L’école à la maison pendant le confinement

Dès l’annonce de la fermeture des écoles pour stopper la propagation du Covid-19, l’Éducation nationale a demandé aux enseignants et aux parents d’assurer une tâche complexe et inédite en situation de confinement : la continuité pédagogique. Suite aux remontées de parents et de spécialistes pointant les inégalités et le malaise parental face à cette situation, l’Éducation nationale réajuste actuellement son discours et ses propositions. Une modification absolument nécessaire selon Benoît Urgelli, chercheur en sciences de l’éducation.

Le confinement, et avec lui l’école à la maison, renforce-t-il les inégalités entre enfants ?

En tant que parent, le confinement a conduit à se poser des questions pressantes : comment faire pour que mon enfant ne prenne pas de retard ? Comment lui éviter le décrochage, s’il était déjà en situation difficile avant ? Comment faire pour qu’il se mette au travail, sans que cette obligation alourdisse les relations parents-enfants ?

Les parents qui veulent “maintenir le niveau” à tout prix, voire rattraper le retard d’apprentissage de leur enfant, et avancer dans les programmes scolaires se trouvent donc sous pression. Si on partait de l’hypothèse que tous les parents ont les mêmes compétences vis-à-vis des apprentissages scolaires, alors les écarts ne se creuseraient pas. Nous pourrions être plus tranquilles : tous les enfants seront au même “niveau” au moment de retourner à l’école. Mais la réalité est tout autre !

On sait que les parents et les enseignants n’ont pas le même rapport à ce que veut dire “apprendre”. Même entre parents et entre enseignants, des divergences existent sur ce qu’il est important d’apprendre, sur la manière dont l’enfant apprend et sur son rôle dans la relation pédagogique. Chaque élève étant placé dans un contexte familial spécifique, il est nécessairement dans une situation de prise en charge éducative différente, et donc inégale vis-à-vis des apprentissages scolaires.

Comment bien comprendre ce que demande l’Éducation nationale aux parents ?

Au début du confinement, la demande adressée aux enseignants et aux parents a été de continuer à avancer dans les apprentissages initialement programmés dans les classes. Les enseignants ont donc transmis leurs activités pédagogiques aux parents, avec des aménagements nécessaires malgré tout. Les parents devaient donc prendre une part active à ce programme de continuité pédagogique.

Mais les premiers retours ont été très critiques et anxieux : les parents ont eu un sentiment de sur-responsabilisation mêlée à de la culpabilité. En voulant répondre à toutes les attentes de l’enseignant, et en cherchant à organiser la maison comme l’école, les familles ont vite fait le constat qu’ils ne savaient pas faire. Certains se sont mis en tête de faire le programme envoyé malgré tout, en se centrant sur l’apprentissage de savoirs scolaires, parfois avec une approche compétitive : “il faut absolument que tu fasses tout, régulièrement, et vite et bien !”. Rappelons ici que cette approche centrée sur l’acquisition performante des savoirs risque de faire oublier une autre mission complémentaire donnée à l’école : l’apprentissage de compétences et de valeurs, de savoir-faire et de savoir-être, comme la coopération, le vivre-ensemble ou la confiance.

Les principales remontées familiales que nous avons récoltées disaient : “je n’y arrive pas, je culpabilise et je commence à m’énerver”.  Dans la situation de confinement, les parents ont aussi d’autres fonctions à assumer. Ils peuvent être en télétravail et avoir à gérer plus de tâches matérielles que d’habitude, d’autant plus que l’accompagnement pédagogique peut porter sur plusieurs enfants d’âges scolaires différents.

Heureusement, les enseignants et les directeurs d’école ont très vite corrigé le tir. L’idée est désormais de ne pas nécessairement avancer dans les programmes mais a minima de consolider les acquis tout en veillant à la santé mentale et physique des enfants et de la famille. L’école demande aux parents de faire ce qu’ils peuvent, comme ils peuvent, et s’ils ne le font pas très bien, ce n’est pas grave : les professionnels reprendront là où les enfants en seront. Un discours qui a permis à beaucoup de parents de déculpabiliser et de s’apaiser en lâchant prise, tout en libérant une créativité pédagogique extraordinaire, en lien malgré tout avec les attentes scolaires.

Je dirais aux parents qu’il ne faut surtout pas avoir honte ou peur devant leurs enseignants. Ils vivent également difficilement le confinement de leurs élèves. On peut évoquer sincèrement avec eux nos difficultés, sans avoir peur d’être jugés. Chacun fait comme il peut ! Avec estime, écoute et dialogue compréhensif, parents et enseignants peuvent construire des solutions ensemble face à cette situation inédite. L’éducation n’est pas qu’une affaire enseignante, nous le savons tous, et c’est le moment de partager nos expériences pour le bien-être de nos enfants. La situation de confinement nous pousse vers une expérimentation de co-éducation inédite.

Déculpabiliser les parents et alléger les injonctions à suivre les programmes scolaires était donc nécessaire. La santé mentale de nos enfants et des familles est trop importante. N’oublions pas qu’ils font face, comme tout le monde, à une perte de repères : il n’y a plus école, ils ne voient plus leurs copains, les parents font faire des devoirs à la place de la maîtresse, en perdant souvent patience… Bien plus que de suivre le programme, il me paraît important que les parents mettent du sens et des mots sur ce vécu éloigné de l’ordinaire. Cette période peut et doit devenir une opportunité pour repenser la relation éducative et expérimenter pédagogiquement ensemble.

Comment parler de cette situation particulière du confinement avec nos enfants ?

Mon principal conseil serait d’éviter une forme de “tyrannie de la certitude”. Nous sommes dans une situation incertaine. Et la première leçon éducative, c’est qu’il faut apprendre à vivre et à construire avec l’incertitude et la notion de risques, qui, comme l’impermanence, font partie de la vie !

Apprenons aussi à temporiser, à prendre le temps de réfléchir et de douter, de poser des questions, même lorsqu’elles nous paraissent naïves, à chercher des réponses ensemble, à imaginer des scenarios explicatifs, tout en co-construisant des choix rassurants. Dans ce moment particulier, il faut apprendre le langage et la discussion bienveillante. Les enfants se demandent ce qu’il se passe, pourquoi nous sommes confinés, pourquoi des gens meurent. Ce sont des sujets difficiles, mais de nombreux supports existent, comme par exemple des albums de jeunesse. La vie, la mort, le temps, l’espace, les relations aux autres, à l’enfance, sont des questions qui peuvent nous aider à comprendre ce que nous vivons, chacun de manière différente et tout aussi respectable. En se faisant confiance, on peut arriver à en parler, et à en débattre, loin des certitudes.

Se poser, prendre le temps d’écrire, de lire, de discuter en famille, de se regarder, de s’ennuyer et de rêver : c’est aussi une belle forme de continuité pédagogique ! Alors allons-y, prenons le temps, et tentons des instants de lâcher-prise dans la journée. L’apprentissage n’est pas une question de vitesse et de stimulations permanentes, il se fera de toute façon. Faisons confiance à nos enfants et veillons à ne pas déraper dans la compétition et la course aux savoirs scolaires.

Que conseiller à des parents qui ne savent pas comment aborder ces sujets ?

Les psychopédagogues nous apprennent que “la guidance parentale” n’est pas innée et qu’elle s’apprend. Elle doit se fonder sur des principes éthiques, comme l’écoute, le respect de l’autre et la bienveillance, et des pratiques langagières qui consistent, par exemple, à apprendre à faire une demande. Je suis convaincu que la responsabilisation de nos enfants doit être au fondement d’une posture éducative qui les aidera à grandir.

Évidemment, dans notre expérience scolaire et familiale, nous n’avons pas tous eu la chance d’apprendre en confiance, mais n’oublions pas que nous avons aussi appris de manière autonome ! Dans certaines familles, et parfois chez certains enseignants, on entend trop souvent : “il ne peut pas comprendre, il est trop petit, il n’a pas le niveau, il manque de logique…”. Ces jugements de valeurs nous conduisent à nous interdire de discuter avec les enfants de certains sujets. Ce regard pesant sur l’enfant freine ses apprentissages et peut être source d’inégalité et de perte d’estime.

Il est des postures éducatives, comme la négociation, le dialogue, l’implication de l’enfant dans la résolution d’un problème, que ce confinement peut conduire à expérimenter, tout en continuant à poser des cadres sécurisants, rigoureux et dans la mesure du possible, co-construits.

Historiquement, c’est d’ailleurs dans des situations sociales extrêmes que sont apparues les méthodes dites de “l’éducation nouvelle”. À l’issue de la Première Guerre mondiale, de nombreuses initiatives pédagogiques ont été proposées à travers le monde, se fondant sur la coopération, la solidarité et la discussion. À l’issue du confinement, que deviendront les approches de l’apprentissage que nous expérimentons actuellement ? C’est une question qu’il ne faudra pas perdre de vue.

Comment faire concrètement ?

On peut organiser des moments où l’on va “construire ensemble”, en se faisant confiance et en veillant à la sécurité. Pour développer l’autonomie, la responsabilité et la prise d’initiatives des enfants, quoi de mieux que de cuisiner, réaménager le salon, bricoler, mesurer, compter, classer… Suivant le degré de confiance que vous accordez à votre enfant, ces activités peuvent prendre des sens et une portée éducative bien différente. Le philosophe chinois Confucius disait : “Dis-moi et j’oublierai, montre-moi et je me souviendrai, implique-moi et je comprendrai”.

Lorsque l’enfant est placé dans une situation visant à développer son autonomie, il va être dans l’obligation d’imaginer les conséquences de ses choix, et les incertitudes associées, et il va assumer la responsabilité de ce qu’il propose. Il va se demander : comment faire ? Et pas seulement pour faire plaisir à la maîtresse ou à ses parents ! Comment réussir et pourquoi je me trompe ? Il va donc réfléchir, tester, essayer de nouvelles pistes. Donnons-lui confiance. Parfois, ça ne marchera pas. Et bien lorsque ça ne marche pas, ce n’est pas une bêtise : c’est un apprentissage pour la vie !

Monique Ferrerons, présidente de la FCPE du Rhône et de la Métropole de Lyon nous lance un défi pour s’exercer à une posture bienveillante et exigeante envers nos enfants. Pour favoriser la coopération entre tous les membres de la famille, elle nous invite à essayer, aujourd’hui, de parler en utilisant le “je”. “Tu fais trop de bruit” deviendra “j’ai besoin de silence, de calme”. Elle nous invite à annoncer ce défi, et à le partager avec les enfants qui eux aussi s’y exercent : “Tu peux m’aider” deviendra “J’aurais besoin d’aide”. Puis le soir venu, racontons-nous le moment où j’ai eu besoin de l’aide de l’autre pour trouver comment dire les choses, en passant par le “je”.

Enfin, certains conseillent d’aménager des temps de lectures, d’écriture et de jeux, en autonomie ou en famille. Rappelons ici le communiqué de l’Observatoire des violences ordinaires éducatives. Il précise que “quasiment toute la presse insiste sur l’importance de faire faire des devoirs aux enfants. Nous invitons les familles à se démarquer de cette injonction et à privilégier des moments d’échange et de plaisir librement choisis autour de jeux ou de lectures. Dans ce contexte très particulier, le temps passé en famille doit rester un temps de réassurance et l’espace familial demeurer un espace sécure pour les enfants.” À méditer…


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Benoit Urgelli est chercheur en sciences de l’éducation à l’université Lyon-II. Il est également administrateur de la Fédération des Conseils de Parents d’Élèves (FCPE) du Rhône et de la Métropole de Lyon.


Les ressources éducatives à découvrir en période de confinement :

À lire :

  • “Parler pour que les enfants écoutent, écouter pour que les enfants parlent” de Adèle Faber et Elaine Mazlich, éditions Phare : des outils concrets partant de l’expérience des parents.
  • “Le petit livre des pédagogies alternatives”, de Catherine Piroud-Rouet, éditions First.
  • “La joie d’apprendre ensemble – 150 activités ludiques pour cultiver le langage et le plaisir de lire”, Alain Bentolila, éditions First.

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