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A Saint-Denis, l'embarrassant Monsieur Messaoudene, à l'origine de la marche contre l'islamophobie
L'élu s'est fait un nom en 2012, en publiant une longue série de tweets ironisant sur le meurtre d'enfants juifs par le terroriste islamiste Mohammed Merah. « Le présumé tueur n'est pas resté casher [sic] très longtemps », rigolait Messaoudene quelques heures après le massacre.
AFP

A Saint-Denis, l'embarrassant Monsieur Messaoudene, à l'origine de la marche contre l'islamophobie

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Confrontée à une forte pression religieuse, la ville du 93 est aussi devenue un bastion de l'indigénisme politique. A la Mairie, l'activisme du délégué à l'égalité, Madjid Messaoudene, embarrasse. Il est par ailleurs l'une des chevilles ouvrières de la marche contre l'"islamophobie".

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Spécialiste du clash sur Internet, Madjid Messaoudene, élu au conseil municipal de Saint-Denis et délégué à l'égalité des droits et à la lutte contre les discriminations, ne manque pas une occasion de croiser le fer sur les réseaux sociaux. Avec un sujet de prédilection très particulier : la remise en cause de la laïcité. Il publie la liste des parlementaires ayant voté pour la neutralité lors des sorties scolaires, attaque en justice pour diffamation des militants laïques avec le soutien financier de la Mairie, et lance des pétitions contre l'« islamophobie ». Dans sa ville, Madjid Messaoudene est bien davantage connu pour son militantisme médiatico-numérique que pour son action sur le terrain. L'élu s'est fait un nom en 2012, en publiant une longue série de tweets ironisant sur le meurtre d'enfants juifs par le terroriste islamiste Mohammed Merah. « Le présumé tueur n'est pas resté casher [sic] très longtemps », rigolait Messaoudene quelques heures après le massacre, entre autres « blagues ».

Depuis, il joue à intervalles réguliers la petite musique de la concurrence communautaire et de la victimisation. Mais son activisme effréné ne se limite pas aux réseaux sociaux et aux médias. L'homme facilite aussi l'organisation de réunions publiques à Saint-Denis, rassemblant la fine fleur de la sphère « décoloniale ». Lieu privilégié de ces raouts : la Bourse du travail. Elle a accueilli le congrès fondateur du Parti des indigènes de la République (PIR) en 2010, un meeting du PIR et de l'Union des organisations islamiques de France (UOIF, émanation des Frères musulmans) le 18 décembre 2016... Le 11 décembre 2015, un mois après les attentats de Paris, Madjid Messaoudene réunissait tout ce petit monde, avec Tariq Ramadan en invité vedette, pour une réunion « contre l'islamophobie », évidemment, mais aussi pour dénoncer des interventions policières accusées de « choquer les habitants »... Comme celle du 18 novembre, où les forces de l'ordre ont appréhendé les terroristes islamistes.

Opération grossière

Cette année, la polémique autour de la Marche des fiertés organisée par la Mairie de Saint-Denis le 9 juin a marqué les esprits. Madjid Messaoudene et les étudiants de Paris-VIII qui organisaient la Gay Pride y ont mis en œuvre une technique éprouvée par les militants décoloniaux : se servir d'une cause afin d'en introduire d'autres plus conformes à leur agenda. Ainsi cette marche des fiertés avait-elle pour but de « lutter contre la stigmatisation des quartiers populaires et de leurs habitants », ou contre « toute récupération des luttes LGBTQI+ à des fins racistes et classistes ». Pour certains militants ayant souffert d'homophobie en banlieue, la marche n'était qu'une opération grossière de « rainbowwashing » montée par Madjid Messaoudene.

Tout le paradoxe du délégué à l'égalité résumé en une dispute : accueillir dans sa ville la première Pride dans le 9-3, mais intimider et accuser de racisme ceux qui osent pointer le problème de l'homophobie dans les quartiers

Un face-à-face tendu, filmé par les caméras de « Quotidien », a symbolisé le conflit. On y voit Lyes Alouane, membre de SOS Homophobie, qui a dû quitter Gennevilliers en raison de menaces et de violences, prendre l'élu à partie. « Tout le monde le sait, il est plus difficile de vivre son orientation sexuelle et son identité de genre dans les quartiers populaires qu'à Paris ! - Tu ne te bases sur rien », lui rétorque Messaoudene. Alouane évoque alors une homophobie liée « aux cultures, aux religions et à l'éducation ». Il est aussitôt coupé par l'élu de Saint-Denis : « Ça, c'est le discours du Rassemblement national. » Tout le paradoxe du délégué à l'égalité résumé en une dispute : accueillir dans sa ville la première Pride dans le 9-3, mais intimider et accuser de racisme ceux qui osent pointer le problème de l'homophobie dans les quartiers.

Logiquement, Madjid Messaoudene est devenu la bête noire des Dionysiens (habitants de Saint-Denis) attachés à la laïcité. « Il est très visible sur toutes les thématiques indigénistes, n'a aucune gêne et on le laisse faire », soupire Bill, animatrice du blog « Saint-Denis ma ville », qui a réclamé sa démission dès 2016, en accusant le délégué de ne « s'intéresser à la cause de l'égalité femmes-hommes que lorsqu'elle concerne le droit des femmes à porter le voile ou autres particularités religieuses ». Fewzi Benhabib, immigré d'Algérie pour échapper à l'islamisme dans les années 90 et fondateur de l'Observatoire de la laïcité de Saint-Denis, renchérit : « Madjid Messaoudene est le symbole des dérives politiques de la ville. Il confond allègrement liberté de religion et prosélytisme islamiste et casse du laïque à tout-va. » Rachida Hamdan, musulmane et laïque convaincue, explique « ressentir de l'incompréhension par rapport à l'octroi de cette délégation par la Mairie à une personne ouvertement hostile au féminisme universaliste ». Lorsqu'elle et des amies ont lancé une nouvelle association, les Résilientes, pour défendre les droits des femmes dionysiennes, elles ont dû composer avec l'opposition de Madjid Messaoudene, délégué par la Mairie pour... défendre l'égalité femmes-hommes à Saint-Denis.

Médiatiques, tapageuses, outrancières, les positions de l'encombrant conseiller municipal renvoient une curieuse image de Saint-Denis au monde extérieur. « Saint-Denis est devenu le camp de base de la mouvance décoloniale, constate Gilles Clavreul, ancien préfet et figure du Printemps républicain. Madjid Messaoudene joue le rôle d'intercesseur, c'est le Monsieur Loyal du militantisme communautaire. »

Par ailleurs, la sous-préfecture du 93 accueille l'université Paris-VIII, établissement phare de l'extrême gauche identitaire ayant importé les studies américaines en France. La Mairie joue également sur le volet des subventions : le 4 octobre 2018, un coquet subside de 9 832 € a été voté par le conseil municipal pour accueillir une exposition sur les cheveux afro, conçue par l'essayiste racialiste Rokhaya Diallo. Sur l'ensemble de l'année, l'Observatoire de la laïcité fondé par Fewzi Benhabib a touché... 600 €.

Chez ceux qui s'agacent des batailles rangées incessantes entre prolaïques et pro-Messaoudene, le malaise point. « L'attitude de Madjid interpelle beaucoup de monde, d'autant que Laurent Russier [le maire PCF] n'est pas du tout sur ses positions », souffle-t-on à la mairie. Sans aller jusqu'à remettre en cause son délégué. Pourquoi une telle impunité ? Des proches de l'équipe municipale avouent leur incompréhension, sous couvert d'anonymat. Contacté, le maire n'a pas souhaité répondre à nos questions, pas plus que Madjid Messaoudene.

Pressions directes

Dans la cité où gisent les rois de France, le fait religieux est omniprésent, envahissant pour certains. Une déambulation dans la rue Gabriel-Péri suffit pour le constater : restaurants halal, librairies religieuses, salons de coiffure avec salles réservées aux femmes voilées, boutiques de voiles islamiques (taille enfant comprise)... « En 1994, quand je suis arrivé d'Algérie, le voilement des femmes était un fait anecdotique, observe Fewzi Benhabib. Aujourd'hui, il s'est tellement généralisé que même les commerces chinois offrent à la clientèle toute la panoplie islamique ! » Au-delà de cette présence ostensible, les pressions sont parfois plus directes. « Ici, dès qu'on a la peau mate, on est musulman d'office et sujet à toutes les intimidations religieuses, témoigne une habitante. Hostilité quand on ne porte pas le voile, quand on mange pendant le ramadan... » Une autre Dionysienne, d'origine maghrébine et habillée à l'occidentale, confie : « Les "frères" me lâchent des insultes quand ils me croisent. Ici, on est coincé entre les barbus et les dealers ! » Les intégristes avancent leurs pions. Ces derniers mois, la préfecture a fait fermer les deux plus grandes mosquées de la ville, dont le centre Tawhid, qui préoccupait les services de sécurité. Le matin, les habitants croisent parfois des groupes de petites filles voilées se rendant à l'école coranique, comme le groupe scolaire Al-Andalus, en plein cœur de Saint-Denis, qui connaît un franc succès.

Que peut faire la Mairie pour lutter contre la pression religieuse ? Pour peu qu'elle en ait la volonté, elle dispose d'une certaine marge de manœuvre : préempter des terrains, choisir à qui attribuer des baux afin d'éviter la multiplication de commerces communautaires, ou encore orienter ses subventions. « En somme, soit on laisse faire, soit on essaie de tenir l'espace public », résume Gilles Clavreul. De quel côté penche Saint-Denis ? Epineuse question. La ville reste marquée par le règne du communiste Patrick Braouezec, de 1991 à 2004. Emblématique de l'évolution d'une partie du PCF, l'édile cherche pendant sa mandature à faire de Saint-Denis une commune altermondialiste, ouverte. A l'Assemblée et dans sa municipalité, il prône le métissage, le vivre-ensemble, le droit de vote pour les étrangers, la régularisation des sans-papiers... Tout en fermant largement les yeux, au passage, sur certaines dérives, allant jusqu'à affirmer que « le communautarisme n'a jamais empêché l'intégration », à condition qu'il soit « un communautarisme ouvert, qui permette de faire jouer les solidarités ».

Au sein de la mairie actuelle, toujours PCF, on assure avoir « tourné la page de cette période où la tentation de remplacer le prolétaire par le musulman a pu exister ». Reste que la présence de l'encombrant Messaoudene dans l'équipe municipale n'aide pas à soutenir cette hypothèse

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne