Cette exécution en studio des Variations Goldberg BWV 988 par Glenn Gould (1932-1982) est sans contredit un enregistrement mythique de la discographie classique. Encore aujourd'hui, d'aucuns débattent de la supériorité et de l'innovation formelle inhérentes à cet enregistrement de 1955 par rapport à celui réalisé en 1981 par le pianiste canadien pour la même oeuvre de Jean-Sébastien Bach.

Le verdict de Sony Classical est rendu: ce coffret a pour objet de magnifier la signature du jeune Gould à travers cet album sorti en janvier 1956, ici assorti de toutes les prises de son de ces séances, aussi des conversations menées par le virtuose et Howard Scott, son réalisateur. Qui plus est, un superbe livre-objet porte le récit de ces séances, mises en contexte et analyses de l'oeuvre en question.

Voilà donc un documentaire audio sur le mythe fondateur de Glenn Gould, où se dévoilent ses visions maniaques du jeu et de l'enregistrement. On sait que le musicien avait cessé de se produire en public dès 1964, pour ne se consacrer qu'au studio, à la radio et à la télévision jusqu'au terme de sa courte existence. D'où la pertinence de cette plongée originelle.

C'était en juin 1955, le musicien était âgé de 22 ans lorsqu'il s'était présenté dans les studios new-yorkais de Columbia. Refusant de boire l'eau du robinet, il traînait des bouteilles d'eau de source et un arsenal de pilules destinées à repousser toute menace bactérienne, surtout à calmer ses humeurs hypocondriaques.

Avant chaque exécution, cet être obsessionnel trempait ses bras jusqu'au coude dans l'eau chaude pendant une vingtaine de minutes, exigeant de surcroît un contrôle très précis de la température en studio. 

On connaît la suite: porté aux nues, Glenn Gould devint une superstar des ivoires, accrochée au ciel classique jusqu'à ce jour.

Les Variations Goldberg sont parmi les oeuvres emblématiques de Jean-Sébastien Bach, écrites vers 1740 pour son élève claveciniste Johann Gottlieb Goldberg afin qu'il les joue au comte Kayserling. L'idée était d'atténuer les malaises de l'homme en mauvaise condition physique et en proie à l'insomnie.

Un siècle plus tard, le pianiste et compositeur Franz Liszt mit l'oeuvre au programme de ses récitals, les Variations devinrent un passage incontournable de la haute virtuosité pianistique. Deux siècles plus tard, Glenn Gould leur conférait une nouvelle coolitude, au coeur de la modernité.

Dans les interviews suivant la sortie de cet album, le musicien confia avoir été influencé par la virtuose américaine Rosalyn Turek... qui n'a jamais connu sa célébrité au-delà des cercles mélomanes. Non sans amertume, cette dernière estimait d'ailleurs que le jeune homme avait repris sa manière de jouer les ornements des Variations, sans toutefois comprendre son «art beaucoup plus ambitieux». Ce à quoi Gould rétorqua presque poliment que son aînée avait une «vision différente» de la sienne.

Quoiqu'il en fût, la personnalité si forte du jeune Glenn Gould et la conception singulière de son jeu s'imposèrent partout sur la planète classique. Voilà qui justifie amplement la mise en oeuvre et la sortie de ce coffret «documentaire».

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Classique. Glenn Gould. The Goldberg Variations. Sony Classical. Toutes les séances d'enregistrement. CD, vinyle, livre-objet, affiche.