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Grande conso

Comment Kusmi Tea a transformé du thé en or

Racheté exsangue en 2003 par un entrepreneur français spécialiste du café, la marque Kousmichoff a devancé le chiffre d'affaires de Mariage Frères dans l'Hexagone. Retour sur la success story de Kusmi Tea, dopée au marketing.

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Grâce à son marketing inspiré du luxe, Kusmi Tea a réussi à ringardiser en 15 ans les leaders du marché Mariage et Damman Frères.

Grâce à son marketing inspiré du luxe, Kusmi Tea a réussi à ringardiser en 15 ans les leaders du marché Mariage et Dammann Frères.

Julien Philippy pour Kusmi Tea

Qui s'étonne encore d'acheter du thé dans des boutiques aux murs blancs, dans de grandes boîtes colorées avec inscrit Paris 1867 sur la boîte? Ou de retrouver les mêmes dans les Monoprix? Kusmi Tea est désormais partout. La marque a supplanté Mariage Frères ou Dammann dans l'Hexagone et table sur 90 millions d'euros de chiffre d'affaires cette année, une hausse de 22% après une augmentation de 10% en 2016. En clair, le business tourne très bien pour l'ETI (entreprise de taille intermédiaire) française de 630 salariés qui a réussi à ringardiser ses concurrents.

Le storytelling raconté à l'envi veut que Sylvain Orebi et son frère soient tombés dans la marmite du thé un peu par hasard. Les deux hommes sont alors des "gringos" qui voyageaient dans les pays producteurs de café pour acheter à des producteurs latino-américains, asiatiques ou africains leurs productions. En 2001, les frères Orebi rachètent la société havraise Olivier Langlois qui importe du café. Et ils découvrent que celle-ci faisait aussi du thé. Convaincu du potentiel de croissance inexploité du marché, Sylvain Orebi cherche la pépite qui pourrait faire décoller son business. En 2003, il la trouve dans une arrière-cour du XVIIème. Kousmichoff, la belle endormie, semble attendre son Prince charmant.

"Faire la marque de thé premium leader au monde"

Créée en 1867 à Saint-Pétersbourg, la marque a suivi les soubresauts de la Russie. Elle a épousé les goûts des tsars en créant en 1888 le thé Prince Wladimir pour fêter les 900 ans du baptême de la Russie par Saint Vladimir. Elle a senti le vent tourner en 1917 et s'installe à Paris avant la révolution d'octobre dans d'anciennes écuries au 75 Avenue Niel. Puis la famille fondatrice est obligée de céder la main en 1972. Sylvain Orebi fonce et rachète l'affaire pour 500.000 euros à des septuagénaires au bord de la faillite.

Exit Kousmichoff, place à Kusmi Tea, un nom qui sonne mieux, plus facile à retenir et donc à vendre. "Il y avait beaucoup de fondamentaux très positifs chez Kusmi raconte Sylvain Orebi à l'étage de son flagship gigantesque sur les Champs-Elysées. Les boîtes colorées existaient déjà et on les a mis au goût du jour. Les thé Anastasia ou Prince Wladimir existaient avec de vrais adeptes. Et surtout il y avait une marque avec une histoire extraordinaire de 150 ans. Je me suis dit, tu tiens quelque chose pour faire la marque de thé premium leader au monde".

 

Une cible féminine à 75%

Pour Peter Spier, professeur de marketing à Skema, l'histoire de Kusmi ressemble à un cas d'école."Il y a un parallèle avec le succès de Starbucks dans le café. Les deux marques se sont positionnés dans un secteur en attente d'innovation, avec un marché mûr avec un produit riche de sens, où il est facile d'écrire des histoires autour de la Russie, les tsars, le bon goût et l'aristocratie. Car en réalité entre Saint-Pétersbourg et Paris et leur usine du Havre, il y a vraiment une différence". Dès 2005, Kusmi débarque dans les Monoprix alors que l'entreprise ne réalise qu'un million d'euros de chiffre d'affaires. "Lorina a fait la même chose il y a quelques années en arrivant aussi dans les Monoprix. A l'époque, la limonade était une boisson pour enfants qu'on achetait dans de grandes bouteilles en plastique. Ils ont changé le packaging et la perception du produit".

En 2007, Kusmi mise sur la création de la ligne bien-être et détox, en communiquant via la presse féminine. Le succès est au rendez-vous. "Notre cible est à 75% féminine concède le patron de Kusmi même si on a vocation à aller chercher plus d'hommes et l'ensemble de la population". Peter Spier a une idée sur les raisons du succès de cette communication détox ciblée sur les femmes. "Les publicités Kusmi montrent un monde où la femme a le dessus et où elle sont dominantes. Ils valorisent l'image de la femme avec un côté sensuel clair qui séduit".

En 2012, Kusmi ouvre son flagship sur les Champs et annonce à l'époque une marge opérationnelle de 12,7% pour 23 millions d'euros de chiffre d'affaires. Kusmi décide de refaire apparaître le nom d'origine Kousmichoff en ouvrant un café à son nom. L'expérience ne sera pas concluante et le café sera remplacé par la suite par une machine à infuser futuriste (voir vidéo). Preuve en est que Kusmi peut lancer des initiatives malheureuses dans un marché du thé premium en croissance de plus de 10% par an. Aujourd'hui, outre la distribution dans les Monoprix, le groupe a 55 boutiques en propre et une dizaine en franchise en régions. D'ici quelques années, Kusmi vise 100 à 110 boutiques.

"Pour mes concurrents, le marketing est un gros mot"

Quand on parle du poids du marketing dans la success story de Kusmi, Sylvain Orebi fronce les sourcils et le débit de mots s'accélère. "Pour mes concurrents le marketing est un gros mot. C’est dommage car c’est ce qui fait tourner le monde aujourd’hui. Marketing ne veut pas dire mauvais produit. Cela veut dire prendre les outils qui conviennent pour mettre un produit sur le marché. Nous avons un bon produit et nous savons le vendre. Certains ont un bon produit et ne savent pas le vendre. D’autres ont un mauvais produit et ne savent pas le vendre". Alors qu'on le questionne sur un autre sujet, le patron de Kusmi en remet une couche, signe qu'on a touché la corde sensible. "J’ai fait le choix du marketing, je l’assume complètement et il est basé sur un bon produit. Les gens aiment notre façon de communiquer mais avant tout nos produits".

"Ils ont réussi à adopter les codes du luxe et de la cosmétique, note Peter Spier. Kusmi est un bon exemple d'une marque qui rafraîchit un marché en apportant une nouvelle perception du produit et de son utilisation. Ils ont réussi à faire du thé un élément de style de vie tendance tout en contrôlant les différents aspects: la marque et son histoire mêlant une certaine authenticité dans un mélange de tradi-trendy avec une bonne distribution et communication. Une belle performance".

15 à 25 millions d'euros de levée de fonds

Dernièrement Kusmi s'est même permis une collaboration avec Evian pour construire une gamme de boissons au thé. "Il existe une vraie légitimité dans une boisson au thé entre Evian et Kusmi car l’eau est l’élément fondamental du thé" développe le patron de Kusmi. L'entreprise est toujours dirigé par les frères Orebi qui conservent une majorité au capital après 4 levées de fonds pour 8 millions d'euros auprès du fonds d'Audacia, présidé par Charles Beigbeder, qui détient 5% de l'entreprise. A moyen terme "nous aurons besoin de 15 à 25 millions d'euros pour notre croissance à l'international" reconnaît l'ancien "gringo" qui n'entend pas "faire entrer de grands fonds mais plutôt des personnes qui ont la même vision du développement de l'entreprise".

Du coup que peut risquer Kusmi dans sa croissance exponentielle depuis une dizaine d'années? "Leur faiblesse c'est si les personnes se soucient vraiment de la qualité du thé qu'ils utilisent, précise Peter Spier. Il vient de grossistes en Allemagne et ils ne sont pas en contact avec les lieux de production". Et l'entreprise affirme que les huiles essentielles qu'elle utilise proviennent de parfumeurs. Le principal risque pour Kusmi est donc de ne plus être dans le coup. "Le problème avec ce qui est tendance, c'est qu'il faut pouvoir se renouveler assez vite", note le professeur de marketing. 

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