C’est le consensus qui a réuni la plupart des experts de géopolitique ce printemps, une fois jaugée l’ampleur de la crise mondiale liée au Covid : cette crise, brutale autant qu’inattendue, tient plus du cyclone que du séisme. Elle ne change pas fondamentalement la donne dans le jeu international, mais la violence du choc a accéléré et exacerbé les grandes tendances que l’on voyait déjà à l’œuvre dans le monde passablement instable de l’avant-Covid-19.
Une région semble faire exception à ce constat : l’Europe. Secouée comme jamais, l’Union européenne (UE) aurait pu se désintégrer, à l’image du rétablissement spontané, du jour au lendemain, des frontières internes dans l’espace Schengen. Pourtant, elle s’est ressaisie et, passé le stade de la sidération, a choisi le chemin inverse, celui d’une intégration plus profonde, pour remettre ses économies sur pied et mieux résister aux chocs futurs. C’est l’option dont les chefs d’Etat et de gouvernement des Vingt-Sept commencent à discuter vendredi 19 juin, en visioconférence, et sur laquelle ils doivent se prononcer, en principe d’ici à la fin juillet. Au-delà de cette négociation historique, en réalité, plusieurs lignes structurantes du projet européen ont bougé sous l’effet de la crise. Voici les principales.
Le retour du moteur franco-allemand. Parti en trombe après l’élection d’Emmanuel Macron en mai 2017, le tandem Paris-Berlin s’est arrêté net avec les élections allemandes de septembre, qui ont déstabilisé les grands partis politiques outre-Rhin et freiné leur ardeur européenne. Paris a continué à investir dans l’axe franco-allemand, mais, frustré, a décrété que s’il restait indispensable, le duo n’était plus suffisant. Les grandes initiatives proposées dans le discours du président français à la Sorbonne, le 26 septembre 2017, sont restées au point mort.
La pandémie a inversé la dynamique. Le Conseil européen du 26 mars, où la tension a éclaté entre pays du Sud touchés de plein fouet par le Covid-19 et ceux du Nord, plus épargnés, a fait apparaître une menace existentielle pour la cohésion de l’UE. Sur la base de positions d’abord opposées, les équipes d’Emmanuel Macron et d’Angela Merkel se mettent au travail, appuyées par celles des deux ministres des finances, Bruno Le Maire et Olaf Scholz. Sentant l’humeur évoluer de façon décisive à Berlin, l’Elysée, avec le conseiller Europe, Clément Beaune comme cheville ouvrière, ne va plus lâcher prise.
La Commission européenne et sa présidente, l’Allemande Ursula von der Leyen, sont mises dans la confidence, pour renforcer le dispositif. Le 18 mai, la chancelière allemande et le président français annoncent, dans une conférence de presse commune à distance, une proposition franco-allemande sans précédent, par sa taille et par sa nature, d’un fonds de relance de 500 milliards d’euros, financé par un emprunt européen. Paris et Berlin donnent ensemble le signal crucial : l’Europe, solidaire, repart. Il a fallu une crise majeure pour que l’obstination française et le lent mûrissement de l’Allemagne finissent par se rencontrer pour donner l’impulsion politique nécessaire aux institutions européennes.
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