Lorsque de nouveaux employés rejoignent Huawei, ils reçoivent des manuels relatant les prouesses de l’entreprise. L’une d’elles est la façon dont elle s’est développée en Europe. Un chapitre de l’un de ces ouvrages décrit le travail acharné des employés de Huawei pour séduire les opérateurs de télécommunications européens et leur vendre les équipements qui constituent l’ossature des réseaux de téléphonie mobiles.

Mais il en dit peu sur la façon dont l’entreprise a subtilement exercé des pressions, promis des emplois et fait des investissements dans la recherche pour s’attirer les bonnes grâces des gouvernements européens au cours de ces quinze dernières années.

En Grande-Bretagne, par exemple, Huawei a créé un conseil d’administration spécial présidé par John Browne, ancien directeur général du géant pétrolier BP. Ce conseil a fait des dons à des écoles, dont l’université de Cambridge, organisé des fêtes pour les dirigeants politiques et parrainé des œuvres de bienfaisance de premier plan comme le Prince’s Trust, fondé par le Prince Charles. En Allemagne, le groupe chinois a ouvert des centres de recherche et développement et parrainé divers événements, dont la dernière convention de la CDU, l’Union chrétienne-démocrate, au pouvoir.

Le géant chinois risque la disgrâce

Les gouvernements européens se sont montrés réceptifs. L’année dernière, après que Huawei eut annoncé un investissement de 3 milliards de livres sur cinq ans pour développer ses activités en Grande-Bretagne (où il emploie 1 500 personnes), la Première ministre britannique, Theresa May, a rencontré à Pékin Sun Yafang, la présidente du groupe. La chancelière allemande, Angela Merkel, a de son côté posé pour des photos sur le stand de Huawei dans une foire commerciale, également l’année dernière.

Mais malgré tous ses efforts pour plaire, le géant chinois risque la disgrâce. Les États-Unis ont pris des mesures pour limiter l’utilisation de sa technologie en invoquant un risque d’espionnage. En décembre, les autorités américaines ont demandé au Canada d’arrêter l’une des dirigeantes du groupe (Meng Wanzhou, la fille de son fondateur), qu’elles accusent de fraude en vue de contourner les sanctions contre l’Iran. Le tribunal fédéral de Seattle a également ouvert une enquête contre Huawei pour vol de propriété intellectuelle. [Le 28 janvier, le ministère américain de la Justice a dévoilé une série de chefs d’inculpation à l’encontre du groupe, de deux de ses filiales et de Meng Wanzhou. Il est question de violations des sanctions américaines contre l’Iran et de vols de secrets industriels.

Aujourd’hui, la chute de Huawei se précipite en Europe – son plus grand marché en dehors de la Chine –, préfigurant ce qui l’attend dans le reste du monde. En janvier, l’un de ses employés a été arrêté en Pologne et accusé d’espionnage. L’Allemagne, la France et la République tchèque envisagent d’écarter Huawei de leur futur réseau 5G, la prochaine génération de téléphonie mobile. Le chef du renseignement extérieur