Pourquoi le design thinking est efficace
Il permet d'éliminer les préjugés et les comportements qui freinent l'innovation.
LA CAUSE
Les préjugés individuels et les habitudes comportementales les empêchent d’exercer librement leur imagination et maintiennent inexprimées des hypothèses concernant ce qui est susceptible ou pas de fonctionner.
LA SOLUTION
Le design thinking fournit un processus structuré qui aide les innovateurs à s’affranchir de tendances contre-productives qui nuisent à l’innovation. Comme le management par la qualité totale (MQT), c’est une technologie sociale associant outils pratiques et connaissances sur la nature humaine.
LE PROBLÈME
Bien que nous ayons une connaissance approfondie des pratiques qui stimulent les nouvelles idées et les solutions créatives, la plupart des équipes d’innovation ont du mal à en exploiter concrètement les avantages.
LA CAUSE
Les préjugés individuels et les habitudes comportementales les empêchent d’exercer librement leur imagination et maintiennent inexprimées des hypothèses concernant ce qui est susceptible ou pas de fonctionner.
LA SOLUTION
Le design thinking fournit un processus structuré qui aide les innovateurs à s’affranchir de tendances contre-productives qui nuisent à l’innovation. Comme le management par la qualité totale (MQT), c’est une technologie sociale associant outils pratiques et connaissances sur la nature humaine.
Il arrive qu’une nouvelle méthode d’organisation du travail débouche sur des améliorations extraordinaires. C’est ce que le management par la qualité totale (MQT) a permis d’obtenir dans les années 1980 en combinant un ensemble d’outils – cartes kanban, cercles de qualité, etc. – avec l’idée que le personnel en usine pouvait effectuer un travail de bien meilleure qualité que ce qu’on lui demandait habituellement de faire. Ce mélange d’outils et de connaissances, appliqué à un processus de travail, peut être considéré comme une technologie sociale.
Dans le cadre d’une étude récente menée sur une période de sept ans, j’ai examiné en profondeur cinquante projets provenant de différents secteurs (commerce, santé, social). J’ai constaté qu’une autre technologie sociale, le design thinking, pouvait précisément servir l’innovation comme le MQT avait pu le faire pour le secteur manufacturier en libérant les énergies créatives des travailleurs, en favorisant leur engagement et en améliorant radicalement les processus. A ce jour, la plupart des cadres ont, si ce n’est testé, du moins entendu parler des outils de design thinking : recherche ethnographique, recentrage sur la reformulation des problèmes ainsi que sur l’expérimentation, utilisation d’équipes diversiŠfiées, etc. Mais ce que les gens ne comprennent peut-être pas, c’est la façon plus subtile dont le design thinking permet de contourner les a priori, comme le fait de s’en tenir au statu quo ou de s’accrocher à des normes comportementales spécifiques («ŽOn a toujours fait comme çaŽ») qui ne cessent de paralyser l’imagination.
Dans cet article, je vais explorer toute une palette de comportements qui entravent l’innovation et je vais décrire comment la boîte à outils du design thinking et des étapes de processus claires aident les équipes à s’en libérer. Commençons par examiner ce dont les entreprises ont besoin en matière d’innovation et les raisons pour lesquelles leurs efforts en ce sens échouent souvent.
Les défis de l’innovation
Pour qu’il fonctionne, un processus d’innovation doit permettre d’obtenir trois choses : de meilleures solutions, une baisse des risques et des coûts de changement, et l’adhésion des employés. Au —fil des ans, les entrepreneurs ont conçu des tactiques utiles pour atteindre ces objectifs. Mais, en essayant de les appliquer, les organisations se heurtent souvent à de nouveaux obstacles qui les obligent à faire des compromis.
De meilleures solutions. DéŠfinir les problèmes de manière évidente et conventionnelle conduit, bien entendu, à des solutions évidentes et conventionnelles. Poser une question plus intéressante peut aider les équipes à découvrir des idées plus originales. Le risque est que certaines équipes bloquent indéŠfiniment sur l’exploration d’un problème, tandis que les managers, tournés vers l’action, sont trop impatients pour prendre le temps de comprendre quelle question ils devraient poser.
Il est également largement admis que les solutions sont bien plus performantes lorsqu’elles intègrent des critères axés sur l’utilisateur. Grâce aux études de marché, les entreprises comprennent ces critères, mais, en fait, le souci est qu’il est difficile pour les clients de savoir qu’ils désirent quelque chose qui n’existe pas encore.
EnŠfin, il est également connu qu’ouvrir la réŸflexion à d’autres avis améliore les solutions. Des diœfficultés de gestion peuvent toutefois apparaître si les conversations entre interlocuteurs ne partageant pas le même point de vue se transforment en débats controversés.
Abaissement des risques et des coûts. L’incertitude est inévitable dans l’innovation. C’est pourquoi les innovateurs se constituent souvent un éventail d’options. La contrepartie, c’est qu’un trop-plein d’idées entraîne une dilution de la concentration et des ressources. Pour gérer cette tension, les innovateurs doivent être disposés à abandonner les mauvaises idées – à «Žappeler un chat un chatŽ», comme l’a décrit un des managers que j’ai rencontrés pour une étude. Malheureusement, les gens trouvent souvent plus facile de supprimer les idées créatives – et sans doute les plus risquées – que d’écarter les idées incrémentielles.
Adhésion des employés. Une innovation ne réussira que si les employés d’une entreprise y souscrivent. Le moyen le plus sûr de gagner leur soutien est de les impliquer dans le processus de génération des idées. Mais le danger est de réunir autour d’une table un grand nombre de personnes ayant des buts différents, car cela engendrera chaos et incohérence.
Les compromis que demandent ces résultats constituent une contrainte plus importante encore. Dans un environnement stable, l’eœfficacité est atteinte lorsqu’on se débarrasse des divergences au sein de l’organisation. Mais, dans un monde instable, les divergences deviennent les alliées de l’organisation, car elles ouvrent de nouveaux chemins vers la réussite. Cependant, qui peut reprocher aux dirigeants qui doivent atteindre leurs objectifs trimestriels de vouloir renforcer l’eœfficacité, la rationalité et le contrôle centraliséŽ?
Pour gérer tous les compromis, les organisations ont besoin d’une technologie sociale qui se préoccupe de ces obstacles comportementaux ainsi que des a priori contre-productifs. Et, comme je l’expliquerai ensuite, le design thinking est la solution.
La beauté de la structure
Les designers expérimentés se plaignent souvent que le design thinking soit trop ordonné et linéaire. Et, de leur point de vue, c’est certainement le cas. Cependant, les directeurs de l’innovation ne sont généralement pas des designers et ne sont pas habitués à faire des recherches en face-à-face avec les clients, à s’immerger profondément dans leurs points de vue, à cocréer avec les parties prenantes et à concevoir et réaliser des expériences. Structure et linéarité aident les managers à s’adapter à ces nouveaux comportements.
Kaaren Hanson, ancienne directrice du design de l’innovation d’Intuit et désormais directrice du design produit chez Facebook, l’a expliqué : «ŽChaque fois que vous essayez de modifier les comportements, vous devez bien encadrer les gens au début, aŠ n qu’ils n’aient pas à se poser de questions. Une bonne partie de ce que nous faisons est de l’ordre de l’habitude. Il est diœfficile de changer ces habitudes, mais des garde-fous très clairs peuvent nous y aider.Ž»
Grâce à des processus organisés, on évite de s’éparpiller et on a moins tendance à passer trop de temps à étudier un problème ou, au contraire, à passer rapidement à la question suivante. Ils donnent également conŠfiance. La plupart des individus sont dominés par la peur de commettre des erreurs. Ils se concentrent donc plus sur la prévention des erreurs que sur les opportunités à saisir. Ils pré—fèrent ne rien faire plutôt que d’agir, lorsqu’un choix peut déboucher sur un échec. Mais il n’y a pas d’innovation sans actionŽ: se sentir psychologiquement en sécurité est donc essentiel. Les supports physiques et les outils très formatés du design thinking apportent ce sentiment de sécurité, en aidant les innovateurs potentiels à progresser de manière plus assurée, en découvrant les besoins des clients, en produisant des idées et en les testant.
Dans la plupart des organisations, mettre en place une démarche de design thinking recouvre sept activités. Chacune débouche sur un résultat clair que l’activité suivante transforme en un autre résultat, jusqu’à ce que l’organisation parvienne à une innovation que l’on peut mettre à exécution. Mais, dans le fond, il se passe autre chose – quelque chose dont les dirigeants n’ont généralement pas conscience. Bien que l’objectif soit évidemment de comprendre et de modeler les expériences des clients, chaque activité de design thinking implique une redéŠfinition en profondeur des expériences menées par les innovateurs eux-mêmes.
Ce qui fait du design thinking une technologie sociale, c’est sa capacité à neutraliser les partis pris des innovateurs et à changer leur façon de s’engager dans le processus d’innovation.
La découverte du client
En design thinking, les méthodes les plus connues du processus de recherche sont associées pour la plupart à l’identi—fication du «Žjob to be doneŽ». Empruntées à l’ethnographie et à la sociologie, ces méthodes se concentrent sur l’examen d’un parcours client pertinent, plutôt que sur la collecte et l’analyse de données.
Cette exploration recouvre trois stadesŽ:
Immersion. Traditionnellement, la recherche clients a toujours été un exercice impersonnel. Un expert, qui peut très bien avoir ses propres théories sur les préférences des clients, examine les commentaires de groupes de discussion, des enquêtes et, le cas échéant, des données sur le comportement actuel de cette clientèle et il tire des conclusions sur leurs besoins. Plus les données sont de qualité, meilleures sont les conclusions. Le problème, c’est que cela conforte les gens dans leurs certitudes sur les besoins déjà exprimés et reflétés par les données. La lecture qu’ils font de ces dernières est influencée par leurs propres partis pris. Et ils passent à côté des aspirations que les gens n’ont pas exprimées.
Le design thinking adopte une approche différente qui consiste à identiŠfier les besoins cachés en faisant en sorte que l’innovateur vive l’expérience client. Prenons l’exemple de ce qui s’est passé au sein du Kingwood Trust, une organisation caritative britannique qui vient en aide aux adultes atteints d’autisme et du syndrome d’Asperger. Katie Gaudion, membre de l’équipe de design thinking, a fait la connaissance de Pete, un adulte ne parlant pas et atteint d’autisme. La première fois qu’elle s’est rendue chez lui, elle l’a vu se livrer à des actes de toute évidence destructeurs, comme détériorer un canapé en cuir ou entailler un mur.
Elle a commencé par rendre compte du comportement de Pete et a identi—fié le problème ainsi : comment prévenir cette pulsion de destructionŽ? Mais, lors de sa deuxième visite chez Pete, elle s’est demandé : et si les actions de Pete étaient motivées par autre chose que par cette pulsionŽ? Mettant de côté son propre point de vue, elle a observé son comportement et a découvert à quel point il avait l’air satisfait de se livrer à ces activités. «ŽAu lieu d’un canapé en ruine, je me suis mise à voir le canapé de Pete comme un objet enveloppé dans une matière amusante à arracherŽ», a-t-elle expliqué. «ŽEn frottant mon oreille contre le mur et en sentant les vibrations de la musique à l’étage supérieur, j’ai ressenti un léger chatouillement. Ainsi, au lieu d’un mur endommagé, j’ai perçu cette “scariŠfication” du mur comme une expérience audio-tactile agréable et relaxante.Ž»
En s’immergeant dans le monde de Pete, Katie a non seulement pu mieux appréhender ses problèmes, mais elle a également remis en question un a priori non vérifiéŠ à l’égard des résidents du Kingwood Trust, perçus comme des personnes handicapées et qui devaient rester en sécurité. Son expérience l’a amenée à se poser une autre questionŽ: au lieu de s’intéresser uniquement aux handicaps et à la sécurité des résidents, comment sa direction pourrait-elle innover pour que ces derniers se sentent bien et satisfaitsŽ? Cela a conduit à la création d’espaces de vie, de jardins, ainsi que de nouvelles activités visant à permettre aux personnes autistes de mener une vie plus riche et plus agréable.
Donner du sens. Se plonger dans les expériences utilisateurs fournit la matière première d’une étude plus approfondie. Mais trouver des modèles et donner du sens à la masse de données qualitatives recueillies est un challenge important. A maintes reprises, j’ai constaté que l’enthousiasme initial éprouvé face aux résultats obtenus avec des outils ethnographiques s’estompait à mesure que les non-designers étaient submergés par le volume d’informations et la pagaille engendrée par la recherche d’informations plus approfondies. C’est là que la structure du design thinking prend tout son sens.
L’un des moyens les plus ef—ficaces de donner un sens aux connaissances générées par l’immersion est de faire l’exercice de design thinking intitulé «ŽGallery WalkŽ». Les membres de la principale équipe d’innovation sélectionnent les données les plus importantes recueillies pendant la phase de découverte et les notent sur de grandes feuilles de papier. Il s’agit le plus souvent de personnes interviewées, de leur photo et de citations illustrant leurs points de vue. Les feuilles sont accrochées dans une salle et les principaux partenaires sont invités à visiter cette galerie et à écrire sur des Post-it les informations qu’ils considèrent comme essentielles pour de nouveaux projets. Les partenaires forment ensuite de petites équipes et, selon un processus soigneusement orchestré, leurs observations sur Post-it sont partagées, combinées et triées par thèmes aŠn d’obtenir des ensembles que les équipes exploiteront pour en tirer des conclusions. Ce processus permet d’éviter que les innovateurs ne soient indûment inflŸuencés par leurs propres préjugés et ne voient que ce qu’ils veulent voir, car les personnes interrogées se sentent ainsi considérées comme des personnes en chair et en os par ceux qui parcourent la galerie. Grâce à cet exercice, on peut créer une base de données commune. Les collaborateurs interagissent ainsi plus aisément, ils réussissent à se mettre d’accord sur les informations recueillies et à remettre en question leurs convictions réciproques, autre moyen essentiel de lutter contre des interprétations biaisées.
Cohérence. La dernière étape du processus de découverte consiste à organiser une série d’ateliers et de discussions en séminaire qui posent sous une forme ou une autre la question suivante : si tout était possible, qu’apporterait le design thinkingŽ? L’accent mis sur les possibilités, plutôt que sur les contraintes imposées par le statu quo, aide des équipes différentes les unes des autres à avoir des discussions plus collaboratives et plus créatives sur les critères du design ou sur les caractéristiques clés auxquelles l’innovation idéale devrait correspondre. Instaurer un esprit d’investigation augmente l’insatisfaction par rapport au statu quo et permet aux équipes de parvenir plus facilement à un consensus, tout au long du processus d’innovation. En Šn de compte, lorsque l’éventail d’idées aura été aœné, le fait d’avoir arrêté ces critères de conception donnera aux idées novatrices une chance de s’imposer face à des alternatives incrémentielles moins risquées.
Arrêtons-nous sur ce qui s’est passé à Monash Health, établissement de santé et hôpital intégré situé à Melbourne, en Australie. Les psychiatres cliniciens y étaient depuis longtemps préoccupés par la fréquence des rechutes de leurs patients, qui se traduisaient généralement par des overdoses de médicaments et des tentatives de suicide, mais ils ne parvenaient pas à se mettre d’accord sur la façon de traiter ce problème. AŠn d’aller au fond des choses, les cliniciens ont retracé les expériences de patients spéciŠfiques tout au long du processus de traitement. Tom, un patient, est ressorti de leur étude comme étant un cas emblématique. Son expérience comprenait trois visites en face-à-face avec différents cliniciens. Il avait eu 70 prises de contact, avait rencontré 13 gestionnaires de cas différents et avait été transféré 18 fois entre sa première visite et sa rechute.
Les membres de l’équipe ont organisé une série d’ateliers au cours desquels ils ont posé aux cliniciens la question suivante : les soins dispensés actuellement à Tom reŸétaient-ils la raison pour laquelle ils avaient embrassé la carrière médicaleŽ? Tandis que les gens discutaient des raisons qui les avaient poussés à devenir médecins ou inŠfirmiers, ils se sont rendu compte que l’amélioration des résultats de Tom pouvait dépendre autant de leur sens du devoir envers Tom que de leur activité en tant que cliniciens. Tout le monde a adhéré à cette conclusion, qui a permis de concevoir et de dérouler avec succès un nouveau processus de traitement centré sur les besoins du patient plutôt que sur ce qu’ils considéraient comme les meilleures pratiques. Après sa mise en oeuvre, les taux de rechute des patients ont diminué de 60%.
La génération d’idées
Une fois qu’ils ont compris les besoins des clients, les innovateurs peuvent passer à l’étape d’identiŠfication et de sélection des solutions spéci—fiques conformes aux critères qu’ils ont défiŠnis.
Emergence. La première étape consiste à établir un dialogue sur les solutions potentielles, en planiŠfiant soigneusement qui y participera, le déŠ qui leur sera proposé et la manière dont la conversation sera structurée. Après avoir utilisé les critères de conception pour effectuer un brainstorming chacun de leur côté, les participants se rassemblent pour échanger des idées et les exploiter de manière créative, au lieu de simplement négocier des compromis lorsque des différences apparaissent.
Lorsque le Children’s Health System du Texas, sixième plus grand centre médical pédiatrique des Etats- Unis, s’est aperçu qu’il avait besoin d’une nouvelle stratégie, l’organisation, dirigée par Peter W. Roberts, s’est servie du design thinking pour réinventer son modèle économique. Pendant le processus de découverte, les cliniciens ont mis de côté leur a priori qui faisait de l’intervention médicale le point essentiel. Ils ont Šni par comprendre que l’intervention seule ne fonctionnerait pas si la population de Dallas n’avait ni le temps ni la capacité de rechercher des informations sur la santé et n’avait pas de réseaux de soutien solides, chose dont peu de familles de la région disposaient. Les cliniciens ont également compris que le centre médical ne pouvait pas résoudre les problèmes seulŽ: la communauté devrait être mise au centre de toute solution. Le Children’s Health a donc invité les parties prenantes des communautés concernées à participer à la conception d’un nouvel écosystème de bien-être dont les limites (et les ressources) se situeraient bien au-delà du centre médical. Après avoir décidé de commencer modestement en ne s’attaquant qu’à une seule pathologie, l’équipe s’est réunie pour créer un nouveau modèle de gestion de l’asthme.
La session a réuni des administrateurs d’hôpitaux, des médecins, des inŠfirmières, des travailleurs sociaux, des parents de patients et du personnel des districts scolaires de Dallas, de l’administration du logement, des YMCA et d’organisations confessionnelles. Pour commencer, la principale équipe d’innovation a partagé les enseignements tirés du processus de recherche. Ensuite, chaque participant a réŸfléchi de manière indépendante à la façon dont son institution pourrait aider à résoudre les problèmes des enfants, notant ses idées sur des Post-it. EnŠn, chaque participant a été invité à se joindre à un petit groupe à l’une des cinq tables, où chacun a partagé ses idées, les a regroupées en thèmes communs et a imaginé une expérience idéale pour les jeunes patients et leurs familles.
D’ardents défenseurs du changement émergent généralement de ce type de conversations, ce qui améliore considérablement les chances de réussite de la mise en oeuvre. Trop souvent, les bonnes idées disparaissent parce que les personnes ayant un intérêt personnel à les concrétiser manquent à l’appel. Au Children’s Health, les partenaires invités à prendre part au projet ont su convaincre la communauté d’agir, mais aussi de nouer et d’entretenir au sein de leurs institutions les liens nécessaires pour faire de cette nouvelle vision une réalité. Les représentants de l’administration chargés de l’habitat ont imposé des modifiŠcations dans les codes du logement, incitant les inspecteurs à intégrer dans leurs évaluations les problèmes de santé des enfants, comme la présence de moisissures. Les pédiatres locaux ont adopté un ensemble de protocoles standard sur l’asthme et les parents d’enfants asthmatiques ont joué un rôle important en tant que conseillers apportant une pédagogie active à d’autres familles lors de visites à domicile.
Expression. En règle générale, les activités d’émergence génèrent un certain nombre d’idées concurrentes, plus ou moins attrayantes et plus ou moins réalisables. Dans l’étape suivante, les innovateurs apparaissent et remettent en question leurs hypothèses implicites. Les managers pêchent à ce sujet, en raison de nombreux biais comportementaux, tels qu’un excès d’optimisme, le biais de conŠfirmation et une fiŠxation sur les premières solutions. Lorsque les hypothèses ne sont pas contestées, les discussions sur ce qui fonctionnera ou ne fonctionnera pas resteront dans l’impasse, chaque personne défendant sa propre compréhension de la façon dont le monde fonctionne.
En revanche, la réŸflexion sur le design thinking fait de la discussion un outil d’investigation de ce qui devrait s’avérer pour qu’une idée soit réalisable (voir «ŽManagement is much more than a scienceŽ», de Roger L. Martin et Tony Golsby-Smith, HBR édition américaine, septembre-octobre 2017). Le programme Ignite Accelerator du département de la Santé et des Services sociaux des Etats-Unis en est un parfait exemple. A l’hôpital de la réserve indienne de Whiteriver, en Arizona, une équipe dirigée par Marliza Rivera, jeune responsable du contrôle de la qualité, a cherché à réduire l’attente aux urgences de l’hôpital, dont la durée pouvait parfois atteindre six heures.
La première idée de l’équipe, empruntée à l’hôpital Johns Hopkins de Baltimore, a été d’installer une borne d’enregistrement électronique. Quand les membres de l’équipe ont commencé à appliquer le design thinking, il leur a été demandé d’aœffiner les raisons pour lesquelles l’idée fonctionnerait. Ce n’est qu’à ce moment-là qu’ils ont compris que leurs patients, dont beaucoup étaient des personnes âgées s’exprimant en langue apache, avaient peu de chances d’être à l’aise avec l’informatique. Les méthodes qui avaient fait leurs preuves dans l’environnement urbain de la ville de Baltimore ne fonctionneraient pas à Whiteriver, de sorte que cette idée a pu être écartée, sans crainte de se tromper.
A la Šfin du processus de génération d’idées, les innovateurs disposeront d’un éventail d’idées abouties, bien qu’éventuellement très différentes. Les hypothèses qui les sous-tendent auront été soigneusement vériŠfiées et les conditions nécessaires à leur succès seront réalisables. Les idées bénéŠficieront également de l’appui d’équipes engagées, prêtes à assumer la responsabilité de leur commercialisation.
La phase de test
Les entreprises considèrent souvent le prototypage comme un processus de mise au point d’un produit ou d’un service déjà largement développé. Mais, en matière de design thinking, le prototypage est réalisé sur des produits loin d’être Šfinis. Il s’agit d’expériences itératives d’utilisateurs associées à un travail en cours. Cela signifiŠe que des changements radicaux, y compris une refonte complète, peuvent se produire en cours de route.
Prétest. Les recherches en neurosciences indiquent que le fait d’aider les gens à «ŽprétesterŽ» de façon anticipée quelque chose de nouveau – ou, en d’autres termes, à l’imaginer avec une incroyable netteté – débouche sur une évaluation plus précise de la valeur de la nouveauté. C’est la raison pour laquelle les concepteurs ont choisi de créer des artefacts basiques et de faible coût pour saisir les caractéristiques essentielles de l’expérience utilisateur proposée. Ce ne sont pas des prototypes au sens littéral du mot, ils sont souvent beaucoup plus rudimentaires que les «Žproduits minimum viablesŽ» testés par les start-up en phase de démarrage auprès de clients. Mais ce que ces artefacts perdent en Šdélité, ils le gagnent en flŸexibilité, car ils peuvent facilement être modi—fiés en fonction de ce qu’on apprend en les exposant aux utilisateurs. Et leur caractère inachevé invite à l’interaction.
Ces artefacts peuvent prendre de nombreuses formes. L’agencement d’un nouveau bâtiment médical à Kaiser Permanente (un consortium américain de gestion des soins intégrés, NDLR), par exemple, a été testé en suspendant des draps au plafond pour marquer l’emplacement des futurs murs. Les inŠfirmières et les médecins ont été invités à s’entretenir avec des membres du personnel jouant le rôle de patients et à suggérer des moyens d’aménager les espaces pour faciliter les soins. A Monash Health, un programme appelé «ŽMonash WatchŽ» – visant à utiliser la télémédecine pour maintenir les populations vulnérables en bonne santé à la maison et réduire leur fréquence d’hospitalisation – a utilisé des story-boards détaillés pour aider les administrateurs d’hôpitaux et les décideurs gouvernementaux à envisager de façon pratique cette nouvelle approche, sans construire de prototype numérique.
Apprendre en faisant. Les expériences sur le terrain sont un moyen essentiel d’évaluer de nouvelles idées et d’identiŠfier les changements nécessaires pour les rendre exploitables. Mais ces tests offrent un autre type de valeur moins évidenteŽ: ils aident à réduire la peur – tout à fait normale – du changement chez les employés et les clients.
Examinons une idée proposée par Don Campbell, professeur de médecine, et Keith Stockman, responsable de la recherche opérationnelle chez Monash Health. Dans le cadre de Monash Watch, ils ont suggéré de recruter des non-spécialistes comme guides de «Žtélé- assistanceŽ». Ceux-ci agiraient en tant que «Žvoisins professionnelsŽ», en maintenant des contacts téléphoniques fréquents avec des patients présentant des risques élevés d’hospitalisations multiples. Don Campbell et Keith Stockman ont émis l’hypothèse que ces «Žnon-expertsŽ» moins bien rémunérés, soigneusement sélectionnés, auxquels on aurait inculqué des connaissances en santé et des aptitudes à l’empathie, et secondés par un système d’aide à la décision ainsi que des coachs professionnels, pourraient au besoin aider à maintenir à domicile des patients à risques.
Leur proposition a été accueillie avec scepticisme. Nombre de leurs collègues étaient fermement opposés à l’idée de laisser un non-professionnel de la santé rendre un tel service auprès de patients aux prises avec des problèmes complexes, mais le recours à des professionnels de santé pour remplir cette mission aurait été inabordable d’un point de vue fiŠnancier. Plutôt que de débattre de cette question, les membres de l’équipe chargée de l’innovation ont intégré ces préoccupations et ont invité leurs collègues à concevoir une expérience permettant de tester ce scénario. Trois cents patients plus tard, les résultats étaient les suivants : un feedback extrêmement positif des patients et une réduction du taux d’occupation des lits et des visites aux urgences, corroborés par des consultants indépendants, ce qui a calmé les craintes des sceptiques.
Comme nous l’avons vu, la structure du design thinking crée un Ÿflux naturel de la recherche vers le déploiement. Une immersion au coeur de l’expérience client produit des données qui sont transformées en informations permettant aux équipes de se mettre d’accord sur les critères de conception qu’elles utilisent pour réŸfléchir aux solutions. Les hypothèses sur ce qui est essentiel à la réussite de ces solutions sont ensuite examinées, puis testées à l’aide d’ébauches de prototypes qui aident les équipes à développer plus avant les innovations et à les préparer à des expériences en conditions réelles.
Au passage, les processus de design thinking luttent contre les préjugés qui contrarient la créativité, tout en s’attaquant aux problèmes généralement rencontrés quand on cherche à obtenir de meilleures solutions, à réduire les coûts et les risques, ainsi qu’à obtenir l’adhésion des employés. Reconnaissant les organisations comme des ensembles d’individus motivés par des points de vue et des émotions variables, le design thinking met l’accent sur l’engagement, le dialogue et l’apprentissage. En faisant participer les clients et les autres parties prenantes à la déŠfinition du problème et à l’élaboration de solutions, le design thinking réussit à mobiliser largement les individus autour du changement. Et en fournissant une structure au processus d’innovation, il aide les innovateurs à collaborer et à se mettre d’accord sur ce qui est essentiel au but poursuivi, à chaque étape. On y parvient non seulement en dépassant l’environnement spéci—fique du milieu de travail, mais aussi en façonnant les expériences des innovateurs, celles de leurs principales parties prenantes et des responsables de leur mise en oeuvre, à chaque étape. C’est cela, la technologie sociale en action.
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