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Le printemps des femmes dans la cité de Calvin

OPINION. En décembre 2017, nous étions 19 femmes pour créer l’espace politique non mixte «LALISTE», écrit Manuela Honegger Heller à l'origine de cette initiative. Avec 3,3% des voix aux élections genevoises, elle estime que la mission est remplie

«LALISTE – Femmes 2018» à l’élection du Grand Conseil a récolté 3% des voix, Genève, 4 avril 2018. — © Salvatore Di Nolfi/KEYSTONE
«LALISTE – Femmes 2018» à l’élection du Grand Conseil a récolté 3% des voix, Genève, 4 avril 2018. — © Salvatore Di Nolfi/KEYSTONE

Dimanche 15 avril 2018, à l’Uni Mail à Genève, entourée par une foule de candidat-e-s pour le Grand Conseil, j’ai regardé avec impatience l’écran qui affichait les résultats des élections. Une amie m’a regardé: «T’as vu Manu? On est deuxième. C’est incroyable! Quel magnifique résultat!» Avec 3,3% des voix, notre liste électorale uniquement féminine, intitulée LALISTE, était la deuxième qui n’a pas eu le quorum et nous n’avons eu aucun siège. Pourquoi cette amie et candidate exprimait-elle alors sa joie?

En décembre 2017, nous étions 19 femmes pour créer l’espace politique non mixte LALISTE. Notre but: mettre nos priorités en matière d’égalité hommes-femmes à l’agenda politique et parler pour nous-mêmes. A ce moment, je n’anticipais pas le tremblement de terre politique que ce petit groupe de femmes provoquerait à Genève. A gauche comme à droite, les partis politiques se sont sentis menacés par notre simple présence. Ils se sont surtout préoccupés de questions telles que: «Est-ce que LALISTE va nous piquer des voix? Pourquoi ces femmes ne sont pas venues chez nous? Est-ce que LALISTE est plutôt de gauche ou de droite?»

Créer un espace d’expression

Pour certains militant-e-s politiques l’angoisse était telle que, le 8 mars, ils ont jeté nos flyers par terre et agressé physiquement et verbalement une militante de LALISTE. Des responsables de parti ont évité à tout prix de mentionner LALISTE quand ils ont débattu la question de la sous-représentation des femmes en politique. Pour d’autres, notre petit groupe a provoqué une détresse, comme chez cette militante de gauche qui hurlait, le 15 avril, à l’Université de Genève: «Qu’est-ce qu’elles ont avec leur vagin?»

J’ai vu des femmes ordinaires se transformer en politiciennes, comme ces mères célibataires défendant le contrôle de l’égalité salariale

Ces réactions pourraient faire croire que nous avons fait quelque chose d’illégal ou même d’«immoral». Pourtant, notre groupe de femmes n’a fait que demander, comme n’importe quel autre parti politique établi, d’accéder au pouvoir. Dans un pays où le mari était le «chef» de la famille en regard de la loi jusqu’en 1988, les femmes ne peuvent-elles toujours pas décider pour elles-mêmes? Est-ce qu’il faut encore s’étonner que les femmes soient sous-representées dans nos parlements en Suisse?

Avec cette initiative, mon intérêt était de mener une politique féministe avec des femmes concernées par la précarité et les injustices à Genève et qui n’étaient pas à leur place. J’ai vu des femmes ordinaires se transformer en peu de temps en politiciennes, comme ces mères célibataires défendant le contrôle de l’égalité salariale dans les entreprises. Cet espace créé par LALISTE a été pour moi un lieu d’empowerment et de valorisation pour les femmes. A la fin de la campagne, avec les larmes aux yeux, une candidate est venue me voir en disant: «J’ai parlé sur Léman Bleu, je l’ai fait parce que tu as cru en moi.»

Moments de révolte et de joie

Avec conviction et stratégie, avec un besoin réel de faire changer les choses, nous avons mené notre campagne politique. Les médias sociaux nous ont permis de parler de nos priorités politiques sans que nos propos soient transformés.

La plateforme LALISTE n’a pas seulement été un espace politique virtuel mais une manière de mettre en réseau des femmes engagées en politique. Par exemple, pour des actions comme #EllesSiègent, nous avons pu rendre visibles les candidates au Grand Conseil et le problème de la non-parité dans les espaces politiques. Fait impressionnant, des candidates de tous les partis politiques ont participé à ces actions et nous ont remerciées après. Ainsi malgré certaines réticences à notre égard qui ont persisté jusqu’à la fin de la campagne, nous sommes aussi parvenues à rassembler.

Ces cinq mois d’engagement ont été des moments de révolte et de joie. Je suis convaincue que les femmes veulent et peuvent faire de la politique en Suisse. Elles veulent siéger dans nos institutions. Nous avons remis en question «l’ordre divin» dans la Cité de Calvin, mais fera-t-il bientôt partie du passé?… L’histoire nous le dira.