Publicité

Le Grand Conseil neuchâtelois envisage la parité: un regard sur l’expérience valaisanne

OPINION. Alors que le Grand Conseil neuchâtelois s’apprête à se prononcer sur une proposition de représentation paritaire, Christel Rey-Mermet et Johan Rochel évoquent les trois leçons de leur «Appel citoyen» en Valais, qui prônait la même approche lors de la primaire pour la Constituante

Affiches électorales lors d’un scrutin cantonal. Neuchâtel, mars 2017. — © KEYSTONE/Laurent Gillieron
Affiches électorales lors d’un scrutin cantonal. Neuchâtel, mars 2017. — © KEYSTONE/Laurent Gillieron

Lors de sa séance de mai, le Grand Conseil neuchâtelois pourrait décider d’accepter la proposition d’une représentation strictement paritaire en son sein: 50 députées et 50 députés. Selon l’idée du député PS Baptiste Hunkeler, les 100 parlementaires cantonaux seraient choisi-es sur deux listes séparées. En pratique, chaque personne recevrait deux bulletins de vote, l’un portant sur les candidates et l’autre sur les candidats. Ce principe est proposé comme mesure transitoire. En effet, trois élections consécutives (c.-à-d. 12 ans) seraient organisées selon ce principe, avant de revenir à une élection standard. Selon les défenseurs du projet, ces trois élections devraient permettre de profiler de nouvelles députées, de stimuler un renouvellement des habitudes dans les partis et d’accélérer un changement en matière de représentation des femmes dans les instances électives.

L’un des contre-arguments volontiers utilisé pour combattre l’idée porte sur le manque de candidatures féminines. Sur la base d’une expérience comparable menée en Valais, nous sommes au contraire convaincus que ce projet est porteur d’un immense potentiel et qu’il n’y aura aucun problème de recrutement. Au printemps 2018, le mouvement non partisan «Appel citoyen» a lancé une «primaire digitale» pour ses listes de candidat-es à la Constituante valaisanne. 151 personnes se sont lancées dans l’aventure pour 96 places disponibles, réparties de manière strictement paritaire (48 pour les femmes et 48 pour les hommes). Au moment de désigner les candidat-es officiels de chaque district, les membres de la communauté Appel citoyen ont voté séparément pour les femmes et pour les hommes. Cette primaire digitale est très proche de l’idée neuchâteloise et les expériences tirées de cette aventure pourraient intéresser nos collègues neuchâtelois.

Un exercice périlleux

La première leçon porte sur le nombre et la qualité des candidates. Convaincre les candidates potentielles reste un exercice périlleux. Les réticences portent par exemple sur l’organisation (investissement en temps, rythme des séances, impact sur les soirées) ou les compétences nécessaires (suis-je suffisamment compétente?). Cependant, les chiffres de la primaire Appel citoyen parlent d’eux-mêmes: 77 hommes et 74 femmes étaient en lice pour conquérir les 48 sièges dévolus à chaque sexe. La perspective d’avoir une chance d’être élue grâce à une véritable place éligible sur une liste change toute la donne et, surprise, provoque des vocations. Petite note ironique: dans certains districts, le critère de parité a protégé les hommes, trop peu nombreux à être candidats.

Les candidates potentielles comprendront très vite qu’on ne leur vend pas des illusions, mais une opportunité bien réelle

La deuxième leçon de l’aventure Appel citoyen porte sur la cohérence du discours. Les candidates appelées en catastrophe dans les dernières semaines avant la date de remise des listes ne sont pas stupides, elles sentent bien qu’elles sont des candidates alibis. Bien que réellement compétentes, intéressées et motivées par la chose publique, elles sont encore trop souvent placées sur des listes comme des faire-valoir de leurs collègues masculins, permettant ainsi d’éviter une critique trop frontale. Le système neuchâtelois aurait le mérite de forcer la cohérence. Si l’égalité est véritablement une valeur importante, alors la mesure en discussion permet de la réaliser. Les candidates potentielles comprendront très vite qu’on ne leur vend pas des illusions, mais une opportunité bien réelle. Elles répondront présent, car leurs compétences et leurs atouts seront pris au sérieux et considérés comme un enrichissement des débats et des perspectives.

Comme dans un club de sport

La troisième leçon porte sur la dynamique au sein des partis (surtout les partis de droite). Ceux-ci pourraient être tentés de refuser la proposition, sentant bien que les trois élections paritaires seront compliquées pour eux en matière de recrutement. Comme dans un club de sport, pas facile d’inventer une relève sans avoir mis en place un ambitieux système de recrutement, d’entraînement et de promotion interne. Le système Appel citoyen et le projet neuchâtelois récompensent ceux qui sont crédibles sur la question de l’égalité. Cela peut être douloureux dans le court terme. Néanmoins, à moyen terme, c’est tout le système incitatif qui évolue pour stimuler les partis à créer cette relève et profiler des candidat-es de qualité, hommes comme femmes. L’effet le plus intéressant de la solution neuchâteloise ne se joue donc pas lors de la première élection de ce nouveau Grand Conseil paritaire, il est à chercher dans les assemblées des partis et dans le rééquilibrage des logiques de pouvoir à l’œuvre. Afin d’attirer hommes et femmes compétent-es sur leur liste, les partis devront étoffer et diversifier leurs arguments et leurs bonnes pratiques. Les trois élections paritaires vont insuffler une nouvelle énergie dans l’ensemble du système politique neuchâtelois: une belle contribution à l’égalité des chances!

Christel Rey-Mermet et Johan Rochel sont les cofondateurs de l’Appel citoyen.

A propos de l’association valaisanne

Le Valais à l’ère de la démocratie digitale (une tribune de Johan Rochel)En Valais, le triomphe d’Appel CitoyenEn Valais, Appel citoyen joue la carte de la transparence