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La tribune aux femmes, les tribuns sur le banc

OPINION. La polémique sur la place des hommes lors de la grève du 14 juin est totalement déplacée, estime la conseillère aux Etats Géraldine Savary. Voici pourquoi

Manifestants du syndicat UNIA en faveur de la grève des femmes du 14 lors du Tour de Romandie. Morges, 2 mai 2019. — © Laurent Gillieron/Keystone
Manifestants du syndicat UNIA en faveur de la grève des femmes du 14 lors du Tour de Romandie. Morges, 2 mai 2019. — © Laurent Gillieron/Keystone

A quelques semaines de la grève du 14 juin en faveur de l’égalité entre hommes et femmes, voilà qu’une nouvelle question s’invite dans le débat. Les hommes seront-ils exclus des piquets de grève et des manifestations? A l’origine, les propos de la présidente sortante de la Jeunesse socialiste suisse, Tamara Funiciello, qui a «invité» les hommes à rester en retrait de la manifestation. Du coup, les femmes sont accusées de faire du sexisme à l’envers.

Cette polémique est à mes yeux totalement déplacée; elle vise en premier lieu à affaiblir le mouvement, à incriminer sa radicalisation pour tenter d’en réduire la portée. Il y a déjà eu une première tentative, éteinte faute de braises, de laisser entendre que les femmes de droite étaient mises de côté. Aujourd’hui, les hommes seraient privés de leur droit à être solidaires de l’égalité. Méchantes!

Les séances non mixtes

Première remarque. Loin de moi l’idée de douter de l’aspiration des hommes à ce que les femmes aient les mêmes droits, mais ce n’est pas non plus comme si la moitié masculine du pays trépignait d’impatience depuis une année à l’idée de se rendre utile… Et non, il n’y aura pas de cordon de sécurité composé de Walkyries hostiles pour interdire les manifestations à quiconque est doté d’autre chose que du manifeste anti-patriarcal.

Evidemment que les hommes sont bienvenus aux manifestations du 14 juin. Mais comme les femmes dans les stades de foot: pour soutenir leur équipe

Mais en ayant suivi certaines séances de préparation et de discussion durant cette année féministe, je me suis rendu compte à quel point ces espaces de parole non mixtes furent fondamentaux, en particulier pour les nombreuses femmes jeunes et très jeunes qui y participaient. Au début, j’étais franchement dubitative face à la manière d’organiser les débats, de se positionner, etc. Rien ne fonctionnait comme d’habitude. Comme d’habitude, à savoir comme dans le monde dur et parfois brutal où l’on doit s’imposer pour prendre la parole, couper celle des autres, forcer les décisions, par sa voix, son charisme «naturel» ou sa position dominante.

De ces séances non mixtes, avec des prises de parole non hiérarchisées, sont nées des revendications nouvelles, hier ignorées, aujourd’hui reconnues. En particulier la question du respect du corps, de l’intégrité physique. Dans la rue, dans la médecine (non, mon corps n’est pas un laboratoire), dans les soins (oui, je peux aussi mourir d’un infarctus, c’est juste que mes symptômes sont différents), ou dans la sexualité. Y aurait-il eu la même liberté de parole si les séances avaient été aussi composées d’hommes? Y aurait-il eu le même besoin de se réapproprier son destin? Y aurait-il la même détermination à porter un regard critique et féministe sur l’ensemble de la société si d’emblée les hommes avaient participé à ces séances? Je dois conclure, après expérience, que non.

Investir l’espace public

S’approprier l’organisation de la journée du 14 juin et des manifestations en faveur de l’égalité n’a pas été sans mal. Combien de fois n’ai-je entendu «il faudrait impliquer les hommes, ou il faudrait la présence de Christian Levrat». Cela n’est pas sans mal encore aujourd’hui: un coup d’œil sur les photos du 1er Mai consacré cette année à l’égalité, sur les réseaux sociaux et dans les médias et vous tombez immanquablement sur Wermuth, Maillard, Stöckli ou Carlo Sommaruga. Parce que tribun n’a pas de féminin?

Ce sont les femmes qui ont décidé de lancer l’idée de la grève du 14 juin. Elles en sont propriétaires. Elles sonnent le tocsin depuis près d’une année. Dans les organisations politiques et syndicales, dans les universités, dans les écoles, sur les lieux de travail. Elles ont investi l’espace public, imposé la question de l’égalité à l’agenda politique et médiatique. Elles obtiennent des résultats, comme jamais sans doute, dans notre pays. Au niveau législatif, en termes de représentations ou de responsabilités. Sans conflits de générations, sans conflits partisans, sans conflits linguistiques. Et sans conflits de sexe. Evidemment que les hommes sont bienvenus aux manifestations du 14 juin. Mais comme les femmes dans les stades de foot: pour soutenir leur équipe.