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Rayons cosmiques : la fin d’une énigme qui dure depuis plus d’un siècle

Publié le 22 Mai 2013 à 00H00 Modifié le 23 avril 2019
Chaque seconde, 100 particules de rayons cosmiques frappent chaque mètre carré de l’atmosphère terrestre.

La traque aura duré exactement cent un ans ! Mais la provenance et la nature de la pluie de particules qui s'abattent à chaque seconde sur la Terre avec une énergie inouïe ne font plus de doute. Les supernovae, que l'on suspectait, ont été confondues…

Une aventure scientifique qui aura connu 4 temps forts

             1912             Victor Hess découvre l’existence des rayons cosmiques          

A bord d’un ballon, le physicien autrichien Victor Hess mesure que le niveau d’ionisation de l’atmosphère augmente avec l’altitude. Seule explication : des particules extraterrestres tombent sur l’atmosphère. Des rayons cosmiques d’origine inconnue ne cessent de pleuvoir sur la Terre.

1939 Les supernovae commencent à être suspectées

Le physicien français Pierre Auger mesure que la vitesse des rayons cosmiques est gigantesque, ce qui veut dire que les particules qui le composent doivent avoir été accélérées par un phénomène astronomique extrême. Les astronomes soupçonnent aussitôt des explosions d’étoiles, que l’on nomme supernovae.

1970 Une théorie fait le lien entre rayons cosmiques et supernovae

Sur le papier, le scénario des supernovae est validé : des théoriciens montrent que l’onde de choc d’une explosion d’étoile est capable d’accélérer des particules de gaz interstellaire jusqu’à des énergies compatibles avec celle des rayons cosmiques. Reste à le confirmer avec des mesures astronomiques.

2013 Une preuve confond définitivement les supernovae

Dans l’onde de choc de deux supernovae, le télescope Fermi détecte une puissante lumière : des rayons gamma dont l’énergie de 70 MeV signe la collision de rayons cosmiques avec les particules de nuages interstellaires. Enfin le lien est fait : les rayons cosmiques sont accélérés par des explosions d’étoiles.

Des affaires non classées qui concernent le cosmos, c’était l’une des plus tenaces. Cent un ans qu’elle nous narguait ! L’un des pires casse-tête de l’astronomie. L’une des énigmes les plus ardues de la physique. Et l’une des plus grandes épopées scientifiques, jalonnée d’une dizaine de prix Nobel. Même dans son énoncé, l’affaire ne manquait pas d’envergure : il s’agissait de savoir pourquoi, chaque seconde, la Terre est littéralement bombardée d’une pluie de particules à l’énergie colossale, un flot sans cesse renouvelé d’infimes grains de matière atomique, accélérés plus que de raison, dont l’énergie peut atteindre jusqu’à mille fois celle développée par le Large Hadron Collider (LHC), l’accélérateur de particules géant de l’Organisation européenne pour la recherche nucléaire (Cern)… Passé inaperçu pendant des siècles, ce bombardement intempestif de notre petite planète ne pouvait plus rester sans explication. Qui nous pilonne ainsi, depuis tous les coins de la Voie lactée ? D’où viennent ces minuscules projectiles qui nous tombent du ciel ? Quel est le mystérieux phénomène naturel qui parvient à leur insuffler une telle vitesse ? Après ce qui restera comme l’une des plus longues enquêtes scientifiques, l’énigme vient d’être résolue.

UNE TRAQUE D’UN SIÈCLE

Le télescope spatial Fermi, spécialisé dans l’observation des phénomènes les plus violents de l’Univers, a en effet dévoilé la pièce à conviction tant attendue : ces petits bolides cosmiques naissent de l’agonie cataclysmique d’étoiles massives, les fameuses supernovae. Ils puisent leur vitesse inouïe dans l’onde de choc surpuissante engendrée par ces explosions stellaires – dont les volutes qui se déploient dans l’espace durant des milliers d’années forment l’un des plus merveilleux spectacles célestes. « C’est un résultat historique, lâche tout simplement Pasquale Serpico, du Laboratoire de physique théorique d’Annecy-le-Vieux, physicien extérieur à la collaboration Fermi. Equivalent, dans notre domaine, à la découverte du boson de Higgs,que les physiciens des particules ont traqué pendant près de cinquante ans !  » En l’occurrence, la traque commence dès 1912. Le physicien autrichien Victor Hess mène alors des expériences en ballon afin de vérifier, comme on l’imagine à l’époque, qu’au fur et à mesure que l’on s’élève en altitude, l’air est de moins en moins ionisé (c’est-à-dire constitué de moins en moins d’atomes et de molécules chargés électriquement). De fait, on s’attend à ce que ce soient les particules radioactives émises par la Terre (celles-ci étant, par définition, plus nombreuses au niveau du sol) qui arrachent leurs électrons aux molécules de l’atmosphère. Or, c’est l’inverse qui est observé ! Plus le ballon s’élève, plus l’air semble chargé de particules électrisées. Le physicien multiplie les mesures. Il travaille même de nuit et profite d’une éclipse pour voir si le Soleil n’est pas à l’origine du flot de particules… Et finit par conclure : « La seule manière d’interpréter mes résultats expérimentaux fut d’admettre l’existence d’un rayonnement très pénétrant, d’une nature encore inconnue, venant principalement d’en haut, très probablement d’origine extraterrestre » .

C’est un résultat historique, équivalent, dans notre domaine, à la découverte du boson de Higgs – PASQUALE SERPICO PHYSICIEN AU LABORATOIRE DE PHYSIQUE THÉORIQUE D’ANNECY-LE-VIEUX

FAUT-IL CRAINDRE LES RAYONS COSMIQUES ?

Bombardant uniquement la haute atmosphère, les rayons cosmiques ne frappent en définitive que. . . les avions. Or, il a été mesuré qu’un aller-retour Paris-New York correspond à une dose de 0,08 mSv. Sachant que la loi fixe à 20 mSv par an la dose de radiations acceptable, la question du risque ne se pose donc que pour les personnels. Et de fait, les compagnies aériennes ont une obligation d’évaluation des doses, de réduction des expositions et d’information. Une femme enceinte, elle, ne peut pas être affectée à une activité en vol si la dose reçue par l’enfant à naître peut dépasser 1 mSv.

LUMIÈRE OU MATIÈRE ?

Ainsi naît le mystère des « rayons cosmiques » – qui d’emblée, et pendant un siècle, sèmera la confusion, en appelant « rayons » ce qui est en fait des particules. Mais puisque l’on parle dès lors de « rayonnement », de quelle nature peut-il bien être ? D’où peut-il provenir ? L’affaire mobilise aussitôt nombre de physiciens. Les théories s’opposent. L’Américain Robert Millikan, spécialiste de l’électron, défend que le rayonnement est constitué de photons, autrement dit de particules de lumière ; quand son compatriote Arthur Compton, qui travaille sur l’interaction entre lumière et particules, lui, parie qu’il s’agit de particules de matière chargées électriquement, comme des protons, ces constituants du noyau atomique dotés d’une charge électrique positive… Il faut attendre 1930 pour trouver un indice décisif sur la nature de ces fameux rayons cosmiques : on s’aperçoit que leur flux varie en fonction du champ magnétique terrestre. Il n’y a alors plus de doute : ce rayonnement ne peut pas être constitué de particules de lumière, puisque ces dernières sont insensibles aux champs magnétiques. Il s’agit bien d’un flux de particules électrisées – des protons ou autres noyaux atomiques chargés… à la vitesse colossale ! C’est d’ailleurs là la plus grande surprise : en 1939, alors qu’il étudie les gerbes de particules secondaires qui naissent de la pénétration dans la haute atmosphère de ces rayons cosmiques, le physicien français Pierre Auger mesure que la vitesse des protons est toute proche de celle de la lumière, ce qui veut dire que leur énergie atteint quelques petaélectronvolts (10 eV), une valeur relativement faible en elle-même – approximativement celle déployée par une mouche en vol – mais qui devient faramineuse lorsqu’elle se trouve concentrée dans une particule large de seulement quelques millionièmes de nanomètre… Les rayons cosmiques deviennent alors une véritable aubaine. Vingt ans avant la construction du premier accélérateur de particules, les physiciens réalisent qu’ils ont à leur disposition un mécanisme naturel leur permettant de pousser dans leurs retranchements les lois de l’infiniment petit. En regardant la façon dont ces petits bolides de l’espace se fracassent contre les particules de l’atmosphère, ils peuvent pour la première fois observer la matière dans ses états les plus intimes.

Jusque-là, on avait échoué à identifier les particules incriminées – MARIANNE LEMOINE-GOUMARD MEMBRE DE LA MISSION FERMI, CENTRE D’ÉTUDES NUCLÉAIRES DE BORDEAUX-GRADIGNAN

UN MYSTÉRIEUX MÉCANISME

Positron, muon, pion… des dizaines de particules inconnues qui émergent de ce flux énergétique viennent enrichir le tout nouveau bestiaire de la matière, avant que la géologie et l’astrophysique s’emparent à leur tour de ce formidable outil d’exploration scientifique qui nous tombe du ciel (voir encadré p. 103). Mais le mystère de leur origine demeure. D’où peut bien provenir une énergie aussi faramineuse ? Quel phénomène astrophysique est capable d’insuffler une telle vitesse à des particules ? Le problème est d’autant plus épineux que les rayons cosmiques, lorsqu’ils frappent la Terre, ont perdu toute mémoire de leur lieu de naissance : ces particules ultra-rapides semblent venir de toutes les directions du ciel à la fois, et par conséquent… d’aucune. C’est que, contrairement à un rayon de lumière qui se propage en ligne droite, ces particules chargées, après avoir été accélérées, zigzaguent pendant plusieurs millions d’années, au hasard des irrégularités du champ magnétique de la Galaxie, y compris en dehors de son disque. Leur fin de trajectoire ne renseigne donc pas sur la source qui les a engendrées. En 1934, les astronomes Walter Baade et Fritz Zwicky identifient pourtant les suspects naturels : les supernovae. Après tout, ces explosions d’étoiles sont le phénomène le plus violent de l’Univers et les ondes de choc gigantesques qu’elles produisent dépassent en énergie tout ce qui est connu dans la Galaxie… Las, personne ne peut expliquer comment cette énergie pourrait accélérer des particules créant les rayons cosmiques. Quinze ans plus tard, Enrico Fermi imagine un embryon de mécanisme : les champs magnétiques désordonnés qui règnent dans les nuages de gaz interstellaire pourraient perturber la trajectoire des particules chargées qui les composent et les accélérer petit à petit… Mais cela ne suffit pas : le célèbre physicien italien s’aperçoit rapidement que certains de ces rebonds magnétiques sont également susceptibles de ralentir les particules, si bien qu’en pratique, il faudrait environ un milliard d’années à une particule pour seulement tripler la vitesse qu’elle aurait en pénétrant au sein d’un nuage… On est loin du compte ! Il faut en fait attendre les progrès réalisés dans la manipulation des complexes équations non linéaires de la magnétohydrodynamique relativiste pour voir plusieurs groupes parvenir à assembler le casse-tête. Et révéler, dans les années 1970, que Baade, Zwicky et Fermi pourraient en fait tous avoir raison. Champ magnétique et ondes de choc pourraient être les deux responsables de la naissance des rayons cosmiques. Tout se passerait à la frontière définie par l’onde de choc engendrée par une supernova.

Rayons cosmiques : ce sont en fait des particules

             IL S’AGIT DE PARTICULES DE MATIÈRE          

Les rayons cosmiques ne sont pas des rayons de lumière, mais des particules de matière : des protons, des neutrons, des électrons ou des noyaux d’atomes.

… QUI HEURTENT L ATMOSPHÈRE …

Les particules des rayons cosmiques filent dans l’espace jusqu’à, pour certaines, heurter la Terre. Les plus rapides et donc les plus énergétiques sont aussi les plus rares : il tombe une particule de 1020 eV par km² chaque siècle.

… ET S Y DÉSINTÈGRENT

Lorsqu’elles entrent en collision avec les atomes de l’atmosphère, les particules de rayons cosmiques libèrent leur énergie, donnant naissance à une gerbe de particules de matière qui s’étend jusqu’au sol.

UNE BOSSE CARACTÉRISTIQUE

En rebondissant dans le champ magnétique dont elles sont elles-mêmes responsables, les particules chargées pourraient traverser quelques milliers de fois cette onde de choc. Et à chaque nouvelle traversée, être accélérées… jusqu’à acquérir cette vitesse gigantesque observée au voisinage de la Terre. L’enquête progresse : les physiciens tiennent enfin un scénario plausible, avec un mécanisme possible et un suspect de plus en plus solide : les supernovae. Mais la seule façon de confondre de manière indubitable ce suspect est de le prendre en flagrant délit. C’est-à-dire de braquer un télescope sur l’onde de choc d’une supernova et d’assister à la naissance d’un rayon. Coup de chance, certaines particules constituant les rayons cosmiques sont visibles de loin. Non pas directement, mais parce que lorsqu’elles rencontrent les atomes du milieu interstellaire, elles émettent une lumière très brillante : des photons de haute énergie, appelés « rayons gamma ». Si la traque de cette fameuse lumière gamma commence dès les années 1960, il faut attendre plus de quarante ans pour que le télescope Hess, situé en Namibie, capte en 2004 de manière non ambiguë ces photons énergétiques en provenance de différentes super-novae… Puis c’est au tour du Very Large Telescope, au Chili, qui, ciblant l’onde de choc de la supernova SN 1006 en février dernier, distingue le même phénomène. Sauf que, là encore, le mystère résiste. Car les théoriciens préviennent : les protons accélérés des rayons cosmiques ne sont pas les seuls capables de produire un tel rayonnement !

IL AURA FALLU QUATRE ANS À FERMI POUR PARVENIR À CAPTER LE SIGNAL ESPÉRÉ

Lequel pourrait aussi provenir d’un nuage d’électrons de haute énergie… « Ces observations importantes ont apporté la preuve que les supernovae peuvent accélérer des particules… mais elles n’ont pas permis d’expliciter la nature des particules incriminées » , résume Marianne Lemoine-Goumard, membre de la mission Fermi au Centre d’études nucléaires de Bordeaux-Gradignan. Il faut donc faire un dernier effort pour clore l’enquête. Car il existe un moyen de faire le tri entre des rayons gamma produits par des électrons et ceux engendrés par des protons. Les spécialistes des particules ont en effet mis en évidence que le spectre d’énergie des rayons gamma émis par des protons avait une caractéristique particulière, une petite bosse centrée autour de l’énergie de 70 mégaélectronvolts. « Un seul phénomène est susceptible d’engendrer un tel signal : lorsque l’interaction entre un rayon cosmique et un atome engendre une particule instable appelée pion neutre, qui se désintègre instantanément en deux photons gamma de 70 mégaélectronvolts, détaille Jean Ballet, au Service d’astrophysique du Commissariat à l’énergie atomique (CEA), à Saclay, et membre de la collaboration Fermi. Il est ainsi possible de faire la distinction entre des gamma issus d’électrons, dont le spectre ne présente aucune particularité à cette énergie, et ceux issus de protons, via la désintégration des pions. » Seulement, pour voir cette bosse, il faut pouvoir capter tous les rayons gamma, et pas seulement les plus énergétiques qui, seuls, parviennent à se frayer un chemin dans l’atmosphère jusqu’à frapper le détecteur de Hess… Autrement dit, il faut envoyer un télescope dans l’espace. C’est là qu’intervient Fermi . Placé en orbite en 2008, spécialisé dans la détection des photons gamma d’énergie intermédiaire, soit entre 20 mégaélectronvolts et 300 gigaélectronvolts, ce télescope a été taillé sur mesure pour cette mission. Pendant quatre ans, il s’est focalisé sur IC 443 et W44, deux supernovae situées respectivement à 5 000 et 10 000 années-lumière de la Terre, et bien connues des astrophysiciens pour leur brillance exceptionnelle. Il a patiemment enregistré la moindre émission de lumière gamma. Jour après jour, les astronomes ont méticuleusement récolté la moisson, prenant garde de trier le bon grain de l’ivraie.  » Pour nous assurer que les photons que nous détections provenaient bien de l’environnement des super-novæ et pas de sources situées en avant-plan, nous avons dû comparer la morphologie des émissions gamma avec celle de rayonnements dans d’autres longueurs d’onde dont nous sommes sûrs, via plusieurs autres observations  » , explique Marianne Lemoine-Goumard.

DES RAYONS QUI FONT AVANCER LES SCIENCES

                            Hier, en physique des particules                      

En pénétrant dans l’atmosphère, les rayons cosmiques engendrent des gerbes de particules secondaires grâce auxquelles les physiciens, avant l’avènement des accélérateurs géants, affinent le bestiaire élémentaire. En 1932, Carl Anderson y découvre le positron (ci-dessous), première particule d’antimatière. En 1935, il y détecte également le muon, cousin obèse de l’électron. Puis, en 1947, c’est au tour du pion, considéré alors comme le médiateur de l’interaction forte, d’être ainsi débusqué.

              Aujourd’hui , en géophysique             

Les rayons cosmiques sont désormais une sonde de premier choix pour documenter les processus géophysiques. La chambre magmatique de la Soufrière de Guadeloupe a ainsi été « radiographiée » (voir ci-dessous) grâce aux muons issus des rayons cosmiques qui traversent le volcan. Et, l’année dernière, l’excursion du champ magnétique terrestre survenue il y a 41 000 ans a été mesurée via la concentration de béryllium 10 dans les sédiments marins, un isotope engendré par les rayons cosmiques dont le flux dépend crucialement de l’intensité du champ.

              Demain, en astrophysique             

Dans la décennie à venir, plusieurs observatoires ont le projet d’étudier les phénomènes les plus énergétiques de l’Univers avec les rayons cosmiques. Ainsi depuis 2004, l’Observatoire Pierre-Auger les exploite pour détailler les mécanismes des supernovae. Et, en analysant leur composition, le détecteur spatial AMS( Spectromètre magnétique alpha ) espère dénicher l’énigmatique matière noire.

IL RESTE UN DÉFI : CELUI DES RAYONS COSMIQUES. EXTRAGALACTIQUES . .

Le cas des rayons cosmiques galactiques étant réglé, reste celui de leurs alter ego extragalactiques. S’il n’en tombe sur Terre qu’un seul par siècle et par km² (comme l’a calculé une analyse statistique), leur vitesse dépasse l’entendement : ils peuvent atteindre l’énergie de 1020 électronvolts, soit celle d’un pigeon en vol concentrée en une seule particule. Seuls les phénomènes les plus violents de l’Univers sont susceptibles d’en être à l’origine. Les spécialistes invoquent des trous noirs supermassifs qui pourraient produire des jets de matière d’une puissance extrême. Ou bien d’autres trous noirs résultant de la fusion de deux étoiles à neutrons. Autre piste : l’explosion des quelques rarissimes étoiles vingt à trente fois plus massives que le Soleil. A moins qu’il ne s’agisse de pulsars, ces étoiles ultra-compactes engendrant un champ magnétique colossal. Si ce n’est qu’au regard de leur énergie, ces rayons devraient être très peu déviés par les champs magnétiques qui baignent l’Univers. Or, aucune des sources n’a été détectée dans le ciel dans la direction d’arrivée de ces particules. Bref, le mystère est total…

UNE PREUVE DÉFINITIVE

Puis, ils ont méticuleusement épluché les spectres un à un, raffinant à l’extrême les logiciels consacrés à la reconstruction des événements dans le détecteur, et poussant dans leurs derniers retranchements les performances de leur instrument… Car Fermi avait beau être trente fois plus sensible que l’observatoire spatial de rayons gamma auquel il a succédé, l’instrument CGRO (Compton Gamma-Ray Observatory) de la Nasa, il était contraint par une limite technique : la résolution d’un détecteur de rayons gamma est toujours plus faible dans la partie basse du spectre, où est censée se situer la bosse… Et c’est seulement il y a quelques mois que les membres de la mission Fermi ont vu s’afficher sur leurs écrans le précieux signal. Stefan Funk, qui fait partie de l’équipe à l’université Stanford, exulte :  » Nous apportons la première observation directe que les résidus de supernovæ accélèrent les protons, et donc les rayons cosmiques ! «  Certes, les plus rigoristes pourront faire remarquer qu’il reste encore à montrer que l’environnement des supernovae génère également les plus rapides des rayons cosmiques, ceux dont l’énergie peut atteindre plusieurs petaélectronvolts. Ce que, comme l’explique Marianne Lemoine-Goumard,  » nous espérons pouvoir faire avec le télescope au sol Cherenkov Telescope Array (CTA), qui prendra la succession de Hess dans le futur  » . Mais la preuve est déjà là, définitive, et sans la moindre équivoque : le spectre de lumière enregistré par le télescope Fermi démontre qu’il y a bien des protons accélérés près de l’onde de choc des su-pernovae. Et le scénario peut donc pour la première fois être déroulé avec certitude : les supernovae provoquent des ondes de choc qui accélèrent des protons, en leur insufflant une énergie considérable, avant de les laisser s’échapper dans l’espace. Au terme d’un périple chaotique, certaines de ces particules viendront s’échouer sur l’atmosphère terrestre.

 » Ce que les gens de Fermi ont fait est spectaculaire ! « , s’enthousiasme Pasquale Serpico. Ce n’est en effet pas tous les jours que l’on voit se clore un chapitre de la science d’une telle ampleur. Les plus violents morceaux de ciel qui nous tombent sur la tête auront finalement mis cent un ans à livrer leur secret.

Un article issu du n°1149 de Science & Vie
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