Partager
Intelligence artificielle

Yann LeCun : "L'intelligence artificielle a moins de sens commun qu'un rat"

Pour Yann LeCun, directeur de la recherche en intelligence artificielle de Facebook, l'IA reste loin d'égaler les performances de l'homme ou de l'animal. Elle devra faire ses preuves au cours des prochaines années.

3 réactions
Le Français Yann LeCun, directeur de l'unité de recherche consacrée à l'intelligence artificielle de Facebook.

Le Français Yann LeCun, directeur de l'unité de recherche consacrée à l'intelligence artificielle de Facebook.

BRIAN ACH / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP

Réseaux neuronaux, deep learning ou encore machine learning... Des mots qui donnent peur d'être surclassé par une machine ? Pourtant, et malgré ses progrès phénoménaux, l'intelligence artificielle (IA) reste bien inférieure à l'intelligence humaine ou animale. Yann LeCun, scientifique français directeur de l'unité de recherche dédiée à l'IA de Facebook,  qui vient d'être récompensé par le prestigieux prix Turing revenait à l'occasion d'une conférence à Station F (Paris) mardi 23 janvier 2018 sur les progrès et limites de ces technologies qui font tour à tour rêver ou fantasmer. 

Le fantasme d'une machine semblable au cerveau

Qu'entend-on exactement par intelligence artificielle ? "Il s'agit de la capacité des machines à reproduire des facultés attribuées aux animaux ou aux êtres humains, notamment de la résolution de problèmes. Évidemment, cette définition a considérablement évolué avec le temps. Dans les années 1960 ou 1970, on qualifiait d'intelligence artificielle des fonctions désormais classiques en informatique. Aujourd'hui, on distingue deux branches : celle de l'apprentissage supervisé, où la machine apprend à partir de nombreux exemples, et celle de l'apprentissage par renforcement, où la machine va être récompensée si elle donne une bonne réponse."

CERVEAU. L'occasion pour le spécialiste de repréciser avec pédagogie ce qu'est un réseau de neurones artificiels. "C'est un abus de langage que de parler de neurones ! De la même façon qu'on parle d'aile pour un avion mais aussi pour un oiseau, le neurone artificiel est un modèle extrêmement simplifié de la réalité biologique." Ce qui n'empêche pas d'être fasciné par la neurobiologie. "J'identifie 3 grands questions irrésolues en sciences : la nature de l'univers, celle de la vie, et enfin celle du cerveau et de l'intelligence. Le fonctionnement du cerveau est une question qui me passionne depuis toujours." 

COCORICO. Le 23 janvier 2018, Yann LeCun a annoncé que le Français Jerôme Pesenti devient son bras droit de Yann LeCun à la tête de la recherche en IA chez Facebook. Cet ancien d'IBM Watson prendra en charge les aspects opérationnels de la R&D.

Selon Yann LeCun, l'IA a 20 ans pour faire ses preuves

Et le déclassement de l'humain par la machine ne semble pas au programme... en tout cas pour l'instant. Yann LeCun mentionne ainsi l'étonnante intelligence des bébés, qui apprennent très vite en quelques mois, mais également l'intelligence animale. Leur point en commun ? La faculté à agir à partir d'intuitions, et de modéliser rapidement leur environnement. "Les intelligences artificielles les plus abouties ont moins de sens commun qu'un rat !", affirme le directeur de Facebook AI Research. 

PRÉDICTIF. "Les humains, comme les animaux, apprennent à partir de très peu d'exemples, ce qui est un mystère pour les ordinateurs. Mon hypothèse, c'est que nous établissons rapidement des modèles prédictifs du monde." C'est-à-dire que le cerveau, pour économiser de l'énergie, apprendrait à prédire les événements susceptibles de se produire... Ce qu'on appelle le sens commun. "Par exemple, savoir si un objet va être dangereux ou non, ou même déterminer si un objet caché est toujours là. C'est pour cela que les bébés de moins de 3 mois aiment tant jouer à "peek-a-boo" : quand ils ne vous voient plus, ils pensent que vous n'êtes plus là." Un champ qui intéresse désormais les chercheurs, qui essaient d'implémenter ces modèles chez les machines.

Les machines restent limitées par rapport à l'humain

À cet égard, le terme d'intelligence artificielle reste trompeur, car "aucun humain n'apprend comme le font les machines, à partir d'un calcul mathématique se basant sur des millions d'exemples !" Les meilleurs résultats sont toutefois atteints en combinant les deux familles de machine learning. "L'apprentissage par renforcement, où l'on récompense la machine lorsqu'elle atteint le résultat souhaité, marche beaucoup mieux pour les jeux, comme par exemple le jeu de go. Car cela nécessite de jouer beaucoup de partie d'avances... et donc de commettre un grand nombre d'erreurs. Dans le monde réel, on ne peut pas envoyer une voiture autonome dans le ravin pour qu'elle apprenne à conduire !"

Un pari industriel sur les véhicules autonomes

Pour contourner ce problème de l'apprentissage en environnement réel, les algorithmes peuvent apprendre sur simulateurs. Autrement dit, dans le cas des véhicules autonomes, pour apprendre, les machines jouent à une sorte de jeu vidéo où elles peuvent provoquer des millions d'accidents sans causer le moindre dégât matériel. "Mais le problème actuel, c'est que ces machines apprennent à partir de données issues de la société, qui reproduisent donc implicitement les biais de la société." Définir l'éthique des machines n'a ainsi rien de simple, c'est ce que démontrait par exemple la plate-forme Moral Machine.

PARI. Pour le chercheur français, il faut voir l'engouement actuel comme un pari des industriels et investisseurs. Selon lui, si la recherche en IA ne donne pas les résultats attendus d'ici une vingtaine d'année, ces derniers pourraient bien perdre patience ...  et l'intelligence artificielle, comme dans les années 90, s'éclipser de nouveau pour quelques années.

3 réactions 3 réactions
à la une cette semaine

Centre de préférence
de vos alertes infos

Vos préférences ont bien été enregistrées.

Si vous souhaitez modifier vos centres d'intérêt, vous pouvez à tout moment cliquer sur le lien Notifications, présent en pied de toutes les pages du site.

Vous vous êtes inscrit pour recevoir l’actualité en direct, qu’est-ce qui vous intéresse?

Je souhaite recevoir toutes les alertes infos de la rédaction de Sciences et Avenir

Je souhaite recevoir uniquement les alertes infos parmi les thématiques suivantes :

Santé
Nature
Archéo
Espace
Animaux
Je ne souhaite plus recevoir de notifications