Série 6/6  La vie après la politique

La retraitée (temporaire)

Pendant quelques années, leur vie, c’est la politique. Puis vient le temps de tout quitter. Pour certains députés, c’est leur choix. Pour d’autres, les électeurs leur montrent la porte. Entrevues sur l’après-vie parlementaire.

À 14 ans, quand la cloche de l’école sonne, Carole Poirier part en courant. La fin des classes marque le début de son « shift » du soir. Pour donner un coup de pouce à sa famille, elle travaille chez Desjardins.

À 18 ans, un diplôme d’études secondaires en poche, la jeune Montréalaise met fin à ses études. Elle travaille, devient coach de hockey, puis présidente de l’association de sa ligue. Elle fait déjà de la politique, mais elle ne le sait pas. La « p’tite fille d’la rue Davidson », fière indépendantiste, a surtout mille choses à faire plutôt que de s’impliquer au Parti québécois.

Mais en 1991, la réalité la rattrape. Louise Harel l’interpelle dans une soirée-bénéfice. « Elle me dit : “J’ai besoin de toi. J’ai besoin d’une organisatrice” », se rappelle Carole Poirier, les yeux qui pétillent.

À l’époque, « Louise Harel ne [lui] donne pas le choix ». Elle n’a qu’une cinquième secondaire, un travail qu’elle aime et elle est une super bénévole dans son quartier. En vain : elle accepte le défi.

L’aventure va durer plusieurs années et la mener jusqu’à Québec, où elle devient directrice de cabinet, puis un jour députée. « Y a rien dans ma vie que je n’ai pas réussi. Je suis une déterminée », dit-elle toujours fièrement.

Sauf que le 1er octobre dernier, la veille de son 60e anniversaire, ses électeurs l’ont mise à la retraite. « Une retraite de transition. »

« Le Québec a donné un coup de balai à gauche et à droite », s’explique-t-elle.

Sans diplôme

Assise à une longue table du Hoche Café, rue Ontario, Carole Poirier retrouve l’endroit qui lui servait de second bureau. « Cette table pourrait avoir mon nom tellement j’y étais souvent », dit-elle en prenant une longue gorgée de chai latté.

Son agenda s’est par contre vidé depuis. Battue par Québec solidaire dans Hochelaga-Maisonneuve, l’ex-députée péquiste apprivoise ces jours-ci un nouveau rôle. Celui de grand-mère à temps plein. Une tâche dans laquelle elle excelle et qui ne lui demande pas de diplômes, cette fois-ci.

Quand Louise Harel, ministre de l’Emploi et de la Solidarité dans le gouvernement Bouchard, préparait une réforme de l’aide sociale, elle l’a présentée à Carole Poirier. Elle était alors employée de circonscription. « Au bureau, l’aide sociale, on connaissait ça sur le bout de nos doigts. Et je voyais qu’il y avait des problèmes de fond », se rappelle-t-elle.

En quelques jours, elle a été reconduite à Québec. La ministre voulait qu’elle rencontre ses fonctionnaires. La réunion s’est bien déroulée, Carole Poirier était convaincante. À un point tel qu’on ne l’a plus laissé partir. Elle est devenue chef de cabinet adjointe, puis chef de cabinet tout court.

« Je n’étais peut-être pas le choix du bureau du premier ministre, car il n’y avait pas de diplôme universitaire à écrire à côté de mon nom. Mais Louise a dit : “Y a pas d’autre choix, c’est elle” », se souvient-elle.

« J’avais à l’époque ma cinquième secondaire, je terminais un certificat en administration à temps partiel et je ne connaissais rien de la politique parlementaire. Un décret ministériel ? Aucune idée. Une commission parlementaire ? Je n’en savais rien. J’arrivais avec une valise vide », poursuit-elle humblement.

Rien d’inaccessible

En 2003, quand le Parti québécois perd le pouvoir, Carole Poirier doit se trouver du travail. Sa feuille de route comporte de nombreuses réalisations, mais un orienteur lui fait un constat tranchant. « Il me regarde dans les yeux et me dit : “On s’en fout, ce que vous avez fait dans la vie. Vous n’avez pas de diplôme !” »

Sans (trop) s’offusquer, elle corrige le tir. Elle décroche en 2008 une maîtrise en administration publique de l’ENAP. Un parcours qui ne se passe quand même pas sans heurts… Dans une classe sur la gouvernance de Montréal, son professeur a des lacunes. Il n’enseigne pas les réformes qu’elle a menées avec Louise Harel du temps où elle était ministre des Affaires municipales.

« Je suis allée le voir pour lui proposer de réécrire son cours parce qu’il était hors champ. » Et une de ses invitées était Mme Harel ! « J’ai dit à Louise : “Viens, je vais écrire ton discours” », raconte Mme Poirier.

Encore aujourd’hui, cette femme d’action trouve le monde académique éloigné de la réalité terrain. À l’époque, l’heure était donc pour elle de faire un retour aux sources.

Au lendemain de sa collation des grades, Carole Poirier remporte l’investiture du Parti québécois dans Hochelaga-Maisonneuve. Puis, aux élections, elle en devient la députée.

En confiance

C’est le cœur gros que Carole Poirier, élue consécutivement en 2008, 2012 et 2014, quitte la vie politique.

« Mon inquiétude, c’est l’inexpérience des gens qui sont au gouvernement. Ça me fait peur parce que la machine [c’est-à-dire les ministères] peut tout te contrôler ça, cette gang-là », analyse-t-elle.

Mais elle refuse de blâmer les Québécois, qui ont boudé son parti cette année. « Les citoyens ne peuvent pas toujours avoir tort. Ce n’est pas de même que ça marche ! Ils essaient autre chose. Est-ce que ça sera mieux, est-ce que ça sera pire ? On verra », dit-elle en hochant la tête.

À Québec solidaire, elle reconnaît le rêve porté par la jeunesse. Ce même rêve qui l’a menée, jeune adulte, à suivre sa mère pour faire du pointage en campagne électorale. « Par contre, je n’aurais jamais été dans un parti où je n’aurais pas senti que ce que je dis, je suis capable de le faire », affirme- t-elle.

Ancienne porte-parole en matière d’immigration, elle en a aussi long à dire sur les besoins en intégration. Elle veut que l’on cesse de confondre laïcité et nouveaux arrivants, puis elle espère que le nouveau gouvernement trouvera une façon de clore ce débat. « Il va falloir en sortir », dit l’ex-députée.

Des choses à dire, des choses à faire : Carole Poirier a une longue liste de souhaits. Mais à 60 ans, après une longue carrière, la voilà qui quitte le café en jeune retraitée. Est-ce que cela va durer longtemps ?

« Une retraite de transition », rappelle- t-elle.

CAROLE POIRIER

60 ans

Elle a été élue pour la première fois aux élections de décembre 2008 dans la circonscription d’Hochelaga-Maisonneuve, à Montréal, puis défaite le 1er octobre 2018 par le candidat de Québec solidaire.

Elle a été première vice-présidente de l’Assemblée nationale pendant le gouvernement Marois, puis whip en chef de l’opposition officielle et leader parlementaire de l’opposition officielle.

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