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Billet de blog 9 novembre 2021

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Chômage : l’embellie est-elle si belle ?

À en croire les discours gouvernementaux, l’emploi et la croissance sont repartis sur de bonnes trajectoires. Il n’est pas besoin d’en faire davantage. Sauf, peut-être, d’obliger un peu plus les chômeurs à accepter les « centaines de milliers » d’offres d’emploi disponibles...

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Après un engagement économique très fort en 2020-2021, notamment par la prise en charge du chômage partiel, l’État français semble vouloir ralentir dans ses efforts de soutien à l’emploi.

À 180 degrés de la politique du président Biden qui relance actuellement l’emploi aux États-Unis par des mesures d’ampleur (dont de nombreux autres pays profitent par ricochets), notre gouvernement campe sur ses positions de toujours dans la période de crise que nous vivons, inédite depuis la seconde guerre mondiale. À ses yeux, le marché de l’emploi n’a pas besoin de réformes structurelles, les mécanismes du marché suffiront à relancer la machine !

C’est vrai, il y a sans doute au moins deux faits nouveaux. D’abord, effectivement, on constate une certaine embellie économique due à la reprise d’activités qui avaient été ralenties pendant les confinements, et sans doute aussi à un certain exode urbain qui redynamise des territoires ruraux. Ensuite, depuis quelques mois ou années, nous sommes face à un phénomène nouveau : les jeunes et les moins jeunes ont des attentes ou même des exigences plus importantes qu’avant en matière d’emploi (à la fois pour ce qui concerne la qualité de vie au travail que pour ce qui touche au respect de l’employeur de certaines valeurs écologiques ou sociales). Face à ces attentes croissantes, les entreprises, les employeurs publics et les pouvoirs publics sont à la traîne, l’ensemble des démarches de « qualité de vie au travail », « responsabilité sociétale des entreprises », « entreprises à mission », etc. se heurtant à des manques d’ambitions et de moyens (voir à ce sujet le livre d’Yves Clot Le prix du travail bien fait). Aux États-Unis, on constate des démissions importantes dans des entreprises où les conditions de travail ne s'améliorent pas (y compris au niveau des précautions sanitaires liées à la pandémie).

Ces deux faits nouveaux sont indiscutables, mais rappelons quelques autres vérités que nos dirigeants tentent chaque jour de nous faire oublier.

Les offres d’emplois vacantes

D’abord, contrairement aux discours répétés sur le nombre important d’offres d’emplois vacantes, ces chiffres sont à considérer avec une grande précaution. Ils sont certes en augmentation du fait des deux phénomènes nouveaux que nous venons d’évoquer, mais ils ne représentent qu’une infime partie (entre 2 et 5 % ?) du nombre d’emplois qui devraient être mis en face des au moins 6 millions de personnes (nombre d’inscrits en catégories A, B et C en France et outre-mer au 3e trimestre 2021) en manque d’emploi décent dans notre pays. Et les difficultés de recrutement pour ces offres vacantes ne sont pas principalement dues au fait que « les Français ne veulent plus travailler. » Des raisons très importantes tiennent aussi aux employeurs, qui ne font pas suffisamment évoluer leurs conditions de travail et de rémunération.

L’évolution du nombre des demandeurs d’emploi

Si l’on observe maintenant l’évolution récente du marché de l’emploi (à partir du document « Demandeurs d'emploi inscrits à Pôle emploi au 3e trimestre 2021 », publié par la DARES-Pôle emploi en octobre 2021 sur https://statistiques.pole-emploi.org/stmt/publication), qu’observe-t-on ? Trois faits principaux :

- on est en gros revenu à la situation d’avant-Covid pour le nombre d’inscrits à Pôle emploi (ce qui n’est pas surprenant – il faut bien remonter un jour quand on a atteint le fond de la piscine –, ni glorieux – nous nous trouvions déjà, fin 2019, à des niveaux de chômage records pour le 6e pays le plus riche du monde) :

Illustration 1

- malgré l’embellie actuelle, le nombre de demandeurs d’emploi ne baisse pas pour les plus de 50 ans :

Illustration 2

- et le nombre de demandeurs d’emploi de longue durée (plus d’un an) baisse mais demeure à un niveau très élevé comparativement aux 10 dernières années :

Illustration 3

Rappelons que ces chiffres du chômage sont à prendre avec une grande précaution. Ils ne donnent pas la température de l’intégralité du marché de l’emploi, mais seulement de sa partie émergée. Une personne non inscrite à Pôle emploi et qui a travaillé une heure dans la semaine a de grandes chances de n’apparaître dans aucune statistique du chômage, ni celles de Pôle emploi, ni celles de l’INSEE.

Le taux de chômage INSEE est encore plus trompeur que celui de Pôle emploi, c’est malheureusement celui qui est souvent communiqué par les media, sans qu’ils s’interrogent jamais sur sa validité.

Une embellie pas si belle

Pour terminer, trois derniers graphiques qui montrent que l’embellie actuelle n’est au fond pas si belle.

Ce premier graphique montre que le nombre de personnes qui perçoivent des allocations chômage est reparti à la hausse depuis le 1er trimestre 2021.

Illustration 4

Le second graphique (toujours tiré du document « Demandeurs d'emploi inscrits à Pôle emploi au 3e trimestre 2021 ») montre que, sur une moyenne 500 000 sorties des inscriptions à Pôle emploi, seulement 127 000 en moyenne correspondent à des sorties pour reprise d’emploi déclarée (les autres motifs sont entrées en stage, défauts d’actualisation, radiations administratives et sorties pour autres cas).

Illustration 5

En clair, quand vous entendez dans les media « 50 000 inscrits à Pôle emploi en moins ce dernier trimestre », divisez par 4 pour avoir le nombre de reprises d’emplois correspondant !

Les jeunes toujours les premiers sacrifiés

Enfin, ce dernier graphique, encore plus inquiétant celui-là. Il est tiré du document « Comment la situation des jeunes sur le marché du travail a-t-elle évolué en 2020 ? » de la Dares de septembre 2021. Il montre que les 16-29 ans sont été extrêmement touchés par la crise de 2020, que leur taux d’emploi n’a pas encore retrouvé le niveau de 2019 et que dès fin 2018, ils ont commencé à se retirer du marché du travail (en prolongeant leurs études pour certains, en tombant dans l’invisibilité sociale pour les moins favorisés).

Illustration 6

Le faible amour de notre marché du travail pour nos jeunes (ou l’inverse) se confirme dans ce graphique de l’OCDE (tiré de https://data.oecd.org/fr/emp/taux-d-emploi-par-groupe-d-age.htm) :

Illustration 7

Que conclure de tout cela ?

Que plutôt que de se réjouir à tours de bras et de clore le débat, notre gouvernement pourrait profiter de la légère embellie actuelle pour envisager ce que le marché de l’emploi ne réalisera jamais de lui-même : les réformes structurelles nécessaires pour contrer ses dysfonctionnements majeurs (précarisation et bipolarisation des emplois, inégalités territoriales, croissance du chômage de longue durée, etc. voir le chapitre 1 de notre livre Zéro chômeur. Dix territoires relèvent le défi) et pour conduire une vraie transition écologique et sociale.

Jean-Christophe Sarrot, Réseau emploi formation d'ATD Quart Monde
jean-christophe.sarrot@atd-quartmonde.org

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