En matière de rapports sexuels, mieux vaut ne pas trop se fier aux sondages, beaucoup de sondés ayant tendance à se surestimer.

En matière de rapports sexuels, mieux vaut ne pas trop se fier aux sondages, beaucoup de sondés ayant tendance à se surestimer.

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"Les Français font l'amour au moins deux fois par semaine", affirment régulièrement les enquêtes et sondages qui s'attellent à analyser et à quantifier notre sexualité et notre épanouissement sexuel. Ces données chiffrées seraient toutefois loin d'être fiables à en croire les experts en sexologie et les patients qui défilent dans leurs cabinets, mais également les nombreux messages laissés par les internautes sur les forums et autres sites spécialisés.

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Des sondages aux résultats faux

Philippe Brenot*, psychiatre, anthropologue et sexologue, a réalisé deux grandes enquêtes auprès des hommes puis des femmes, via des questionnaires anonymes distribués notamment dans sa salle d'attente et dans celles de ses confrères. "Les statistiques concernant la fréquence des rapports sexuels constituent selon moi la donnée la plus fausse de toutes les enquêtes en sexologie, conclut-il. D'abord parce que les sondés ont toujours tendance à une survalorisation de cet aspect de leur vie. Ensuite parce que l'on constate que les sondages semblent inciter les Français à s'inclure dans la moyenne nationale -située autour de deux rapports hebdomadaires- même si ce n'est pas leur cas. Leur discours ne coïncide d'ailleurs pas avec ce qu'ils disent en cabinet." Un peu comme nous savons que l'âge moyen du premier rapport sexuel se situe à l'âge de 17 ans, nous considérerions donc la fréquence de nos rapports comme une norme applicable à tous.

Assez logiquement, de nombreuses interrogations et inquiétudes parcourent ceux qui, temporairement ou régulièrement, sont dans l'impossibilité de s'aligner sur une fréquence similaire. Suis-je normal(e)? Faisons-nous l'amour assez souvent? Dois-je me forcer à avoir des rapports sexuels plus fréquents pour faire plaisir à mon/ma partenaire? Autant de questions qui peuvent mettre le couple sous pression et, à force, abîmer la relation.

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Le besoin physiologique de sexe n'existe pas

"Marc et moi sommes très amoureux, très en phase dans la vie, confie Alice, 34 ans, en couple depuis quatre ans. Mais depuis quelques mois, alors que j'aurais tendance à avoir davantage besoin d'affection, de câlins, lui a besoin de faire l'amour régulièrement pour se sentir épanoui et déstressé." Le besoin de faire l'amour. Une idée reçue qui revient fréquemment pour justifier l'idée selon laquelle les hommes, plus rarement les femmes, auraient physiologiquement besoin d'avoir des rapports sexuels réguliers, sous peine de souffrir de frustration.

"Nous savons aujourd'hui, de façon scientifique et incontestable, que le besoin sexuel n'existe pas, affirme Philippe Brenot. C'est une idée complètement fausse. Un homme peut tout à fait être abstinent pendant plusieurs semaines, plusieurs mois, plusieurs années, sans qu'aucune anomalie, aucun dysfonctionnement érectile ne survienne."

Cela ne balaie pas pour autant le concept même de frustration, mais celui-ci est d'un ordre différent. "La frustration que l'on peut ressentir lorsque nos désirs sexuels ne sont pas assouvis est psycho-affective, explique Alexandra Hubin**, sexothérapeute et fondatrice de la Sexologie Positive. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle la masturbation ne la comble pas. Elle peut l'apaiser, temporairement, mais ne viendra jamais remplacer un désir de donner et de recevoir de l'amour, de vivre un moment d'intimité intense avec son ou sa partenaire."

L'hypoactivité du désir sexuel, une souffrance

Créatrice du site SexySoucis.fr, Diane Saint-Réquier, animatrice de prévention et férue de sexologie, constate que les personnes qui la contactent via son site sont souvent celles, hommes ou femmes, qui sont dans la position d'avoir le désir le moins prononcé dans leur couple. "C'est une problématique parmi les plus fréquentes. Les femmes me racontent qu'elles souffrent de se forcer à avoir des rapports non désirés parce qu'elles se sentent encore, d'une certaine façon, soumises à cette vieille et terrible idée du 'devoir conjugal'. Elles se disent mises sous pression par leur partenaire, parfois mises en accusation d'une forme d'anomalité. Du côté des hommes, le fait d'avoir une libido moins forte que celle de leur partenaire peut provoquer un fort sentiment de honte. La plupart le vit comme une atteinte à ce que devrait être, dans leur esprit, leur masculinité."

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"Je n'ai pas toujours la tête au sexe"

Bruno, 35 ans, avoue avoir vu le nombre de ses rapports sexuels diminuer depuis qu'il a monté son entreprise, il y a quelques mois. "C'est une responsabilité énorme, un investissement de tous les instants, de mon réveil jusqu'à ce que je me couche. Je veux me donner les moyens de réussir ce que j'entreprends et je n'ai pas toujours la tête au sexe. Marie, ma compagne, est aussi en pleine reconversion professionnelle. Elle non plus n'est pas forcément très demandeuse. Mais il est vrai que j'ai parfois peur que cette situation ne lui convienne pas autant qu'à moi."

Les hommes ne sont donc ni soumis à un besoin sexuel imposé par leur nature, ni à une libido linéaire. "On part souvent du principe, à tort, que les hommes fonctionnent en 'on-off', qu'ils sont toujours potentiellement prêts à avoir un rapport sexuel, analyse Alexandra Hubin. Mais le fait qu'il existe une part hormonale plus grande chez l'homme (ils ont davantage de testostérone, hormone du désir sexuel notamment) ne signifie pas que leur désir sexuel est mécanique. Il est en réalité dépendant, comme chez la femme, de multiples facteurs qui peuvent le fragiliser -la fatigue, le stress, la dépression- ou le faire fluctuer, négativement ou positivement en fonction d'un changement professionnel, de l'arrivée d'un enfant ou d'autres événements importants."

Etre à l'écoute de son partenaire

Si tous les couples traversent ou traverseront à un moment ou à un autre ces discordances de désir sexuel, celles-ci ne sonnent pas pour autant le glas de la relation. Hélène, 24 ans, explique que sa baisse de désir sexuel est survenue très rapidement après sa rencontre avec Mehdi. "Les trois ou quatre premiers mois, nous avions autant envie l'un que l'autre. Et puis au fur et à mesure, je suis devenue plus réservée que lui. Je me suis posé beaucoup de questions sur ma féminité, sur notre relation, sur ma vision de l'amour. J'ai réglé certains problèmes familiaux qui pouvaient se répercuter sur mes envies, mais ça n'a rien changé. Lui me dit qu'il le vit plutôt bien, que 'ça va', même s'il y a des moments où il se sent rejeté."

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Sur SexySoucis, c'est ce même sentiment que partagent ceux qui s'inquiètent de la diminution de leurs rapports sexuels. "Ils interprètent souvent le baisse de désir de leur partenaire comme une diminution de l'envie d'eux, plutôt que comme une diminution d'envie tout court, relate Diane Saint-Réquier. Ils se sentent remis en question dans ce qu'ils sont, et se mettent à douter des sentiments de leurs conjoint(e)."

Rassurer celui ou celle qui essuie ses refus est la mission principale de celui qui a moins souvent envie que l'autre. À l'inverse, celui qui voudrait avoir des rapports sexuels plus fréquents se doit de respecter sa ou son partenaire, et ne jamais le forcer ou l'amener à se sacrifier pour assouvir ses propres désirs. Le pouvoir dire non, s'écouter, se respecter: tels sont les fondements d'une sexualité heureuse et épanouie, rappelle Diane Saint-Réquier dans chacune de ses réponses. "Se forcer ou forcer l'autre ne risque que d'aggraver la situation, en accentuant les blocages, en créant des traumatismes. Alors que se parler, réfléchir ensemble à des solutions envisageables, c'est essentiel."

Dans son cabinet à Bruxelles (Belgique), Alexandra Hubin reçoit chaque jour des couples qui se soucient de voir la fréquence de leurs rapports sexuels diminuer. "Notre premier rôle est d'informer, d'expliquer aux couples que ce qu'ils traversent est fréquent. Les rassurer quant au fait qu'une diminution du désir n'est pas forcément synonyme d'une diminution du sentiment amoureux. Puis, si cela est nécessaire, les aider à se retrouver."

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