 à Chris Maene, qui combine les qualités des instruments de l’époque de Liszt et de ceux techniquement perfectionnés du type Steinway. Au programme, les grands maîtres du piano : Beethoven, Schubert, Chopin et Liszt. A l’occasion de ce qu’il appelle en riant son « retour sur les lieux de son crime », il a accepté de jeter avec nous un regard sur une carrière d’une richesse et d’une diversité exemplaires.

Quand vous jetez aujourd’hui un regard sur votre carrière, comment la comparez-vous à ce qui avait pu être vos espoirs lors de ce premier concert en 1955 ?

Si je vous disais qu’à deux ans, je prévoyais que j’allais diriger à Bayreuth, je crois que je serais malhonnête ! Je vais revisiter cette année Londres, Paris et Bruxelles, trois villes que j’ai visitées à 13 ans. Le concert de Bruxelles avait ceci de particulier que j’étais dirigé par un chef, Pierino Gamba, qui avait aussi été un enfant prodige alors qu’à Paris je l’étais par André Cluytens (1). Et c’est vrai qu’à l’époque, je pensais déjà à une carrière de musicien et que j’espérais débuter à New York ! J’avais la chance de jouer avec de grands orchestres et sous la direction de grands chefs. J’y prenais un immense plaisir, mais je crois que j’étais un peu inconscient de ce qui m’arrivait.

Vous avez rencontré Furtwängler ?

Oui, lors de ma visite à Salzbourg en 1954 où j’ai auditionné pour lui, et je crois qu’il m’aurait engagé à Berlin s’il n’était pas mort dans les mois qui ont suivi. En Argentine, je jouais souvent pour les grands pianistes de passage, Rubinstein ou Arrau, qui s’intéressaient à moi car j’étais un enfant prodige. Si j’avais déjà eu 20 ou 25 ans, j’aurais été un autre jeune pianiste et j’aurais sans doute moins attiré leur curiosité.

Vous ne croyez pas que ce qui les fascinait aussi, c’est qu’au-delà de votre talent de pianiste, vous étiez déjà quelqu’un qui semblait penser en musique ?

Cela, je le dois à mon père. Il avait été un des premiers élèves de Vincenzo Scaramuzza, un professeur italien installé à Buenos Aires dont Martha Argerich fut un des derniers élèves. C’est lui qui m’a appris à penser en musique. Il ne m’a pas seulement enseigné à jouer du piano : il m’a surtout appris à penser dans et avec la musique.

La découverte de la direction d’orchestre est plus tardive ?

Pas vraiment. A 8 ou 9 ans, j’ai joué pour Igor Markevitch, qui s’est tourné vers mon père et lui a dit : « Votre fils ne sera pas pianiste, il sera chef d’orchestre. » A 9 ans, il m’a invité à assister à son cours de direction d’orchestre à Salzbourg. En 1954 et 55, j’y participais.

Il y a un rapport très intense entre votre piano et l’orchestre.

C’est évident et cela vient de la nature du piano où vous ne créez pas votre propre son. Quand vous frappez une touche, vous produisez le son prévu : il est beaucoup plus neutre que la couleur personnelle d’un violon ou d’un hautbois. Mais le piano offre la possibilité de produire toutes les sonorités de l’orchestre : c’est un mur blanc où vous pouvez tout dessiner quand les autres instruments sont déjà colorés. C’est la raison pour laquelle vous pouvez faire une grande carrière au violon simplement avec une belle sonorité. Au piano, ce serait impossible. Et même quand vous abordez les compositions les plus pianistiques d’un Liszt ou d’un Chopin, vous êtes frappé par le timbre orchestral qu’elles peuvent dégager. Un grand interprète de Chopin comme Rubinstein était un orchestre à lui tout seul.

Comment êtes-vous arrivé à devenir cet artiste dans la cité que vous êtes aujourd’hui ?

Tout d’abord il faut distinguer les choses. Quand je rentre sur scène, je ne pense ni au public ni à l’endroit où je me trouve. Si je le faisais, je n’aurais pas un contrôle total sur la musique. Si je prends un petit 20 % de cette concentration pour penser au public, ma musique va immédiatement s’en ressentir. Mais, avec le temps, je me suis graduellement intéressé, en dehors du concert, à l’éducation musicale (ou plutôt à son absence grandissante un peu partout dans le monde) et à d’autres problèmes de société.

Mais n’est pas cette démarche qui vous a amené à fonder le East West Divan orchestra ?

Paradoxalement, cet orchestre a au départ un peu été fondé par hasard. J’avais été approché par Bern Kaufman, alors responsable de Weimar, capitale culturelle européenne pour 1999. Il m’a contacté pour organiser un projet culturel international à Weimar à cette occasion. Je partageais à l’époque mon temps entre Bayreuth, Berlin et Chicago et lui répondis que je n’aurais pas le temps de gérer un tel projet. Il m’a répondu que j’étais le seul à pouvoir le faire et m’a convaincu que Weimar était le plus beau et le pire des lieux. Le plus beau parce que c’était la ville de Goethe où Liszt avait résidé et le pire, parce que les nazis avaient créé le camp de Büchenwald à quelques kilomètres de là. Je lui ai alors proposé de venir pour faire un séminaire de musique de chambre avec des musiciens venant d’Israël et des pays arabes. Je tenais à ce que ce soit un projet équitable où chaque communauté était dûment représentée. Il a pris en main d’organiser l’appel d’offres. A notre grande surprise, nous avons reçu plus de 200 candidatures. C’est à ce moment-là que nous nous sommes dit avec mon ami Saïd, un grand universitaire, professeur à Columbia, que nous pouvions aller plus loin et fonder un orchestre. Et il s’est, depuis lors, réuni chaque année, a organisé des sessions en saison. Désormais il joue partout et est devenu un visiteur régulier à de grands festivals comme Salzbourg ou Lucerne.

Comment le recrutement tourne-t-il ?

Il est essentiel qu’une rotation s’opère, même si certains sont des fidèles depuis le début. Nous veillons beaucoup à assurer un passage du témoin. Beaucoup de musiciens sont passés par cet orchestre, qui joue désormais à Berlin (Philharmonie et Staatskapelle), à Munich, au MET, à la Scala.

Comment voyez-vous ce retour à Bruxelles ?

Je tiens à le dire : avec un immense bonheur. J’ai bien connu la reine Elisabeth qui a tant fait pour les arts. Et aussi la reine Fabiola, car elle était la présidente de la Société pour la sclérose en plaques, une maladie qui a frappé ma première femme, Jacqueline Dupré.

(1) En fait Barenboim joua six fois en cinq jours le concerto K 271 de Mozart, ce qui en dit long sur l’importance de l’activité symphonique à Bruxelles à l’époque, quand la Société philharmonique et les Jeunesses musicales mêlaient leurs forces. Bozar Musique, PBA, dimanche 6 décembre à 15 heures.

Rens.  : 02/507.82.00 ou www.bozar.be

 

Le fil info

La Une Tous

Voir tout le Fil info
La UneLe fil info

Le meilleur de l’actu

Inscrivez-vous aux newsletters

Je m'inscris

À la Une