La question a fini par l’agacer. On avait essayé de l’amener prudemment, de revenir à la charge délicatement, imaginant l’accusation suffisamment violente pour affecter un homme qui a consacré toute sa vie à une « science » brusquement rapportée au statut d’attrape-nigaud, un entrepreneur qui a investi (et gagné) des millions d’euros dans la production de « médicaments » homéopathiques qu’une cohorte de médecins jugent aussi efficaces que des dragées de mariage.
Alors, qu’est-ce que cela fait d’être traité de charlatan ? Christian Boiron n’a pas cillé, l’esquisse de sourire est restée affichée sur le visage fin, le regard clair a gardé son étincelle. Mais il a rajusté le col de son polo bleu ciel avant de pencher le buste plus avant vers le bureau : « Je vous ai déjà dit que je suis le plus heureux des hommes, que ces insultes ne m’affectent pas… Si vous me posez encore une fois la question, je m’en vais… Qui parle de charlatan ? Je pourrais répondre que ce sont des connards. Mais il faut avoir de la considération pour soi afin d’en avoir pour les autres, et c’est mon cas. Ce n’est pas la première fois que l’on nous attaque, le seul changement, c’est la violence des propos. »
Face à lui, dans son cadre doré qui jure un peu avec le décor moderne et froid de la pièce, le portrait à l’huile d’un homme à moustache anglaise et barbichette lance un œil vaguement las sur ce monde. C’est Léon Vannier, médecin homéopathe qui, en 1926, avait fait passer la pharmacopée de l’artisanat des officines à la fabrication industrielle en créant les Laboratoires homéopathiques de France.
A l’époque, déjà, le bon docteur prétendait « faire une médecine propre et adaptée aux connaissances modernes de la médecine et ainsi lutter contre (…) l’opposition rencontrée dans les milieux officiels ». Des mots qui, ce mercredi 15 mai, trouvaient une étrange résonance dans les bureaux de Boiron, devenu leader mondial de l’homéopathie après avoir racheté, parmi tant d’autres, l’entreprise fondée par Léon Vannier : le matin même, des fuites vers le quotidien Libération avaient annoncé que la commission de la transparence de la Haute Autorité de santé (HAS) était sur le point de rendre un avis appelant au déremboursement de l’ensemble des produits homéopathiques.
Théoriquement, cette décision préliminaire aurait dû rester confidentielle, jusqu’à ce que les trois laboratoires concernés (le leader français Boiron, Lehning et Weleda) puissent faire valoir leurs observations et être entendus par la commission qui doit remettre son avis définitif à la fin du mois de juin. Mais le lendemain, d’autres confidences, prodiguées à France-Info puis au Monde, précisaient la menace en détaillant le « projet d’avis » : retenant « l’absence de démonstration d’efficacité » des traitements homéopathiques et « l’absence de démonstration de leur impact sur la santé publique », la HAS donne « un avis défavorable au maintien de [leur] prise en charge par l’Assurance-maladie », jusque-là remboursés à hauteur de 30 %.
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