[Interview management] "Les DRH s’occupent des individus, mais ne gèrent pas les collectifs", estime Jean Pralong

Le Lab RH a publié une étude sur le déni par rapport au burnout. Jean Pralong qui a supervisé ce travail et Leopold Denis qui l'a initié ont répondu aux questions de L'Usine Nouvelle. Les personnes peinent à s'auto-diagnostiquer, car ils pensent qu'ils sont responsables de leur situation, alors qu'ils sont indulgents vis-à-vis des autres. Et si le burnout était aussi le symptôme d'entreprises qui n'arrivent plus à créer du collectif...

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[Interview management]
Le Lab RH a publié une étude sur le déni par rapport au burnout.

L'Usine Nouvelle - Qu’est-ce qui a motivé cette étude sur le burnout ?

Léopold Denis : je suis confondateur de Moonwalk, une start-up. Avec mes associés, nous nous sommes intéressés à la question du burnout. Nous avons mis en ligne sur le site testmyburnout.com une version du test développé par l’Université catholique de Louvain avec un double objectif : sensibiliser les personnes et collecter de l’information à partir des données, évidemment anonymes, pour pouvoir faire de la recherche sur le sujet. Notre pari est que mieux on comprendra, plus on sera efficaces dans la prévention.

Etant membres du Lab RH, nous nous sommes tournés vers l’équipe de recherche dirigée par Jean Pralong. Nous voulions savoir s’il y avait un décalage entre la façon dont les personnes perçoivent leur propre situation et celle des autres.

Et alors, quel est le résultat ?

Jean Pralong : Il existe un gros décalage entre ce que pensent les gens de leur situation et ce qu’ils pensent de celles des autres. C’est de l’ordre de 25 %. On s’estime toujours en meilleure santé qu’on ne l’est en réalité.

Peut-on parler de déni, comme pour la personne dépressive? On voit que l’autre ne va pas bien alors que l’on trouve toujours des raisons pour soi ?

J.P. : il y a un paradoxe. Le burnout est un phénomène dont on parle beaucoup dans la presse, sur les réseaux sociaux, même les politiques et pourtant il y a une très grande difficulté à le reconnaître quand on est concerné. Nous avons donc utilisé la méthode des attributions causales, pour tenter de comprendre. C’est une méthode assez robuste et éprouvée. Concrètement nous avons demandé aux gens quelles étaient selon eux les causes pour lesquelles les autres étaient en burnout, et les causes pour lesquelles ils pourraient l’être personnellement. Les résultats sont éclairants.

Pour expliquer le burnout des autres, les individus pointent des raisons externes, comme le manager, l’environnement, l’entreprise, la famille. A l’inverse, quand on leur demande de parler d’eux, les individus estiment qu’ils sont responsables, que c’est de leur faute. Ce qui explique le déni. Reconnaître le burnout c’est reconnaître qu’on a des problèmes. Or, dans l’entreprise d’aujourd’hui, reconnaître qu’on a un problème, c’est être plus vulnérable, passer pour moins performant, et donc risquer de prendre la porte. Le déni est une forme de protection.

Comment prévenir alors ?

L.D. : Il faudrait davantage sensibiliser les personnes sur le fait qu’elles ne sont pas les seules responsables, qu’il existe des facteurs qui leur sont externes.

J.P. : C’est important car les gens se rendent compte de leur situation quand ils ont la grippe ou une jambe cassée.

L.D. : Notre appli propose un auto-diagnostic en quelques questions. Nous pouvons aider les personnes à faire leur diagnostic, mais cela ne suffit pas. Il faut que la personne ait une démarche individuelle et volontaire pour aller voir un spécialiste, un professionnel. On ne soigne pas le burnout en ligne.

Les salariés se sur-estiment en terme de santé, donc ils pensent pouvoir se soigner tout seuls ?

J.P. : Ils considèrent leur propre burnout comme un phénomène interne non maîtrisable. Ils pensent ne pas avoir les ressources nécessaires pour s’en sortir. Ils sont persuadés que ça leur tombe dessus et qu’ils n’y peuvent rien. Je vois là un discours très socialement marqué.

Cela m’évoque les travaux de Jean-Léon Beauvois dans son traité de la servitude libérale. Il explique que le meilleur moyen de manipuler les gens est de leur faire croire que leurs problèmes viennent d’eux et uniquement d’eux. Les gens qui sont en situation de burnout pensent qu’ils en sont responsables, alors qu’il y a des facteurs externes.

Puisque vous parlez de servitude libérale, pensez-vous que le burnout ait à voir avec le triomphe de l’individu, comme l’avait superbement analysé Alain Ehrenberg dans la fatigue d’être soi. C’est une maladie qui est un symptôme du recul des collectifs ?

J.P. : Il y a une question à poser qui gère les organisations aujourd’hui ? Les DRH s’occupent des individus, mais ne gèrent pas les collectifs. Il faut étudier de près qui dépend de qui. Plus personne n’interroge l’organisation du travail car ça ne regarde plus personne. L’entreprise est devenue une somme d’individus où chacun est responsable de son sort.

Votre site ne pourrait-il être utilisé par les IRP dans les entreprises pour aider les salariés en souffrance, les accompagner ?

L.D. : Nous n’avons pensé l’outil de cette façon. C’est pour un auto-diagnostic. Toutefois le test est poussé dans certaines entreprises, où nous proposons aussi des services d’accompagnement.

Ce recul des collectifs n’explique-t-il pas aussi que plus personne ne sait très bien ce qu’est vraiment un burnout. J’ai entendu cette expression vraiment étrange de "petit burnout". Or le burnout ce n’est pas petit, non ?

J . P. : Les personnes ne savent pas clairement ce qu’est le burnout. Elles en ont entendu parler, elles savent vaguement ce que c’est. La cause du burnout n’est pas un investissement personnel trop élevé. C’est plus compliqué. Mais le phénomène est plus général : il y a méconnaissance du burnout comme il y a méconnaissance du bien-être.

C’est une notion individuelle qui renvoie à des perceptions. L’entreprise est un collectif. Qu’est-ce qu’alors le bien-être au travail ? On crée beaucoup de confusion. Résultat : chacun bricole, tâtonne. Un DRH va tout miser sur l’aménagement de l’espace, un autre va parier sur le sport et un troisième sur des services de conciergerie et une cantine bio...

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