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Couvre-feu à la matraque : l’Afrique de l’Ouest se rebelle

Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Sénégal… Dans ces trois pays, la police frappe voire humilie pour faire respecter les mesures de confinement aux contrevenants.

Par  (Dakar, correspondance),  (Côte d'Ivoire, correspondance) et  (Ouagadougou, correspondance)

Publié le 30 mars 2020 à 19h00, modifié le 31 mars 2020 à 09h45

Temps de Lecture 5 min.

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Un officier de police monte la garde pendant le couvre-feu à Abidjan, le 28 mars 2020, alors que la Côte d’Ivoire a déclaré l’état d’urgence.

A Ouagadougou, mercredi 25 mars, à 19 heures, le couvre-feu a sonné. Un silence de mort règne sur la capitale burkinabée. En quelques minutes, les rues se sont vidées, les étals de fruits et légumes ont été remballés à la va-vite, les maquis désertés. Les dernières motos retardataires filent à toute allure, pressées de se calfeutrer avant l’arrivée des patrouilles militaires.

Face à l’aggravation de l’épidémie au Burkina Faso, qui enregistre déjà 222 cas de Covid-19, dont 12 décès, les autorités jouent l’extrême fermeté. Dans la capitale, près de 500 gendarmes et plusieurs centaines de policiers sont déployés pour faire respecter le couvre-feu de 19 heures à 5 heures du matin.

Des policiers qui auraient la main leste et le maniement de la chicotte facile… A Ouagadougou, Abidjan et Dakar, les accusations contre les forces de l’ordre se multiplient. Ces hommes en uniforme sont accusés de « bavures » pour faire respecter les couvre-feux, instaurés ces derniers jours pour tenter d’endiguer la pandémie, qui s’accélère sur le continent.

Des hommes en treillis militaires bastonnant

« Attention à ceux qui ne vont pas respecter. Ça sera à leurs risques et périls », avait bien prévenu Remis Fulgance Dandjinou, le porte-parole du gouvernement burkinabé. Mais certains auraient-ils raté la seconde partie de sa phrase, dans laquelle il appelait les forces de sécurité à rester « respectueuses des droits » ? Au vu des vidéos qui circulent sur les réseaux sociaux, la consigne ne semble pas avoir été très bien entendue par tous…

Au Burkina Faso, en effet, les images ont commencé à circuler sur Facebook et WhatsApp, au premier soir du couvre-feu, le 21 mars. Des hommes en treillis militaires bastonnant, grondant en langue mooré, une femme plaquée au sol, des hommes sommés de faire des pompes ou de danser devant la caméra en récitant les horaires du couvre-feu… « Actes de personnes isolées, qui n’étaient pas en mission… De plus, certaines vidéos sont des montages ou n’ont pas été prises au Burkina », rétorque un haut gradé de la gendarmerie aux activistes et internautes qui accusent les forces de l’ordre de « bavures », voire de « tortures ».

Si des journalistes de FasoCheck, un média local de vérification de l’information, ont effectivement démontré, grâce à une recherche inversée d’images sur Google, que les photos d’un homme et d’une femme au corps mutilé ont effectivement été prises en Guinée et au Nigeria, d’autres vidéos semblent beaucoup plus circonstanciées. Notamment lorsqu’une chicotte (fouet) à la main, deux jeunes soldats burkinabés s’adressent à la caméra de leur téléphone : « Y’a corona, c’est mieux de respecter les consignes, sinon on va sortir frapper ce soir ! », menacent-ils, tout sourire, en tenue militaire.

« Allégations d’actes de torture »

Exhibant une plaie dans son dos, une Ouagalaise de 25 ans raconte anonymement que, le 24 mars à 21 heures, une moto est arrivée dans sa rue. « Un gendarme en uniforme m’a chicotée à deux reprises, j’étais juste assise devant ma porte pour prendre l’air », se plaint-elle. Le procureur du Burkina Faso Harouna Yoda a promis, dans un communiqué en date du 23 mars, de suivre « de près les allégations d’actes de torture et de pratiques assimilées diffusées ces derniers jours, notamment à travers les réseaux sociaux ». Mais, manifestement, ce confinement à la matraque déborde les frontières burkinabées.

Dans la capitale économique de la Côte d’Ivoire, des témoins ont aussi pu filmer le même type de violences nocturnes. Sur les réseaux sociaux, des groupes de policiers sont filmés matraquant et humiliant les retardataires dès l’instauration du couvre-feu le 24 mars, de 21 heures à 5 heures du matin. « Couche-toi là », a exigé l’un d’eux d’une commerçante avant de la frapper, quand d’autres profitent de la situation pour faire danser ou chanter les « fautifs » apeurés.

« On reconnaît l’accent ivoirien, les voitures de police, l’uniforme… », soutient De Laure Nesmon, une activiste et journaliste d’Abidjan, qui recueille ces vidéos. « Nous avons déjà peur du coronavirus, si on y ajoute à cela la crainte de la police censée nous aider à surmonter cette crise, on ne va jamais s’en sortir », fustige-t-elle.

Si la police a commencé par nier les faits, prétextant qu’une vidéo avait été tournée en Guinée, elle s’est ensuite justifiée. « Nous sommes en état d’urgence, si vous bravez le couvre-feu, on ne va pas vous caresser », a dans un premier temps répliqué Charlemagne Bleu, le porte-parole de la police. Défense subtilement nuancée le 26 mars par la direction générale de la police qui, après avoir eu vent « des actes de violence commis par les forces de sécurité sur les populations civiles », martelait que « des mesures ont été prises pour faire appliquer le couvre-feu dans le respect des droits de l’homme ».

« Pas de traitements inhumains et dégradants »

Alors que la Côte d’Ivoire compte désormais 168 cas de Covid-19, dont un décès, et que les mesures sont amenées à se durcir, la société civile se dit « très vigilante » et annonce qu’elle « ne laissera rien passer ». « L’état d’urgence en Côte d’Ivoire est une situation d’exception encadrée par une légalité d’exception et celle-ci ne doit se confondre avec l’état de siège ou la situation de conflit armé. (…) La torture et les traitements inhumains sont formellement interdits et prohibés », a vivement critiqué l’Observatoire ivoirien des droits de l’homme (OIDH).

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Même levée de bouclier au Sénégal où un couvre-feu nocturne a été décidé le 23 mars en plus de l’état d’urgence. Le lendemain de cette annonce, les autorités, par la voix du ministre de l’intérieur Aly Ngouille Ndiaye, avaient promis que tout contrevenant ne disposant pas de dérogation serait passible d’un « emprisonnement de deux mois à deux ans ou d’une amende comprise entre 20 000 et 500 000 francs CFA [de 30 à 760 euros] ».

Mais, là aussi, les réseaux sociaux et la presse locale se sont fait le relais de vidéos d’automobilistes plutôt roués de coups par des policiers en uniforme que verbalisés. « On peut appliquer les textes dans le respect des droits humains. Pas de tortures, de traitements inhumains et dégradants. Pas d’usage excessif de la force », a pourtant rappelé le défenseur des droits humains Alioune Tine, sur Twitter.

Reste qu’à Dakar, si de nombreux internautes ont critiqué ces « bavures », d’autres ont salué les méthodes de la police, les justifiant par « l’indiscipline » qui caractérise selon eux nombre de leurs compatriotes.

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