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Ursula Nordmann, un point d’honneur à rendre justice aux femmes

Les petites écolières du canton de Vaud, jusqu’en 1982, devaient être meilleures que les garçons pour entrer au collège. Alors avocate stagiaire, elle a réglé cette inégalité avant de devenir elle-même juge fédérale

Ursula Nordmann à Lausanne, le 6 septembre 2019. — © Eddy Mottaz/Le Temps
Ursula Nordmann à Lausanne, le 6 septembre 2019. — © Eddy Mottaz/Le Temps

Dans le café du centre-ville lausannois où elle nous attend, il n’est pas difficile de reconnaître Ursula Nordmann, si l’on sait à quoi ressemble son fils, le conseiller national socialiste vaudois Roger Nordmann. Elle salue, rouspète un peu contre le volume de la musique et l’affaissement des fauteuils, elle ne comprend surtout pas bien ce qu’on lui veut, elle qui a pris sa retraite il y a douze ans déjà. Pourtant, sur le long chemin vers l’égalité, cette féministe revendiquée a posé plus qu’un jalon – une borne – qui a notablement marqué le canton de Vaud.

Des barèmes différenciés pour passer au collège

Ursula s’appelle encore Zimmermann lorsqu’elle arrive à Lausanne par amour, elle vient de Zurich et a fait un crochet par l’Université de Saint-Gall, où elle s’est formée à l’économie. Ici, elle recommence des études de droit et c’est comme avocate stagiaire, avec des enfants en bas âge, qu’elle porte la première grosse affaire de sa vie.

En 1981, l’école vaudoise est mixte depuis une vingtaine d’années déjà, mais dans les classes règne une inégalité que tous ne considèrent pas comme telle. Les jeunes écolières, pour passer de l’école primaire au collège, doivent être meilleures que leurs petits camarades. «Le Conseil d’Etat avait peur qu’il y ait trop de filles. Vu qu’aux mêmes examens, elles réussissaient mieux que les garçons, l’instruction publique prônait ces barèmes différenciés qui permettaient de maintenir des proportions équivalentes», se remémore Ursula Nordmann.

A l’époque, chaque établissement du canton dispose d’une liberté pour fixer ses points d’entrée. Le seuil d’admission au collège n’est déterminé qu’une fois que les six épreuves d’examen finales sont effectuées. La proportion d’élèves diplômés est la même chaque année, et l’objectif est d’admettre un nombre fixé d’avance d’élèves masculins et féminins: les résultats de leurs tests sont donc traités séparément.

Victoire au TF

En 1981, un groupe de parents de 12 élèves filles de Lausanne, Morges et Pully qui ont toutes échoué à l’examen d’admission (mais l’auraient eu si elles étaient des garçons) font recours auprès des commissions scolaires, puis du département cantonal, puis du conseil d’Etat. Ils sont représentés par Ursula Nordmann qui, face à un troisième rejet, porte l’affaire devant l’instance judiciaire suprême.

«Le sentiment qui m’habitait? Je n’étais pas en rogne, je trouvais plutôt tout cela ridicule, avoue-t-elle aujourd’hui. Le Conseil d’Etat avait justifié cette différence de traitement par le développement physique et psychologique différent des deux sexes à cet âge. Il prônait un système de quotas qu’on refusait partout ailleurs et refuse encore en faveur des femmes.» En 1982, le Tribunal fédéral lui donne raison: «Le système des barèmes différenciés défavorables aux filles viole le principe de l’égalité des droits entre hommes et femmes», tranche-t-il.

Aux côtés de son ristretto, Ursula Nordmann pose sur la table différentes révisions de Codes civils et de Constitutions: «C’est ainsi que l’on retrace l’évolution», sourit-elle. En Suisse, l’égalité des sexes est inscrite dans la Constitution depuis 1981.

Féministe

En 1983, lorsque la Lausannoise d’adoption passe son brevet, elles ne sont que quatre femmes inscrites au Barreau vaudois. On vient la chercher pour siéger à la Commission fédérale des affaires féminines, puis à la Commission extraparlementaire de la révision du droit de famille. «Je me suis toujours dite féministe, la perception du terme a évolué à travers les âges.»

Les femmes doivent choisir des formations qui leur permettent d’être indépendantes financièrement

Ursula Nordmann

Elle se dit ravie de la mobilisation du 14 juin dernier, et appuie le tournant qu’a pris la libération de la parole des femmes avec le mouvement #MeToo, sous réserve de la présomption d’innocence. Le prochain chapitre du féminisme se jouera autour de la libération des hommes et de leur implication dans la famille, pense-t-elle. «Le socialisme, aujourd’hui fortement présent dans les villes suisses, soutient ces changements de société.»

Ursula Nordmann a eu deux fils et deux petits-enfants, dont une petite-fille. Elle ne la traite pas différemment, mais doit peut-être davantage lui répéter des choses liées à la confiance en soi. «Il faut arrêter de dire aux filles qu’il s’agit d’être belles plus que d’être intelligentes. Les femmes doivent choisir des formations qui leur permettent d’être indépendantes financièrement.» C’est ce que se disait déjà Ursula, bambine, voyant sa mère élever seule ses quatre enfants.

Lire aussi: Tirer au sort les juges fédéraux? 128 000 Suisses le demandent

Son élection en 1996 fait d’elle la première mère de famille à siéger au Tribunal fédéral. Elle s’y est énormément plu, a œuvré à l’interprétation de la nouvelle loi sur le divorce, non plus basée sur la faute, mais sur les besoins futurs des ex-époux, «un tout autre état d’esprit». Bientôt probablement, le peuple suisse se prononcera sur le tirage au sort des juges fédéraux, ce qui, selon les initiants, «garantirait leur indépendance».

Ursula Nordmann préfère le système actuel: l’élection par le parlement fédéral, qui «assure une représentation équitable de toutes les tendances». Pour mieux garantir l’indépendance des juges, elle plaide pour l’extension de la durée du mandant non renouvelable à un maximum de vingt ans avec possibilité de révocation en cas de faute professionnelle grave ou d’incapacité.

Elle ne croit pas au destin, elle croit à la volonté. Elle ne croit pas aux signes, mais sait la force des symboles: Ursula Nordmann est née un 8 mars, date à laquelle se fête la Journée internationale des femmes. C’est là un pur hasard, mais il a bien fait les choses, désignant celle qui a mis dans sa vie un tel point d’honneur à leur rendre justice.

Profil

1943 Naissance à Zurich le 8 mars.

1967 Arrivée à Lausanne après ses études à Saint-Gall.

1975 Entrée au Parti socialiste.

1982 Le TF annule les décisions du Conseil d’Etat vaudois dans l’affaire des examens d’admission au collège.

1983 Passe son brevet d’avocate.

1996  Elue juge fédérale.