Trading haute fréquence - La renaissance
Le trading haute fréquence (HFT) est-il mort avant d’avoir été régulé ou bien a-t-il juste évolué ? Divers articles anglo-saxons ont annoncé les difficultés du HFT ces derniers mois. Les « pure players » habituels se sont effectivement plaints de coûts plus élevés d’accès aux technologies et données de marchés nécessaires pour « négocier plus vite », notamment des postes de « colocation » à proximité des Bourses. Mais ils semblent surtout avoir souffert d’une moindre volatilité, jusqu’à ce mois de février, et d’une concurrence accrue, aussi bien entre eux qu’avec les autres brokers ayant bénéficié de progrès technologiques. Selon Tabb Group, les revenus annuels des « market makers HFT » sur les actions américaines auraient chuté de 7,2 milliards de dollars en 2009 à 1,1 milliard en 2017. « Ces revenus pourront remonter avec la volatilité, mais probablement pas au-dessus de 3 milliards », estime Larry Tabb, fondateur du cabinet d’études. Cela pousse ces acteurs spécialisés à se diversifier sur d’autres instruments dont les négociations sont de plus en plus électroniques. Certains ont aussi lancé une consolidation du marché à l’image de Virtu Financial qui a repris KCG pour 1,4 milliard de dollars l’été dernier, ou d’Hudson River Trading (HRT) qui vient d’annoncer le rachat de Sun Trading. Entre autres.
Fin des rabais
Malgré tout, il semble un peu tôt pour évoquer la fin du cycle de vie de cette activité qui concerne encore la moitié des volumes d’échanges sur les actions, futures et bons du Trésor aux Etats-Unis, et pas loin sur le forex selon Thomson Reuters. La plate-forme IEX, médiatisée par le best-seller de Michaël Lewis (« Flash Boys », 2014), vient de publier une nouvelle étude sur les « microstructures de marché » (voir l’entretien et le tableau), démontrant que les opérateurs HFT pour « compte propre » (« proprietary trading firms ») s’efforcent toujours de battre des traders « plus lents », notamment en détectant des signaux susceptibles de leur permettre de poster des ordres « agressifs ». Cette course à la vitesse aurait pour conséquence d’enlever de la liquidité aussi bien aux autres « market makers » qu’au reste du marché…
Si ICE s’est même associé en septembre à un consortium de traders (DRW, IMC, Jump Trading, XR Trading) pour mutualiser les coûts de leur nouveau réseau « ultra-rapide » (sans fil, fibres optiques, câbles sous-marins) entre Chicago et Tokyo, baptisé Go West, « cela ne les empêchera pas de ‘lutter’ pour aller plus vite entre eux avec des stratégies différentes, commente Joe Saluzzi, associé coreponsable du trading actions chez le broker indépendant Themis Trading. C’est juste un signe que cela peut être plus cher, moins profitable et plus compétitif aujourd’hui pour les opérateurs HFT de se débarrasser des traders ‘plus lents’. » D’autant que le soutien des plates-formes boursières risque d’être plus compliqué : « La récente décision de la Cour d’appel de la ville de Providence dans une poursuite contre Bats Global Markets pourrait les convaincre qu’elles doivent changer leurs pratiques », poursuit Joe Saluzzi. Le 19 décembre, le juge a validé le principe d’un recours collectif d’investisseurs institutionnels contre plusieurs Bourses américaines (Bats, Chicago SE, Direct Edge, Nasdaq, Nyse…) qu’ils accusent d’induire les marchés en erreur via certains services fournis aux HFT (accès à des données propriétaires, « colocations », ordres spécifiques), au détriment des fonds de pension et autres investisseurs institutionnels ou retail. En première instance, un tribunal fédéral du district sud de New York avait rejeté ce recours au nom d’une certaine immunité des Bourses liée à leur statut d’organisation auto-régulée.
Au contraire, IEX a mis en place un système de « ralentisseur » pour aider certains fournisseurs de liquidité « non affichée » à éviter certaines stratégies HFT nuisibles, et facture désormais une nouvelle commission pour décourager les stratégies HFT opportunistes qui tirent avantage de différences de latence sur des ordres « affichés » ou « cachés ».
Pour beaucoup, le système de « rabais » (« rebates ») constitue un autre problème actuel des marchés. Quand IEX facture 3 ou 9 cents pour exécuter un ordre sur 100 actions, avec une remise de 1 cent pour les apporteurs de liquidité, les traders affichant des ordres « agressifs » ou « sans limite » sur le Nyse, le Nasdaq ou le CBoE obtiennent jusqu’à 30 cents : cela inciterait les brokers à envoyer des ordres sur les Bourses qui paient le plus, et non pas là où leurs clients seraient les mieux servis, entraînant de possibles conflits d’intérêts que la Security and Exchange Commission (SEC) s’apprête à étudier et peut-être interdire.
En Europe, où le HFT concerne au moins 40 % des marchés actions, le règlement délégué publié le 25 avril 2016 dans le cadre de la révision de MIF 2 a mis en évidence un renoncement à réguler cette pratique. Comme l’avait regretté l’organisation Finance Watch, au lieu d’agir directement sur les « microstructures de marché », le régulateur avait choisi de la définir de la manière la plus large possible en invoquant la transmission d’au moins 2 messages/seconde sur un instrument donné ou 4 messages/seconde sur une plate-forme donnée alors que les experts parlent de HFT à partir de 1.000 messages/seconde… Avec l’entrée en vigueur de la réglementation le 3 janvier, l’Europe pourrait assister à une forme de « légitimation » du HFT au travers des « internalisateurs systématiques » (SI) qui, au moins pour les actions, viennent en quelque sorte remplacer les « brokers crossing networks » (BCN) créés par les banques sous MIF 1 (et interdits sous MIF 2). Ces SI doivent désormais répondre de manière « bilatérale » avec leur compte propre aux ordres des clients et à un prix « négocié » ou « importé » d’un marché transparent, de manière systématique (ou en tout cas non discrétionnaire), fréquente et substantielle. Le parlementaire européen Markus Ferber a encore récemment dénoncé ces systèmes qui permettraient aux banques de détourner les échanges d’actions des plates-formes transparentes.
Outre la plupart des grandes banques, plusieurs opérateurs HFT non bancaires comme XTX, Sun Trading, Tower Research, Citadel et Virtu ont aussi adopté ce statut de SI. Ils affichent régulièrement leur rôle dans le « market making », et « le régime européen de SI leur offrirait une solution toute faite en tant qu’apporteurs de liquidité qui, en outre, risquent d’être ‘chassés’ des ‘dark-pools’ dont l’activité va être plafonnée avec la réglementation MIF 2 », analyse Larry Tabb. Celui-ci estime que les SI sont déjà passés en cinq semaines de 1 % à 20 % des volumes échangés sur les actions en Europe. L’idée, également exprimée par le CEO de Virtu, est de se rapprocher au maximum des investisseurs finaux pour capter davantage du « spread » entre prix offert (bid) et prix demandé (ask), ce qui serait encore plus simple dans un processus bilatéral que multilatéral. « Les opérateurs HFT utiliseront deux moyens pour cela », regrette un observateur : soit ils se placeront comme apporteurs de liquidité juste derrière le compte propre de SI « bancaires » en leur apportant du capital sans risque (« riskless principal ») ; soit ils utiliseront leur propre SI en profitant d’une réglementation floue sur les « pas de cotation » minimum dans les SI, et ce malgré les évolutions prévues sur ce point dans la consultation terminée le 25 janvier. Antoine Pertriaux, associé de Cognizant, se veut positif : « Ces opportunités ne dureront qu’un temps car elles ne vont clairement pas dans la direction souhaitée par le régulateur ».
Pour aller plus loin, retrouvez l’étude d’IEX dans la version digitale de L’Agefi Hebdo
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