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Qu’est-ce que l’agence Frontex ?

Frontex, bras armé de la politique migratoire européenne

Créée en 2004 et opérationnelle depuis 2005, Frontex est l’Agence de garde-côtes et de garde-frontières de l’Union européenne (UE). Son siège est basé à Varsovie en Pologne, et son conseil d’administration est composé de représentants des Etats membres de l’UE et de la Commission européenne. Sa mission principale est d’assurer la gestion européenne des frontières extérieures et d’accroître l’efficacité de la politique d’expulsion de l’UE.

Les moyens et les prérogatives de l’agence Frontex n’ont cessé d’être renforcés. Cette montée en puissance vise non seulement à étendre le contrôle et la surveillance des routes migratoires vers l’UE, en vue de stopper les migrations vers l’Europe et à accélérer les expulsions des personnes migrantes qui sont parvenues à atteindre le territoire européen.

De multiples acteurs (société civile, médias, institutions) documentent depuis plus de dix ans l’incompatibilité du mandat et des activités de Frontex avec le respect des droits fondamentaux, et l’impunité structurelle dont elle jouit (voir ci-dessous : Frontex est-elle compatible avec les droits fondamentaux ?).

Quelles sont les activités de Frontex ?

Depuis sa création en 2004, et au grés des refontes de son mandat (2011, 2016 et 2019), les missions et les pouvoirs de Frontex ont été élargis. Alors qu’elle était essentiellement une agence de coopération et de soutien aux autorités de gestion des frontières des Etats membres, les dernières révisions de son règlement ont acté sa transformation en une entité opérationnelle. Frontex est aujourd’hui le bras armé de la politique migratoire européenne. Dans ce cadre, Frontex déploie un large éventail d’activités :

Opérations conjointes de contrôle et de surveillance aux frontières européennes : Frontex assiste les Etats membres en coordonnant et en organisant des opérations conjointes de contrôle et de surveillance aux frontières extérieures terrestres, maritimes et aériennes de l’UE. On peut citer notamment :

  • L’opération Opal Coast déployée depuis décembre 2021 à travers laquelle Frontex déploie un avion de surveillance aérienne pour assister les autorités françaises et belges pour détecter et intercepter les personnes exilées qui tentent de traverser la Manche pour rejoindre le Royaume-Uni.
  • L’opération Themis lancée en février 2018 (pour remplacer l’opération Triton lancée en 2014), centrée sur le contrôle de la frontière maritime de la Méditerranée centrale.
  • L’opération Poséidon lancée en 2006 en Méditerranée orientale, centrée sur le contrôle de la frontière maritime entre la Grèce et la Turquie.
  • L’opération Indalo en Méditerranée occidentale, centrée sur le contrôle de la frontière maritime entre l’Espagne et le Maroc (détroit de Gibraltar jusqu’à Malaga) et l’opération vers l’Espagne.
  • L’opération HERA le long de la côté Atlantique, centrée sur le contrôle de la frontière maritime entre l’Afrique de l’Ouest et l’Espagne (îles Canaries).
  • Frontex coordonne également plusieurs opérations conjointes pour contrôler les migrations vers l’Europe dans la région des Balkans occidentaux à la frontière orientale de l’UE. L’agence est présente aux frontières maritimes (mer Adriatique et mer Ionienne) ainsi qu’aux frontières terrestres et aériennes de plusieurs pays (Albanie, Monténégro, Serbie, Macédoine du Nord, Moldavie)

Frontex dispose également d’une « réserve de réaction rapide » et peut déployer des garde-côtes et des garde-frontières ainsi que des équipements de contrôle et de surveillance, pour assister les Etats membres confrontés à une situation d’urgence à leur frontière. A titre d’exemple, suite à l’invasion de l’Ukraine en février 2022, Frontex a été mobilisée pour soutenir la Pologne, la Hongrie, la Slovaquie dans la gestion de leur frontières et l’enregistrement des personnes exilées fuyant l’Ukraine.

Enregistrement et identification aux frontières : Frontex déploie du personnel opérationnel et des équipements techniques dans certains Etats afin de fournir une assistance au filtrage, au débriefing, à l’identification et au relevé d’empreintes digitales des personnes migrantes à leur arrivée sur le territoire européen (aux frontières terrestres, mais également dans les ports et les aéroports). C’est le cas par exemple en Grèce, dans le cadre de la Task force européenne mise en œuvre par la Commission européenne en septembre 2020 suite à l’incendie du camp de Moria. C’est également le cas à l’extérieur du territoire européen, par exemple à la frontière orientale de l’UE où Frontex assiste les garde-frontières nationaux dans les procédures d’enregistrement et d’identification afin de « filtrer » les personnes exilées qui traversent les Balkans sur leur route vers l’Europe de l’Ouest.

Opérations d’expulsion : L’agence Frontex peut, à la demande d’un État membre ou de sa propre initiative (avec l’accord de l’Etat concerné) coordonner ou organiser des opérations d’expulsion de plusieurs types : des opérations d’expulsion au départ d’un État membre (National return operation – NRO) ; des opérations d’expulsion dite « conjointes » au départ de plusieurs États membres (Joint Return operation – JRO) et des opérations d’expulsion dite « par collecte » (Collecting Return Operation – CRO) pour lesquelles ce sont les autorités des pays d’origine des personnes « expulsables » qui viennent elles-mêmes « collecter » leurs ressortissant·e·s dans un ou plusieurs États membres avec leurs propres moyens (escortes et avions). Les opérations d’expulsion « par collecte » semblent privilégiées pour les expulsions vers les Balkans occidentaux, au premier rang desquels l’Albanie. Enfin, depuis la dernière refonte de son règlement en 2019, Frontex peut également organiser des opérations de retour dites « volontaires » (Voluntary return departure – VRD). Ces opérations de retour conjointes sont particulièrement indignes et traumatisantes, d’après les rares témoignages. Le nouveau pacte européen sur la migration et l’asile, actuellement négocié entre le Parlement et le Conseil européen, confirme le rôle de premier plan donné à Frontex en matière d’expulsion. En 2022, l’Agence a expulsé près de 25 000 personnes à travers 151 vols charters vers 24 pays. Sur l’ensemble de ces vols d’expulsion 90% ont été organisés à l’initiative de la France, l’Italie et l’Allemagne.

Formation des garde-côtes et garde-frontières nationaux :  Frontex propose aussi des formations afin d’assurer la standardisation des compétences des garde-frontières à travers l’UE. Elle propose également des formations aux autorités nationales de gestion des frontières des pays d’origine et de transit avec lesquels elle coopère. Par exemple, dans le cadre de la mission européenne d’assistance pour une gestion intégrée des frontières en Libye (EUBAM Libya) créée en 2013, Frontex participe à la formation des garde-côtes libyens.

Analyse de risque : Depuis sa création, Frontex a développé une activité d’analyse statistique des migrations en Europe et publie régulièrement des chiffres relatifs aux franchissements irréguliers des frontières de l’UE. Mais ces statistiques comportent des biais. Premièrement, de nombreuses personnes sont interceptées plusieurs fois par l’Agence, ce qui augmente les chiffres. Frontex reconnaissait elle-même en octobre 2015 au sujet du chiffre de « 710 000 migrants détectés aux frontières extérieures de l’UE » qu’un « grand nombre de personnes détectées à la frontière hongroise avait déjà été comptées à leur arrivée à la frontière gréco-turque, quelques semaines auparavant »[1]. De plus, les données publiées par Frontex englobent l’ensemble des personnes migrantes interceptées aux frontières dont celles en besoin de protection internationale qui, par définition, ne peuvent pas être qualifiées d’« irrégulières ». Enfin, le nombre de personnes migrantes détectées reflète l’action opérationnelle de l’Agence aux frontières : de fait, plus Frontex déploie d’agents aux frontières, plus elle détecte de franchissements irréguliers. Or, les moyens et les effectifs de Frontex sont en constante augmentation depuis sa création. La position de Frontex vis-à-vis de ces statistiques est donc loin d’être neutre. Comme le souligne le sociologue et statisticien Loup Wolff « Frontex se retrouve dans la situation, éminemment périlleuse, de juge et partie : l’agence contribue à la mise en forme politico-médiatique de la problématique migratoire, tout en proposant ses services pour intervenir (et elle négocie ses budgets en fonction des besoins supposés) »[2]. En mai 2023, , le Contrôleur européen de la protection des données (CEPD) a partagé ses préoccupations concernant « l’utilisation d’informations peu fiables pour la production d’analyses des risques »  qui pourraient avoir « des répercussions négatives sur des individus et des groupes dans le cadre d’actions opérationnelles et du processus de prise de décision politique »[3].

Le partage d’informations et de systèmes d’information : Depuis 2016, Frontex est chargée de l’administration du système EUROSUR, qui permet aux pays de l’espace Schengen et à l’agence Frontex de multiplier les échanges d’informations et de se partager des images et des données en temps réel sur les frontières extérieures de l’Union, recueillies via plusieurs outils de surveillance (satellites, hélicoptères, drones, systèmes de compte rendu des navires…). Depuis 2019, Frontex est également chargée d’assurer la création et le fonctionnement d’ETIAS (Système européen d’information et d’autorisation concernant les voyages), un système électronique qui devrait être déployé à partir de 2024 afin de contrôler les citoyen.ne.s des pays qui n’ont pas besoin de visa pour entrer dans la zone Schengen. Ce système a pour objectif de filtrer les voyageurs et d’écarter celles et ceux qui seront considérées comme un « risque migratoire ».

Quels sont les moyens de Frontex ?

L’extension des pouvoirs de l’Agence s’est accompagnée d’une augmentation considérable de ses moyens financiers et humains.

Le budget de Frontex a explosé depuis sa création, passant de 6 à 845 millions d’euros en 2005 et 2023 (multiplié par 140 en 14 ans) !

La dernière refonde de son règlement en 2019 a doté Frontex d’un contingent permanent de garde-frontières, vêtu d’un uniforme aux couleurs européennes et bénéficiant du port d’armes. Composé à la fois de personnels sous statut Frontex et d’experts nationaux détachés, ce contingent devrait être porté à 10 000 d’ici 2027 (alors que ses effectifs n’étaient que de 750 en 2019) dont 3 000 personnels statutaires et de 7 000 personnels mis à disposition par les Etats membres.

Dans son rapport d’audit publié en juin 2021, la Cour des comptes de l’UE soulignait l’absence d’informations sur l’efficience et les coûts de l’Agence : « Bien qu’elle communique de façon exhaustive sur ses activités, Frontex analyse rarement leur impact ou ses performances. Elle ne fournit pas non plus d’informations sur le coût réel de ses opérations conjointes. Les auditeurs ont constaté que la dernière évaluation externe de l’Agence remontait à juillet 2015. De plus, le nouveau règlement régissant les activités de Frontex a été approuvé en 2019 sans aucune analyse préalable. Pourtant, celui-ci a profondément modifié l’activité de Frontex, qui est passée d’un simple rôle de soutien et de coordination à un rôle de première ligne sur le terrain. »

Frontex peut-elle intervenir à l’extérieur de l’espace Schengen ?

En coopérant de manière très souple avec les Etats non membres de l’UE, notamment avec les Etats africains et des Balkans occidentaux, Frontex constitue l’un des outils les plus emblématiques de l’externalisation des politiques d’immigration et d’asile de l’UE*.

En effet, la compétence de Frontex ne se limite pas à l’espace Schengen, puisqu’elle peut intervenir sur le sol de pays ayant passé un accord avec l’UE afin de les assister dans la gestion de leurs frontières. Dès sa création, le règlement de Frontex prévoyait la possibilité pour l’Agence de conclure des accords de travail avec les services en charge de la gestion des frontières des Etats non UE. Depuis l’adoption de son nouveau règlement en 2019, cette capacité a été encore renforcée avec les nouveaux « accords de statuts » qui permettent à Frontex d’intervenir sur l’ensemble du territoire des pays signataires et non plus seulement dans les régions limitrophes de l’UE, mais également d’exercer des pouvoirs d’exécution tels que les vérifications aux frontières et l’enregistrement des personnes.

Au 1er août 2023, 18 accords de travail ont été conclus directement par l’Agence avec des pays tiers et trois accords de statuts ont été conclus avec le Monténégro, la Moldavie et la Macédoine du Nord. Des négociations sont en cours pour la conclusion d’accords de statuts avec la Serbie, l’Albanie, la Bosnie Herzégovine ainsi que le Sénégal et la Mauritanie.

A défaut de tels accords, Frontex peut s’appuyer sur les accords bilatéraux existant entre les Etats membres et non membres de l’UE. A travers ces différents cadres de coopération, l’agence organise la formation des agents chargés de la gestion des frontières des Etats des pays d’origine et de transit, leur participation aux opérations conjointes qu’elle coordonne (opérations de contrôle et de surveillance, opérations d’expulsion) ainsi que leur coopération en matière d’échange d’informations et d’analyse de risques.

Les accords de travail conclus par l’Agence, et, a fortiori, les accords bilatéraux sur lesquels elle s’appuie pour intervenir à l’extérieur des frontières européennes, échappent au contrôle démocratique des parlements et demeurent soustraits au regard de la société civile. L’absence de contrôle et l’accès restreint à l’information qui caractérise les cadres de coopération de Frontex avec les Etats tiers soulèvent de nombreuses inquiétudes quant au respect des droits : le droit de quitter tout pays y compris le sein, le droit d’asile, le principe de non refoulement, la protection contre tout traitement inhumain ou dégradant et le droit à un recours effectif ne semblent pas garantis.

En outre la coopération souple de Frontex avec les Etats non membres de l’UE permet également à l’Agence de se déresponsabiliser en cas de violences ou de violations des droits fondamentaux. Coordinatrice des opérations, Frontex n’en est pas pour autant responsable juridiquement. La responsabilité repose entièrement sur les autorités des Etats dans lesquels les opérations ont lieu.

* L’ « externalisation des politiques migratoires de l’UE » désigne le processus de délocalisation des contrôles migratoires à l’extérieur des frontières européennes et/ou de transfert de la responsabilité de ces contrôles aux Etats des pays d’origine et de transit des migrants.

Frontex mène-t-elle des opérations de secours et de sauvetage en mer ?

Surveiller n’est pas veiller sur. Si Frontex est tenue de respecter le droit international maritime notamment l’obligation de prêter assistance à toute personne en situation de détresse en mer, ses opérations ont pour mandat principal la lutte contre les passeurs et ce que les États européens qualifie d’« immigration irrégulière ». Le sauvetage n’intervient au mieux qu’au second plan, voire il est empêché.

A titre d’exemple en Méditerranée, pour éviter le débarquement sur le territoire européen des personnes secourues lors des opérations de contrôles, les moyens maritimes de surveillance ont progressivement été remplacés par des moyens aériens dans le but de détecter plus tôt les embarcations et de faire intervenir les garde-côtes libyens plutôt que les garde-côtes italiens ou maltais. Dans une enquête publiée en août 2022, Human Rights Watch et Border Forensic ont précisément documenté le rôle joué par des avions et un drone affrétés par Frontex dans la détection de bateaux de migrants en Méditerranée centrale, et leur interception consécutive par les forces libyennes. Alors que Frontex soutient que la surveillance aérienne permet de sauver des vies, les preuves recueillies démontrent qu’elle est au service de l’interception d’embarcations par les forces libyennes, plutôt que du sauvetage par des organisations de secours civiles ou des navires marchands également présents dans la zone.

Frontex est-elle compatible avec le respect des droits fondamentaux ?

De multiples acteurs documentent depuis plus de dix ans l’incompatibilité du mandat et des activités de Frontex[4] avec le respect des droits fondamentaux, et l’impunité structurelle dont elle jouit.

Depuis 2011, le réseau euro-africain Migreurop (dont La Cimade est membre), dénonce les violations des droits dont Frontex se rend coupable : non-respect du droit d’asile, entraves au droit de quitter tout pays, mauvais traitements et actes de violence, discriminations, manque de transparence en matière de protection des données personnelles[5]. A partir de 2013, la campagne inter-associative Frontexit a montré comment la montée en puissance de Frontex accroissait sa dangerosité. En 2019, l’enquête d’un collectif de médias révélait déjà de nombreux cas de violences lors d’opérations coordonnées par Frontex[6]. L’agence y est notamment accusée d’avoir classé sans suite des cas de mauvais traitements envers des exilé.e.s en Bulgarie, en Hongrie et en Grèce, s’en rendant ainsi complice[7].

Au-delà des journalistes d’investigations et des organisations de la société civile, ces accusations ont également été étayées par les nombreux « rapports d’incidents » effectués par l’Agence elle-même. Depuis 2012, l’Office de protection des droits fondamentaux de Frontex répertorie les plaintes qu’elle reçoit, sans qu’il y soit donné suite. Car ces accusations sont systématiquement balayées d’un revers de communication par Frontex dont l’attitude n’a jamais varié : se retranchant derrière les États hôtes de ses opérations sur qui elle rejette la responsabilité de leur déroulement, elle se contente d’affirmer, à grand renforts de codes de conduites non contraignants et de formations de ses agents sur les « bonnes pratiques », qu’elle respecte scrupuleusement les droits fondamentaux des personnes exilées.

A ce déni de responsabilité s’ajoute une « Stratégie de respect des droits fondamentaux », brandie comme un étendard par l’agence depuis 2011. Pourtant, les instruments de contrôle qu’elle prévoit sont bien faibles y compris durant les expulsions[8], et le mécanisme de plainte mis en place pour dénoncer les violations des droits commises par Frontex elle-même dans les pays où elle opère n’est pas effectif car il ne peut aboutir qu’à d’éventuelles sanctions disciplinaires individuelles, donc internes, et non à la mise en responsabilité de l’Agence. Pire, Frontex décourage toute velléité de porter ces griefs devant la justice[9].

En octobre 2020, Frontex a été accusée par divers médias[10] d’avoir eu connaissance ou de s’être rendue complice du refoulement d’au moins six bateaux d’exilé.e.s en mer Egée, dans le cadre de l’opération Poséidon. Pour la première fois, l’Agence a été sommée de s’expliquer auprès de la Commission et du Parlement européen. Depuis, Frontex fait l’objet de très nombreuses enquêtes et accusations : complaisance ou complicité dans des opérations de refoulements en mer Egée et en Europe de l’Est ; graves dysfonctionnements internes ; mauvaise gouvernance. Au point que de nombreuses investigations ont été menées par les institutions européennes (Parlement européen, médiatrice européenne, Cour des comptes de l’UE, Office européen anti-fraude OLAF), et que la décharge budgétaire de Frontex pour l’année 2020 a été bloquée par le Parlement européen, signe évident de défiance[11].

Suite à ces accusations, Fabrice Leggeri, Directeur exécutif de l’Agence depuis 2015 a remis sa démission en avril 2022. Mais de fait, ni l’incompatibilité du mandat et des activités de Frontex avec le respect des droits fondamentaux, ni l’impunité structurelle dont elle jouit n’a été remise en cause. Car il ne s’agit pas de la responsabilité d’un (seul) homme, mais bien de celle d’un système à l’échelle européenne qui a permis depuis des décennies la multiplication en toute impunité des violations des droits des personnes en migration vers l’Europe.

Car le mandat de Frontex et ses activités, tout comme la politique sécuritaire et mortifère de lutte contre l’immigration en Europe, demeurent. Frontex continuera de « sécuriser » les frontières européennes, avec violence et au mépris des droits et de la vie des personnes, en procédant à des vols collectifs d’expulsion[12], en entravant le droit d’asile, en prévenant les prétendus garde-côtes libyens (qu’elle forme par ailleurs) de venir intercepter les bateaux d’exilé.e.s avant qu’ils ne franchissement les eaux territoriales européennes[13], et continuera d’ériger les personnes en migration vers l’Europe en « menaces » dont il faudrait se protéger. En somme, Frontex continuera d’entraver les mobilités – en violation du droit international[14] -, et à contraindre les personnes à emprunter des voies de passages risquées et mortelles, car tel est bien son mandat.

L’incompatibilité de ses activités avec le respect des droits fondamentaux n’est plus à démontrer. Cependant son impunité reste totale : l’UE et ses États-membres ont progressivement mis en œuvre une stratégie « d’irresponsabilité organisée » en matière de politique migratoire[15], dont Frontex est l’une des composantes sécuritaires essentielles.

Pour aller plus loin

 

[1] Frontex, More than 710 000 migrants entered EU in first nine months of 2015, 13/10/2015

[2] Loup Wolff, « Frontex : juge et parti », Le 1 n°77/7 octobre 2015

[3] Euractiv, Les analyses de risques de Frontex seraient fondées sur des informations peu fiables, 01/06/2023

[4] Appel pour l’annulation du Règlement Frontex, campagne Frontexit.

[5] « Frontex : quelles garanties pour les droits de l’homme », Migreurop, Groupe Verts/ALE Parlement européen, 24 mai 2011 ; Migreurop/Statewatch, Réponse à l’appel à contribution du Médiateur – La stratégie des droits fondamentaux de Frontex, 27 septembre 2012

[6] « Frontex accusée de tolérer des maltraitances sur des migrants  », Le Point, 5 août 2019

[7] « Frontex accusée de tolérer des maltraitances sur des migrants », Euronews, 5 août 2019

[8] Comité de prévention de la torture du Conseil de l’Europe, visite Allemagne 2018, rapport observation vol retour Afghanistan 18 août 2018 ; “Deportation Union : Rights, accountability and the EU’s push to increase forced removals”, Statewatch, août 2020

[9]Frontex is taking us to court”, Luisa Izuzquiza, Arne Semsrott, 2 décembre 2020

[10]Frontex at Fault: European Border Force Complicit in ‘Illegal’ Pushbacks ”, Bellingcat, Der Spiegel , 23 octobre 2020

[11] Communiqué du Parlement européen, Frontex : les députés refusent la décharge du budget 2020, 18 octobre 2022

[12]  Deportation Union : Rights, accountability and the EU’s push to increase forced removals, Statewatch, août 2020

[13] Enquête Le Monde, Des appareils de surveillance de Frontex sont utilisés par les garde-côtes libyens pour intercepter illégalement des migrantsv, 23 novembre 2022

[14] Article 13-2 Déclaration Universelle des droits de l’Homme : « Toute personne a le droit de quitter tout pays, y compris le sien, et de revenir dans son pays » ; article 12-2 Pacte international relatif aux droits civils et politiques : « Toute personne est libre de quitter n’importe quel pays, y compris le sien ».

[15] « La sous-traitance de la politique migratoire européenne est-elle justiciable ? », Migreurop, juin 2019

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