Rémésy - Oui, on peut améliorer la qualité du pain !

Souvent insipide, trop salé, saturé en gluten..., le pain n'est plus ce qu'il était, mais un nouveau procédé de panification pourrait changer la donne.

Par Christian Rémésy

Le pain au levain est susceptible d’amorcer la dégradation du gluten et d’améliorer sa digestibilité.
Le pain au levain est susceptible d’amorcer la dégradation du gluten et d’améliorer sa digestibilité. © Xinhua News Agency

Temps de lecture : 5 min

Longtemps le pain fut perçu comme une valeur sûre, parce qu'il comblait presque tous les besoins nutritionnels en termes de glucides, mais aussi de protéines et de micronutriments. Son image est aujourd'hui plus floue, d'autant que les consommateurs ont toujours été tenus à l'écart de l'évolution de la panification. C'est en découvrant à la fois les dérives de la filière et une manière plus épurée de le fabriquer que nous pourrons nous réapproprier le pain.

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La boulangerie n'a cessé de se moderniser, elle s'est équipée de pétrins mécaniques, de chambres froides, la levure industrielle a remplacé le levain, les farines se sont enrichies en additifs pour aboutir au final à un pain blanc très aéré, insipide et donc très salé. Pour lutter contre ces excès, le décret du pain de tradition française publié en 1993 fit le ménage dans les additifs autorisés. Cependant, l'évolution du gluten des variétés de blé modernes et la possibilité d'ajouter du gluten exogène, sous-produit de l'industrie d'amidonnerie, contribuent à une production toujours plus uniformisée de nos baguettes. Ainsi, notre baguette nationale est le résultat d'une technologie qui vise à faire de belles alvéoles. Pour l'apparence donc, que d'efforts dans la sélection des blés avec du gluten aux propriétés viscoélastiques renforcées et que d'artifices dans la conduite des fermentations avec un passage quasi systématique en chambre froide.

Un produit standardisé

Au final, c'est le sel et les arômes de la levure qui dominent dans le goût du pain, effaçant toutes les spécificités éventuelles des variétés de blé et de leur terroir de production. Par comparaison, ce serait comme si le goût du vin ne pouvait être relié à la qualité des cépages utilisés. La filière blé pain s'est donc ingéniée à développer un produit standardisé, trop salé, mais pauvre en vitamines et micronutriments du fait de l'utilisation de farines blanches, qui ne se conserve même pas, et qui est souvent absent de la table. La valeur nutritionnelle de notre baguette nationale, produite à grand renfort de béquilles technologiques, n'arrive même pas à la cheville de celle du pain bis au levain d'antan, ce qui explique sans doute que la consommation de pain soit devenue si faible en France.

Longtemps, toutes les conditions furent pourtant réunies pour faire du pain un excellent aliment. Les procédés de mouture à la meule de pierre et de tamisage étaient rudimentaires si bien que les farines, peu raffinées, étaient riches en fibres, minéraux et micronutriments. La pâte était fermentée avec du levain naturel, riche en bactéries lactiques et levures sauvages, le pétrissage manuel ne créait pas un réseau artificiel de gluten très résistant, un travail enzymatique complexe dans la pâte permettait d'améliorer la digestibilité du pain et la biodisponibilité de ses minéraux. Finalement, ce qui manquait le plus, c'était le blé et la farine. Maintenant le blé est devenu une matière première totalement dévalorisée qui compte pour moins de 5 % dans le prix du pain. Toutes les baguettes de France et de Navarre se ressemblent et même si leur goût peut paraître satisfaisant, leur valeur nutritionnelle laisse à désirer.

Un aliment assez artificiel

Le fait que le pain blanc soit devenu un aliment assez artificiel, comme tant d'autres produits du secteur agroalimentaire, a poussé les tenants du bio à revenir à des pains bis (faits avec une farine type 80) ou complets panifiés au levain, voire à réhabiliter des variétés de blé anciennes plus aromatiques. En parallèle dans les boulangeries conventionnelles, la panification au levain, qui avait quasiment disparu, refait un peu surface à la demande des consommateurs désireux de retrouver un goût du pain plus authentique. La panification au levain facilite la bonne digestion du pain, améliore son index glycémique, son goût et sa conservation ; mais nos boulangers oublient d'en informer les consommateurs pour continuer à vendre leurs pains à la levure, plus facile à fabriquer. La possibilité que l'offre de pain s'améliore significativement sur le plan nutritionnel, par la panification au levain de farines moins raffinées, se heurte donc au conservatisme ambiant de la filière et à la puissance de ses lobbies.

Sauf que la boulangerie est confrontée à un problème nouveau, celui de la phobie ambiante du gluten, qui conduit un nombre croissant de consommateurs à réduire, ou à supprimer le pain dans leur régime. Pour rassurer les personnes sujettes à une hypersensibilité au gluten, réelle ou subjective, la boulangerie française n'a pas d'autre solution que de leur proposer du pain au levain, puisque ce type de fermentation est susceptible d'amorcer la dégradation du gluten et d'améliorer sa digestibilité. Mais la perspective d'abandonner les facilités de l'utilisation de la levure (quelques grammes  par kilo de farine suffisent pour faire lever la pâte) pour adopter la panification au levain, beaucoup plus laborieuse, n'enchantait guère nos boulangers. Au lieu d'une simple addition de levure, c'est 20 à 30 % de levain rafraîchi qu'il faut incorporer dans la pâte, dans la panification traditionnelle au levain.

La pression des consommateurs

Mais l'obstacle vient d'être franchi. Par la magie de la prolifération exponentielle des bactéries lactiques et des levures sauvages, le temps de fermentation augmente seulement de 3 à 4 fois, en utilisant 200 à 500 moins de levain que dans les techniques anciennes. En jouant sur la température ambiante et le degré d'ensemencement, les boulangers peuvent gérer la durée de la panification à leur convenance comme ils le font actuellement en conservant la pâte au froid. Sauf que ce laps de temps permet aux enzymes de la farine d'améliorer la digestibilité des composés du pain, en particulier, celle du gluten, ce qui n'est guère possible au froid. Enfin, autre progrès extraordinaire, cette conduite de la panification, avec un pétrissage très réduit, permet d'améliorer l'index glycémique du pain et sa conservation. Ce nouveau procédé de panification a été testé en boulangerie, bio et conventionnelle, avec les mêmes résultats concluants.

On peut espérer que ce nouveau procédé de panification incite maintenant la filière à développer des variétés de blé de meilleure qualité nutritionnelle. Aujourd'hui, les critères administratifs d'inscription des variétés sont trop centrés sur la productivité et la technologie. Il est interdit de commercialiser des variétés anciennes ; et même impossible d'en inscrire des nouvelles si elles n'ont pas un fort rendement. Reste le consommateur, qui, informé, peut faire pression, pour exiger des farines et un mode de panification plus adaptés à l'amélioration de la valeur nutritionnelle du pain.

* Nutritionniste et Directeur de Recherche à l'INRA

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Commentaires (3)

  • Angel91

    Oui en effet il y a trop de manipulation des aliments et un manque d'informations. Le problème vient aussi des normes trop nombreuses qui uniformisent nos aliments et tuent l'artisanat. Concernant l'alimentation attention nous ne sommes pas tous pareils, certains on besoin de fibres, d'autres moins et devraient manger des aliments dit "sans résidu" au final, Une seule devise, il faut écouter son corps

  • guy bernard

    La première régulation d'un marché date de l'époque edouardienne et justement sur le pain : il était abondant et bon marché et, malgré sa consommation, les gens de périssaient.
    les meuniers se livraient alors une guerre des prix en mélangeant la farine a d'autres produits dont du plâtre.
    les farines ont donc fait l'objet d'une réglementation.
    nous ne sommes plus à cette époque et on peut facilement trouver un bon pain ; par contre, il faut être exigeant et y mettre le prix.
    bientôt on pourra même trouver un bon pain en hyper qui fabriquent des pâtes crues.

  • JIF33

    Pour une fois nous avons l'explication de la recrudescence des difficultés intestinales de beaucoup. Quand dans une conversation, on parle de supprimer le pain et les pâtes (tout cela à base de blé), les âmes bien pensantes s'empressent de dire que les français ont toujours mangé du pain et que tout cela est un effet de mode.
    Voilà enfin l'explication, par les blés modifiés (augmentation du taux de gluten) et le rajout de gluten, comme s'il n'y en avait pas assez. Ayant une maladie auto immune, j'ai supprimé toute céréale et tout produit laitier et mes symptomes ont disparu et mon état stabilisé.

    Merci pour votre article