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Exploitation des développeurs : le côté obscur des hackathons

Les entreprises auraient-elles trouvé un moyen d’exploiter les développeurs informatiques ? Selon deux sociologues américains, les hackathons permettent aux entreprises de sous-traiter le travail de façon gratuite en jouant sur l’image cool de ces manifestations.

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Du Mexique (en photo) à Cuba en passant par le Vatican, les hackathons se développent partout dans le monde (Ulises Ruiz Basurto/SIPA)
Publié le 29 mars 2018 à 08:00Mis à jour le 29 mars 2018 à 10:45

Le modèle du hackathon, phénomène en vogue dans le monde de la tech, est critiqué outre-Atlantique par une étude de deux sociologues américains, relayée dans le magazine américain Wired il y a près d’une semaine.

Les hackathons, sont des compétitions d’un jour ou d’un week-end qui réunissent en un lieu des dizaines voire des centaines de développeurs. Ils travaillent de façon volontaire et parfois en équipe sur commande de projets, dans un temps limité. Leur objectif est d’avoir créé un prototype à la fin de l’événement. Les meilleurs ou les plus rapides se voient récompensés, avec des prix allant de simples rétributions financières à l’accompagnement des projets.

Des hackathons qui se répandent partout

Le terme ‘hackathon” a fait son apparition à l’aube des années 2000, dans les milieux de l’informatique, avant de se répandre comme une traînée de poudre au sein des entreprises, des administrations et des organisations.

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Sharon Zukin, une sociologue américaine, a scruté le phénomène entre 2015 et 2016, au sein de sept hackathons organisés à New-York. Son étude, co-écrite avec le sociologue Max Papadantonakis, soutient que ces manifestations permettent aux entreprises d’exploiter des développeurs, en  créant une “’attente fictive autour d’innovations qui profiteraient à tous.”

Main d’oeuvre gratuite

Pour les sociologues, le modèle des hackathons fait miroiter aux participants leur contribution à l’essor d’une économie “nouvelle”, mais aussi la promesse de maigres récompenses et autres avancements potentiels de carrière.

Dans les faits, l’étude indique que les hackathons ne sont pas des critères déterminants dans les stratégies de recrutement des entreprises. Très peu de projets au stade du prototype en fin de hackathon sont poursuivis par leurs auteurs. Les belles histoires de projets devenus des compagnies à succès sont encore plus rares, malgré leur médiatisation à outrance au sein des cercles de hackers. 

Promotion du “Work is Play”

L’épuisement au travail est valorisé dans ces sessions de 24h ou 36h où les slogans clament le plaisir de passer des heures à coder. Mais cette organisation du travail, qui commence à s’instituer comme une norme, s’apparente à de l’exploitation pour les deux sociologues. Les adhérents semblent pourtant adhérer sans réserve au principe du hackathon. Pour Sharon Zurkin, les commanditaires des hackathons sont pour beaucoup dans la diffusion d’une forme de “romance de l’innovation numérique”.

Mike Swift, le fondateur de la Major League Hacking, une entreprise leader dans l’organisation de hackathons, se défend dans l’article de Wired. Selon lui, 86% des participants étudiants aux hackathons jugent avoir appris des nouvelles compétences techniques qu’ils n’auraient jamais étudiées en classe. Un tiers d’entre eux pensent que la participation à un hackathon leur à permis d’obtenir un job.

“S’ils offrent aux participants l'occasion d’acquérir de nouvelles compétences et de faire du réseautage (...) l’avantage potentiel est encore plus grand pour les commanditaires de l’événement, qui les utilisent pour sous-traiter du travail, externaliser l’innovation et accroître leur réputation”, tempèrent les auteurs de l’étude.

Les commanditaires privés investissent d’ailleurs tous les hackathons y compris ceux organisés dans les écoles, les ONG, les organisation civiques. Sharon Zurkin a étudié les hackathons publics, mais rappelle aussi que certains sont organisés au sein d’entreprises comme Facebook par exemple.. Pour elle, les compagnies s’assurent ainsi d’extraire toute la substance créative de leurs travailleurs, à peu de frais.

Incarnation de l’économie du self-marketing

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Pour Sharon Zurkin et Max Papadantonakis, loin d’être un modèle disruptif visant à changer le monde, les hackathons incarnent l’image de marque de la “nouvelle” économie, où le self-marketing et le self-promotion ainsi que l’entrepreneuriat s’imposent à tous.

“La décision de travailler à titre gratuit est liée à la croyance qu’ils (les hackers, N.D.L.R) réalisent un investissement rationnel dans leur employabilité future, en augmentant leur compétences techniques et/ou en construisant des réseaux professionnels”.

“C’est rationnel au regard des attentes du marché du travail actuel”, selon les sociologues, qui rappellent que dans une société ou la précarité est de plus en plus répandue, la démarche volontaire et bénévole des participants à un hackathon s’apparente en réalité à du “travail précaire”.

Lucas Mediavilla

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