Alain Destexhe: "Il faut un courant libéral-conservateur au sein du MR"
- Publié le 07-03-2018 à 06h46
- Mis à jour le 07-03-2018 à 10h24
Le député bruxellois Alain Destexhe se démarque souvent du reste du MR dans ses prises de position. Il est partisan d’une droite décomplexée, un peu sur le modèle de la N-VA. Il sent le vent électoral tourner en faveur de la droite un peu partout en Europe, encore ce dimanche en Italie. Dans un entretien à la "Libre", il invite les libéraux francophones à durcir le ton, notamment sur l’immigration.
Les récentes élections italiennes et d’autres résultats électoraux en Europe font apparaître un glissement vers la droite. La Belgique francophone n’est pas concernée pour le moment. Le MR ne risque-t-il pas à terme de se faire doubler sur sa droite ?
Je souhaite que le MR prenne une orientation plus à droite. Au Royaume-Uni, en Autriche, en Italie, en Allemagne, aux Pays-Bas, la caractéristique des élections récentes, c’est que l’immigration a été un enjeu. C’est même la clef des élections. Le gouvernement de Charles Michel mène une politique tout à fait correcte à cet égard. Mais l’offensive dans les médias pour assumer cette politique est davantage faite par la N-VA que par les leaders du MR. Ces problématiques sont associées à Francken, Jambon et De Wever.
On dit que Theo Francken ne fait qu’appliquer la même politique migratoire que celle de Maggie De Block sous le gouvernement précédent. Faut-il aller plus loin ?
Il faut une politique migratoire restrictive, c’est ce que demande la population. Sous ce gouvernement, on n’a pas changé la politique de réunification familiale. On est toujours dans le cadre de la réforme menée par le gouvernement Di Rupo. On n’a pas réformé non plus le code de la nationalité pour durcir l’accès à la nationalité belge. Il reste des chantiers pour la prochaine législature.
Le MR doit-il se transformer en un parti conservateur ?
Mon modèle idéal serait que le MR accepte qu’il y ait des courants en son sein. Des courants plutôt de gauche comme le libéralisme social incarné par Richard Miller. Mais il faut aussi qu’à côté de cela, des courants de droite puissent exister. Et que le parti, à la fin, assure la synthèse. Helmut Kohl avait toujours cette formule : "Rien à la droite de la CDU et de la CSU." Je pense qu’on a intérêt aussi à accepter l’idée qu’une partie de notre électorat se reconnaîtrait davantage dans un discours plus dur : plus ferme sur l’intégration, plus drastiquement en faveur de la réduction des dépenses publiques et des impôts…
Comment classeriez-vous ce courant interne auquel vous aspirez ?
Un courant libéral-conservateur : libéral en matière d’économie et de défense des libertés, mais conservateur dans la mesure où l’on veut "conserver" une certaine tradition, une certaine histoire de Belgique, une certaine manière de vivre. Un certain nombre de gens se sentent menacés à ce sujet.
Dans votre parti, les décideurs vous écoutent ou bien votre demande de "droitisation" reste lettre morte ?
Pour le moment, il y a une très forte solidarité au sein du parti car nous sommes comme une citadelle assiégée : on a tout le monde contre nous. Donc, quand je parle d’un courant plus à droite, je parle bien dans un esprit unitaire. Il ne s’agit pas de devenir comme "Les Républicains", avec ses factions explosées…
Dans les programmes électoraux, le MR se profile comme une formation plutôt centriste.
Je vous accorde que les textes fondateurs du parti sont encore fort inspirés par le libéralisme social. Beaucoup de parlementaires MR sont arrivés en politique durant le règne de Louis Michel et ils en portent encore l’héritage. Beaucoup au MR ont encore cette sensibilité de centre-gauche qui ne colle plus à une partie de nos électeurs. On reste trop influencé par la culture du compromis : on a toujours dû faire des alliances contre-nature pour gouverner. Avec le PS, par exemple. Le MR a intégré cette idée qu’il ne faut pas trop s’éloigner du centre. Mais, au fédéral, il a été possible de changer cela. On doit donc continuer à présenter une alternative claire et ne pas avoir peur d’assumer une politique nettement libérale et conservatrice.
La N-VA est un modèle pour vous ?
Oui, à part le nationalisme. La N-VA a osé un programme radical et les électeurs apprécient le fait qu’elle ne fait pas de compromis dans son discours. Si on osait faire comme la N-VA sur l’immigration et l’intégration, le MR serait à 30 %. Oui, la N-VA est un modèle. Elle a son propre plan et ses idées et elle les défend peu importe l’agenda médiatique. Au MR, on a encore un peu trop peur des médias…
La doctrine libérale repose sur la philosophie des Lumières, sur la libre circulation… L’ADN du MR pourrait empêcher toute droitisation. En particulier sur l’immigration.
Je suis en désaccord avec cette idée. Le libéralisme traditionnel d’Adam Smith, de Pareto et d’autres ne s’est jamais inscrit dans la libre circulation des personnes. Au contraire, le libéralisme s’est toujours inscrit dans un cadre de nationalités et de nations constituées et organisées. C’est seulement depuis 20 ans qu’on essaie de réécrire l’histoire. Les frontières ouvertes, ce n’est pas du tout dans la doctrine libérale.