Collectif
Nouvelle parution
Frédérik Detue, Olivier Dubouclez (dir.), Valère Novarina : Le langage en scène

Frédérik Detue, Olivier Dubouclez (dir.), Valère Novarina : Le langage en scène

Publié le par Marielle Macé (Source : Frédérik Detue)

Frédérik Detue, Olivier Dubouclez (dir.)

Valère Novarina : Le langage en scène

Caen, Lettres modernes Minard, coll.« Écritures contemporaines », vol. 11, 2009, 217 p.

Sommaire

Avant-propos, par Frédérik Detue et Olivier Dubouclez, p. 5-9 (à lire ci-dessous)

1. Personne. À propos des personnages dans LaScène, par Marco Baschera, p. 11-25

2. Le Cercle et le carré (géométries de l'écriture etdu plateau), par Céline Hersant,p. 27-46

3. Le Théâtre de la parole : remarques sur la« poésie » au théâtre chez Novarina à partir d'Artaud et de Vitrac,par Elena Galstova, p. 47-64

4. Poétique de la transgression, de Georges Batailleà Valère Novarina, par Désirée Lorenzet Tatiana Weiser, p. 65-83

5. Le Jardin de reconnaissance. Penser le théâtre de Valère Novarina, par Katia Dmitrieva, p. 85-102

6. Se désaliéner du réel : invitation à la(re)lecture de Vous qui habitez le temps,par Didier Plassard,p. 103-118

7. Dans le cabinet du néologue, par Nadia Buntman, p. 119-137

8. Nom de personne. L'écriture des noms propres chezValère Novarina, par Olivier Dubouclez,p. 139-158

9. Slogan, inventaire, information : de lapolitique dans l'oeuvre de Valère Novarina, par Julie Sermon, p. 159-179

10. Le Théâtre de Valère Novarina ou la littératureen résistance, par Frédérik Detue,p. 181-201

Document

« En face de l'archaïque et duconscient » : entretien avec Christophe Feutrier, réalisé par Olivier Dubouclez, p. 203-215

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Avant-propos

(Texte reproduit avec l'aimable autorisation des éditeurs)

Frédérik Detue, Olivier Dubouclez,« Avant-propos », dans Frédérik Detue, Olivier Dubouclez (dir.), ValèreNovarina : Le langage en scène, Caen,Lettres modernes Minard, coll. « Écritures contemporaines »,vol. 11, 2009, p. 5-9.

"C'est au terme d'un long chemin de reconnaissance que Valère Novarinas'est imposé comme un auteur majeur dans le paysage complexe et arborescent duthéâtre contemporain : commencé avec la mise en scène par Jean-PierreSarrazac de L'Atelier volant en 1974, ila trouvé son aboutissement lors de l'entrée au répertoire de laComédie-Française de L'Espace furieux en 2006 et la création dans la Cour d'honneur du Palais des Papes de L'Acteinconnu en juillet 2007. Dans le mêmetemps, les écrits de Novarina ont suscité des interrogations de plus en plusnombreuses et précises au sein des études littéraires et théâtrales. D'abordconsidérés comme des cas limites, réputés injouables et inclassables, lestextes et les pratiques dramaturgiques de Novarina se sont ouverts à une réflexionpositive permettant d'en mieux saisir l'insurrection linguistique tout enprenant la mesure de la « pensée dramatique » qui s'y déploie[i],pour reprendre l'expression de Marco Baschera. Plusieurs collectifs et unemonographie ont été édités depuis la publication du volume inaugural ValèreNovarina : Théâtres du verbe en 2001,lequel, transcendant avec bonheur les champs disciplinaires, a montré qu'untravail à plusieurs voix – une rhapsodie critique, pour ainsi dire – était laforme toute désignée pour dévoiler les multiples aspects d'une oeuvre si féconde[ii]

Le présent volume ne se contente pas de reprendre le fil conducteur decette recherche polyphonique. Il s'établit sur une dimension qui, quoiqueintime à l'écriture novarinienne, est demeurée jusqu'ici en retrait, celle deson rapport à « l'étranger ». Non seulement les langues étrangèressont activement présentes au coeur des textes novariniens, non seulement lalangue française elle-même apparaît, sous la plume du dramaturge, comme un idiomefantasque et polyglotte, mais en outre l'oeuvre de Valère Novarina possède uneaudience considérable au-delà des limites de la seule communauté francophone.Contrairement à ce qu'une lecture superficielle pourrait laisser croire, àsavoir qu'un français si radicalement mis en pièces, si obstinément renversé,n'est accessible que dans sa version originale, la langue de Novarina s'estd'emblée imposée comme une « langue en partage », avide detraductions en anglais, en allemand, en italien, en espagnol, en catalan, enportugais, mais aussi en turc, en russe, en hongrois, en grec, en hébreu, enroumain, en slovaque, en tchèque, en suédois ou encore en serbe[iii].Ouvrages où la traduction s'entend moins comme le passage d'une langue àl'autre que comme la révélation « par d'autres moyens » du texted'origine, en poursuivant le travail d'invention et d'altération. Si Novarinanous invite à voir « le langage en scène », il s'agit d'un langagequi ignore toute monotonie et qui, en lui et au-delà de lui, fait feu de touteparole humaine. C'est cette singulière économie linguistique qui s'est trouvéeau centre du colloque de février 2005 « La voix étrangère de ValèreNovarina », organisé à l'Université d'État de Moscou (MGU) par le Collègeuniversitaire français de Moscou, en la présence de l'auteur, sous la directionde Frédérik Detue et Katia Dmitrieva. Il a trouvé son contrepoint notammentdans deux spectacles organisés à cette occasion : en français, Le Monologued'Adramélech de Régis Kermorvant et BastienThelliez, dans une salle de spectacle du MGU, mais aussi, en russe et enfrançais, Valère Novarina parmi nous (titre provisoire) de Christophe Feutrier, à l'École d'art dramatiqued'Anatoli Vassiliev[iv].

La plupart des textes qui sont rassemblés ici sont directement issus de cecolloque ; d'autres sont venus s'y ajouter parce qu'ils permettaient, àpartir d'un ensemble de thèmes et de principes communs, d'en enrichir lespropositions. On verra donc se dessiner, sous des modalités multiples, uneréflexion sur le langage et sur son rapport à la scène : qu'il s'agisse dela scène de théâtre où le texte de Novarina vient s'incarner, de la scène dulangage elle-même, plan fondamental où s'épanouit l'écriture et où s'ouvre, endeçà de toute représentation, l'espace du théâtre, ou encore de la scène dumonde, des théâtres politiques, des tragédies humaines, des comédies sociales,du « drame de la vie » où le langage se fait conducteur de la penséeet des passions.

C'est la tension entre l'espace de la parole et l'espace de la scène – ou l'impossibilité de les distinguer – qui a constitué le point de départ desréflexions proposées, soit que l'on aborde la métamorphose de la scène enmettant en lumière la nature « pragmasémiotique » du théâtre novarinien (Marco Baschera), soit que l'on cherche la« quadrature » del'espace scénique à partir des déterminations picturales et architecturales dela perspective, explicites et actives dans les textes de Novarina (Céline Hersant). Une telle réflexion sur lamise en scène du langage et sur l'originalité de la dramaturgie et de lathéorie du drame qui en procède a donné lieu à plusieurs rencontres : avecArtaud et les avant-gardes où la dynamique de la création théâtrale s'estnourrie, dès les années Vingt, de « scissiparité » linguistique et de jeux de langage (Elena Galtsova) ; avec Bataille quiconnaît, comme Novarina, la « négativité » vertigineuse de la transgressionet qui, à tout instant, fait l'épreuve paradoxale de ses propres limites(Désirée Lorenz/Tatiana Weiser). Mais si le théâtre de ValèreNovarina demande à être, non pas seulement décrit, mais investi par la pensée,s'il est toujours aussi « théâtre du monde » (Katia Dmitrieva),c'est que le langage lui-même ne saurait constituer une totalité hermétiquementclose et étrangère au réel. L'étrangeté ou l'“étrangèreté” du théâtre deNovarina n'est pas celle d'un monument magnifique et inopérant qui se tiendraiten face de nous et à l'extérieur de nous : par sa passion de l'actionnégative, de la déformation et de la rupture, une telle oeuvre nous place devantl'énigme d'une réalité qui est à la fois autre et nôtre, incommensurable avecce que nous vivons et pourtant enracinée en cela même. C'est de ce débordementdans le réel, de cette manière que le théâtre novarinien a de nous toucher qu'ilfaut alors parler (Didier Plassard).Le travail sur la langue est, en ce sens, un forage consciencieux dans la chairdu réel, une percée jusqu'au vrai monde. La mise en pièces du langage est, aufil de la création néologique et de sa radicalité poétique, destinée à mettreen lumière notre « maladie humaine » (Nadia Buntman) ;l'écriture du nom propre manifeste elle aussi la nécessité de ce basculement,pure génération verbale et en même temps dévoilement d'une réalité anonyme,d'un peuple grouillant et bigarré (Olivier Dubouclez),tandis que le travail critique exercé contre les stéréotypes de lacommunication et les métamorphoses comiques de la parole du pouvoir fontapparaître la dimension politique de cet activisme linguistique (Julie Sermon). Ce débordement dans le réels'opère cependant suivant un rapport dialectique à la théorie romantique de lalittérature ; le théâtre de Novarina est un « théâtrepolitique », mais marqué par laconfrontation de la littérature à l'histoire au XXe siècle (FrédérikDetue). Le volume s'achève par unentretien avec un praticien du théâtre novarinien (Christophe Feutrier) : revenant sur sontravail de metteur en scène, il se propose, à partir d'un tout autre point devue, de mieux cerner l'anthropologie élémentaire, l'atome de réalité, qui esten perpétuelle variation dans les pièces du dramaturge.

C'est une telle traversée que propose ce volume : une exploration dela scène du langage où, mot à mot, s'édifie la scène du théâtre, en même tempsque se tisse avec le monde, c'est-à-dire avec nos langues et nos dialectes,quelle que soit leur origine historique, ethnique, sociale ou politique, undialogue désorienté."

Frédérik Detue

Olivier Dubouclez

[i] Marco Baschera,« Pour une pensée dramatique », pp. 173-182, in Le Théâtre deValère Novarina : Une scène de délivrance, Louis Dieuzayde ed. (Aix-en-Provence, PUP, « Textuelles »,2004).

[ii] Valère Novarina, théâtres du verbe, Alain Berset ed. (Paris, José Corti, « LesEssais », 2001). Depuis ce premier volume collectif, ont paru d'autresétudes importantes : Le Théâtre de Valère Novarina (op. cit.1) ;La Voix de Valère Novarina, PierreJourde ed. (Paris, L'Harmattan, « L'Écarlate », 2004) ;La Bouche théâtrale : Études de l'oeuvre de Valère Novarina, Nicolas Tremblay ed. (Montréal, XYZ éditeur, « Documents »,2005) ; Olivier Dubouclez, ValèreNovarina, la physique du drame (Dijon,Les Presses du réel, « L'espace littéraire », 2005). Citons aussi lenuméro de la revue Europe : Valère Novarina, n° 880-881, août-septembre 2002, ainsi quecelui de L'Annuaire théâtral : Valère Novarina : Paroles dethéâtre, n° 42, automne 2007.Voir aussi : Lydie Parisse, La“parole trouée” – Beckett, Tardieu, Novarina (Caen, Lettres Modernes Minard, « Archives des lettresmodernes » 292, 2008).

[iii] On trouvera le détail des références de toutes cestraductions sur le site très complet et régulièrement actualisé de ValèreNovarina : http://www.novarina.com/livres/livres.html#B.

[iv] Le spectacle créé par Christophe Feutrier était unelecture scénique ; il était fondé sur un montage de plusieurs extraits depièces de Novarina, dont la plupart avaient été traduits en russe par KatiaDmitrieva et Natalia Mavlevitch. Les extraits en russe étaient lus par desacteurs du Théâtre d'art et du Théâtre Tchelovek de Moscou, les extraits enfrançais, par Novarina lui-même. Le succès de la manifestation artistique etuniversitaire de février 2005 a offert en outre à Nikita Chiriaev, metteur enscène et directeur artistique russe du théâtre de Tambov, de pouvoir recréer LeJardin de reconnaissance de Novarinaà Moscou (au Théâtre sur Strastnoj Bulvar, le 1er octobre 2005),dans la traduction russe de Katia Dmitrieva, Sad priznanija (Moscou, OGI, 2001).