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Ennuis judiciaires pour le producteur de cinéma Tarak ben Ammar

Proche de Vincent Bolloré, le producteur franco-tunisien est administrateur de Vivendi, Telecom Italia et Mediobanca

Proche de Vincent Bolloré, le producteur franco-tunisien est administrateur de Vivendi, Telecom Italia et Mediobanca - AFP Paco Serinelli

Suite à la faillite de la société Quinta Industries spécialisée dans la post production de films, le producteur franco-tunisien a été condamné à une interdiction de gérer de trois ans, mais qui ne s'applique pas aux mandats en cours. Il a parallèlement été mis en examen pour "banqueroute".

Le temps se gâte pour Tarak ben Ammar. Le producteur franco-tunisien vient d'être condamné par la cour d'appel de Versailles à une interdiction de gérer d'une durée de trois ans. La cour a aussi condamné Tarak ben Ammar, sa société Quinta Communications et un ancien dirigeant à payer 3,5 millions d'euros (cf jugement ci-dessous).

En 2015, Tarak ben Ammar s'est aussi vu saisir son appartement de Val d'Isère, estimé à 3 millions d'euros. Certes, il a bien contesté cette "hypothèque judiciaire provisoire" (pour reprendre le jargon des juristes) devant le tribunal de commerce de Nanterre, puis la cour d'appel, mais à chaque fois en vain (cf. jugements ci-dessous).

Enfin, et non des moindres, cette affaire comporte aussi un volet pénal: le parquet de Nanterre a ouvert une information judiciaire dans laquelle Tarak ben Ammar a été mis en examen pour "banqueroute" en 2015. Délit pénal, la banqueroute -appelée couramment faillite frauduleuse- vise les anciens dirigeants de droit ou de fait d'une société. Elle est passible de cinq ans de prison, 75.000 euros d'amende, et des peines complémentaires comme l'interdiction des droits civiques, ou l'interdiction d'émettre des chèques durant cinq ans.

Faits délictueux

Tous ces ennuis judiciaires proviennent de la faillite fin 2011 de Quinta Industries (QI). Cette société regroupait différents spécialistes de la post-production de films: effets spéciaux, tirage de copies argentiques... Elle était détenue à 82,5% par Quinta Communications. Quinta Communications était aussi administrateur de QI. Le représentant permanent de Quinta Communications au conseil d'administration de QI était Tarak ben Ammar lui-même à compter du 15 février 2011.

En pratique, c'est le liquidateur de QI, Me Patrick Legras de Grandcourt, qui a obtenu l'interdiction de gérer et la saisie du chalet, et qui a aussi signalé au procureur de Nanterre des faits délictueux lors de la faillite, ce qui a conduit à l'information judiciaire pour "banqueroute".

Echapper au pire

Toutefois, Tarak ben Ammar aurait pu avoir des ennuis encore bien plus importants. En effet, le parquet avait demandé à ce que l'interdiction de gérer s'applique aux mandats en cours du producteur franco-tunisien, qui aurait alors dû abandonner son poste de PDG de son groupe Quinta Communications, ou son mandat de membre du conseil de surveillance de Vivendi. Mais les juges ont décidé que l'interdiction ne s'appliquait pas aux mandats en cours.

En outre, le liquidateur avait aussi demandé à ce que Tarak ben Ammar, Quinta Communications et les anciens dirigeants de QI remboursent tout le passif laissé lors de la faillite, soit la coquette somme de 45 millions d'euros... 

De plus, le liquidateur et le parquet avaient demandé à ce que Tarak ben Ammar soit placé en faillite personnelle pour une durée de quinze ans. Mais le tribunal de commerce s'y est refusé pour "prendre en compte les efforts faits par les dirigeants pour sauver QI, ainsi que les apports financiers faits par Quinta Communications pour constituer puis soutenir QI". Au total, Quinta Communications affirme avoir injecté 22,7 millions d'euros dans QI jusqu'à sa liquidation...

Enfin, les autres biens immobiliers de Tarak ben Ammar en France n'ont pu être saisis, car ils ne sont pas détenus directement par lui. En particulier, ses trois maisons dans la très chic villa Montmorency dans le XVIème arrondissement de Paris sont la propriété de la société luxembourgeoise Hambleton Hall, qui elle-même est détenue par Holland Coordinator & Service BV, la holding néerlandaise de Tarak ben Ammar. L'appartement de Val d'Isère est "le seul bien immobilier détenu par Tarak ben Ammar en France", a écrit la cour d'appel.

Moult irrégularités

Sur le fond, le liquidateur a lancé ces procédures car il estimerait que moult irrégularités ont été commises, notamment dans les relations entre QI et son actionnaire Quinta Communications (cf. encadré ci-dessous).

Rappelons que Tarak ben Ammar est le neveu de la seconde épouse du défunt président tunisien Bourguiba. Il a produit notamment la Traviata de Franco Zeffirelli, Pirates de Roman Polanski et Deux heures moins le quart avant Jesus Christ de Jean Yanne. Il fut le manager de Michael Jackson entre 1996 et 1998. Actuellement, il est actionnaire de la première chaîne privée tunisienne Nessma et des studios de la cité du cinéma à Saint-Denis. Il est aussi administrateur de Vivendi, Telecom Italia, Mediobanca et The Weinstein Co. Selon Variety, il tenterait actuellement de devenir actionnaire d'EuropaCorp, voire de racheter le studio de Luc Besson. 

Contactés, le liquidateur et son avocate Isilde Quenault se sont refusés à tout commentaire. De son côté, l'avocat de Tarak ben Ammar Edouard de Lamaze n'a pas indiqué s'il faisait appel de la décision de la cour d'appel de Versailles.

Les sept irrégularités relevées dans la gestion de Quinta Industries

-peu avant sa faillite, QI a travaillé sur la post-production de L'or noir, un film produit par son actionnaire Quinta Communications. Ces commandes s'élevaient à 3,5 millions d'euros, mais n'ont jamais été réglées en cash par Quinta Communications. La justice estime que cela a privé QI de rentrées d'argent qui auraient été bienvenues vu ses difficultés. Elle a donc considéré que QI a été gérée de manière contraire à l'intérêt de la société, et ce au profit de Quinta Communications**

-QI était une holding, financée par des frais refacturés à ses filiales opérationnelles. Ses coûts de structure s'élevaient à 9 millions d'euros en 2011. La masse salariale s'est élevée à 6,3 millions d'euros en 2007, à cause de rémunérations élevées: 78.000 euros par an en moyenne. Le directeur général Jean-Robert Gibard a notamment touché 562.000 euros en 2009, une somme "manifestement excessive", selon la cour d'appel. Trois salariés étaient payés plus de 15.000 euros par mois, et huit plus de 8.000 euros. Les frais de réception et de déplacement étaient "très élevés au regard de la situation financière". Pour la justice, les dirigeants auraient dû réduire les charges, notamment la masse salariale*

-Au sein de QI, les filiales bénéficiaires (LTC) finançaient les filiales déficitaires (Duran, Duboi, Auditoriums de Joinville). A fin 2010, LTC avait ainsi prêté 21,7 millions d'euros à la holding QI, qui elle-même avait avancé 25,8 millions d'euros à Duran Duboi. "Ces avances ont conduit à la ruine de la holding et des filiales bénéficiaires", a estimé la cour d'appel*

-A partir de 2010, QI n'a plus payé ni la TVA ni ses cotisations sociales, laissant des ardoises de 1,2 et 2 millions d'euros respectivement*

-QI a cumulé 23 millions d'euros de pertes entre 2007 et 2010. Ses capitaux propres, négatifs depuis 2006, étaient de -25 millions d'euros à fin 2010. La société était soutenue à bout de bras par son actionnaire Quinta Communications, mais ce dernier a "réduit fortement" ses avances de trésorerie à partir de mi-2011. La justice a donc estimé que la poursuite de l'activité jusqu'à fin 2011 était "abusive". Pour la cour d'appel, "les actionnaires n'ont pas reconstitué les capitaux propres en violation du code du commerce"*

-QI avait des dettes importantes vis-à-vis de son actionnaire Quinta Communications. Mais, le 30 septembre 2011, juste avant la faillite de QI, un protocole d'accord a été conclu réduisant ces dettes. "Ce protocole a permis à Quinta Communications de réduire son exposition financière de plus de 10 millions d'euros alors que la décision de déposer la déclaration de cessation des paiements de QI était déjà pratiquement prise... Ainsi, Quinta Communications s'est remboursé alors que QI était en état de cessation de paiements... Avoir tardé à déclarer la cessation de paiement, tout en se remboursant dans les derniers mois au détriment des autres créanciers, constitue une faute de gestion particulièrement grave", a jugé le tribunal de commerce. Là encore, la justice a considéré que QI avait été gérée de manière contraire à l'intérêt de la société, et au profit de Quinta Communications. A la demande du liquidateur, le tribunal de commerce puis la cour d'appel ont annulé ce protocole et condamné Quinta Communications à rembourser 3,8 millions d'euros au liquidateur. Surtout, le liquidateur a dénoncé cette irrégularité au parquet, ce qui a conduit à l'ouverture d'une information judiciaire pour "banqueroute"**

-le 28 octobre 2011, QI se déclarait en cessation de paiement, était placé en redressement judiciaire six jours plus tard, et en liquidation un mois et demi après. La justice estime que QI s'est déclaré en cessation de paiements trop tardivement. A la demande du liquidateur, le tribunal de commerce a ensuite fixé rétroactivement la date de cessation de paiement au 1er juillet 2011, une décision confirmée en appel**

*faute que la cour d'appel de Versailles impute à Tarak ben Ammar, considéré comme dirigeant de fait de QI en tant que représentant permanent de Quinta Communications au conseil d'administration de QI à partir du 15 février 2011
**faute que la cour d'appel de Versailles n'impute pas à Tarak ben Ammar

La réponse des avocats de Tarak ben Ammar

*le liquidateur avait demandé à ce que Tarak ben Ammar soit aussi reconnu comme dirigeant de fait de QI, ce qui avait été accordé par le tribunal de commerce. Mais M. ben Ammar a été totalement mis hors de cause à titre personnel par la cour d’appel, qui a infirmé le jugement du tribunal de commerce sur ce point, et a donc débouté le liquidateur des demandes à l'encontre de M. ben Ammar. La cour d'appel a en effet considéré que le liquidateur ne démontrait pas la commission par M. ben Ammar "d’actes personnels distincts de ceux accomplis en tant que dirigeant légal de la société Quinta Communications et de représentant permanent de Quinta Communications au conseil d’administration de QI à compter du 15 février 2011. La qualité de dirigeant de fait ne sera donc pas retenue à son égard, et aucune faute ne pourra lui être reprochée à ce titre"

*M. ben Ammar n’est donc tenu pour responsable qu’en qualité de représentant de Quinta Communications au conseil d'administration de QI à partir de février 2011, poste occupé afin de mener à bien la conciliation avec le tribunal de commerce, qui n’a malheureusement pas aboutie du fait du refus de soutien de Technicolor (qui détenait 17,5% de QI) et donc des banques

*concernant les sanctions pécuniaires, le tribunal de commerce avait condamné Quinta Communications, Tarak ben Ammar et deux anciens dirigeants de QI (Farid Djouhri et Jean-Robert Gibard) à payer solidairement 3,5 millions d'euros. La cour d'appel a bien confirmé les 3,5 millions à la charge de Quinta Communications et son représentant de droit M. ben Ammar et Farid Djhouri. Mais l’exclusion de la solidarité des condamnations prononcée par la cour d'appel a eu pour effet de réduire la sanction effective mise à leur charge: 2/3 soit environ 2,3 millions pour Quinta Communications et M. Ben Ammar, et 1/3 soit 1,7 million pour M. Djouhri. Ainsi, non seulement les sanctions pécuniaires n’ont pas été augmentées pour Quinta Communications et son représentant M. ben Ammar mais bien réduites.

*les sanctions pécuniaires prononcées à l’encontre de l’ensemble des dirigeants assignés ont augmenté en appel. La condamnation de M. Gibard a été triplée par la cour d'appel: 315.000 euros devant le tribunal de commerce, à 920.000 euros devant la cour d'appel. La condamnation de M. Djouhri a augmenté en appel de 400.000 euros, plus exclusion de la solidarité. L’ensemble des autres dirigeants qui avaient été mis hors de cause par le tribunal de commerce, ont bel et bien été condamnés par la cour d'appel, parmi eux EBSF, représentant de Technicolor. Le représentant de Technicolor a donc été condamné en appel à 150.000 euros, alors qu’il avait été mis hors de cause par le tribunal de commerce. Cette condamnation de Technicolor est fondamentale et constitue le combat de M. ben Ammar depuis des années.

*sur le plan pénal, la procédure judiciaire pénale est en cours, et soumise au secret de l’instruction. Il est curieux de communiquer dessus sans en connaître les tenants et aboutissants. Il appartient d'analyser les éléments nouveaux contenus dans l’arrêt de la cour d’appel du 20 février comme étant de nature à influencer favorablement les instances pénales en cours diligentées par le liquidateur, puisque ce dernier a été:
-débouté de ses demandes exorbitantes pouvant justifier d’une soit disant faillite frauduleuse;
-débouté de sa demande de gérance de fait à l’encontre de M. Tarak ben Ammar, qui a été personnellement mis hors de cause sur l’analyse des faits jugés au civil et instruits au pénal;
-débouté de ses demandes de condamnation personnelle de M. ben Ammar puisque ce n’est qu’au titre de ses fonctions de représentant permanent de Quinta Communications qu’il est condamné solidairement avec Quinta Communications à hauteur de 2,3 millions d’euros (soit 2/3 de 3,5 millions);
-débouté de sa reconnaissance de faute, tant sur le protocole du 30 septembre 2011 que sur l’Or Noir, arguments ayant servi de base aux poursuites pénales du liquidateur;
-débouté de sa demande de mise hors de cause de Technicolor, soutenue par le Parquet de Nanterre, qui au contraire a été condamné pour la première fois par la cour d’appel. La cour d’appel avait elle-même estimé dans les arrêts sur l’article 145, avec le soutien du Parquet Général de Versailles, que Technicolor s’était comporté comme un "prédateur"
Les arguments de la plainte du liquidateur ont donc été battus en brèche par la cour d'appel, et le juge d'instruction ne manquera pas d'en tenir compte et de prononcer un non lieu.

Droit de réponse des avocats de Tarak ben Ammar

"Le site de BFMTV, sous la plume de Monsieur Jamal Henni, a cru devoir publier un article sur les suites judiciaires de la liquidation de la société Quinta Industries, sous le titre volontairement accrocheur: «Tarak ben Ammar mis en examen».
1. Ce titre n’est pas vraiment d’actualité et aurait dû s’appeler: «Tarak Ben Ammar mis en examen… IL Y A TROIS ANS», en même temps que les autres dirigeants des sociétés du groupe Quinta Industries dont Technicolor est actionnaire.
2. La véritable actualité est celle d’un arrêt qui vient d’être rendu par la Cour d’appel de Versailles et qui exonère Tarak Ben Ammar de la plus grande partie des éléments qui avaient fondé la mise en examen; PARTICULIÈREMENT, LA COUR A MIS TARAK BEN AMMAR HORS DE CAUSE À TITRE PERSONNEL, CONTRAIREMENT AUX AUTRES DIRIGEANTS, considérant qu’il n’avait commis aucune faute à ce titre. Ainsi, l’information donnée dans l’article selon laquelle la Cour avait considéré qu’il était un dirigeant de fait est une CONTRE-VÉRITÉ
3. Par ailleurs, l’article de BFMTV passe complètement sous silence le fait que cet arrêt de la Cour d’appel de Versailles a également prononcé une condamnation contre la société TECHNICOLOR (EBSF, anciennement TNSF) dont Tarak Ben Ammar souligne depuis des années la responsabilité dans les graves difficultés de Quinta Industries; c’est d’ailleurs la raison pour laquelle, outre une plainte pénale ayant donné lieu à l’ouverture d’une information judiciaire par le Parquet de Nanterre des chefs D’ESCROQUERIE AU JUGEMENT ET ABUS DE CONFIANCE, Quinta Communications a assigné Technicolor pour réclamer environ 60 millions d’euros de dommages et intérêts; Monsieur Henni a curieusement passé ce fait sous silence alors pourtant que les éléments de cette procédure lui avaient été communiqués.
Tarak Ben Ammar fait donc toutes réserves sur cet article, qui met artificiellement en exergue un fait intervenu il y a trois ans et présenté comme récent, alors qu’il présente comme secondaire un arrêt de Cour d’appel celui-là vraiment récent, qui remet en cause la plainte d’il y a trois ans; Tarak Ben Ammar rappelle le principe de la présomption d’innocence, l’existence d’une enquête en cours ne valant pas reconnaissance de culpabilité "
Édouard de Lamaze et Michel Rasle
Avocats - conseils de Monsieur Ben Ammar

Jamal Henni