«Miss» au cinéma: «Ce film s’adresse aux sceptiques»

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Interview«Miss» au cinéma: «Ce film s’adresse aux sceptiques»

Attendu ce mercredi 28 octobre en salle, le long-métrage met en avant un jeune homme rêvant de devenir Miss France. L’acteur Alexandre Wetter et le réalisateur Ruben Alves ont répondu à nos questions.

Fabio Dell'Anna
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Fabio Dell'Anna

Interview: Fabio Dell’Anna. Tournage et montage: Laura Juliano.

Alexandre veut devenir Miss France depuis ses 9 ans. Un rêve qu’il s’apprête à réaliser. Entouré de sa famille de cœur, il va vivre une aventure hors du commun où les seules étiquettes tolérées seront celles au dos de ses robes. Le long-métrage «Miss» sort au cinéma ce 28 octobre en Suisse romande avec comme mot d’ordre: la liberté. «Il faut être libre de vouloir être qui l’on veut», nous explique Alexandre Wetter, interviewé il y a deux semaines dans la chambre d’un hôtel genevois. L’acteur de 30 ans campe le rôle principal et se dit très fier du message de tolérance qu’il renvoie. «On s’en fout de savoir si c’est un homme ou une femme, à la fin on suit le parcours émotionnel d’une personne», ajoute le réalisateur Ruben Alves.

Dans cette période morose, voici enfin un film qui fait du bien. Les situations comiques et émouvantes se succèdent, et on a droit à plusieurs scènes d’anthologie, dont une avec Amanda Lear dans le rôle d’une maquerelle. Si toute l’œuvre tourne autour du personnage d’Alexandre Wetter, les seconds rôles sont très attachants. Impossible de rester insensible face à ce long-métrage qui dénonce l’homophobie, le sexisme et autres mentalités étriquées. «J’espère surtout toucher les plus sceptiques», souligne Ruben Alves.

Le film «Miss» devait sortir le 11 mars, mais il arrive dans les salles romandes ce 28 octobre. Comment vous sentez-vous?

Ruben Alves: C’est très spécial, car on avait déjà fait beaucoup de dates à travers la France et on avait reçu un bon accueil. Les émissions TV avaient commencé et on avait fait quelques festivals. Alexandre Wetter a ensuite reçu le prix Premier Rendez-vous pour un acteur au Festival de Cabourg en juin. Puis on a remis la machine en marche au Festival d’Angoulême début septembre. Aujourd’hui, on est face à vous et on revient tout juste de Lisbonne. Tout va plutôt bien.

Alexandre Wetter, vous jouez Alex dans «Miss». Un garçon qui se cherche et rêve de devenir Miss France. Il s’agit de votre premier rôle, n’est-ce pas?

Alexandre Wetter: Oui. Avant j’étais mannequin.

Vous rêviez de faire du cinéma?

A. W.: Non. (Rires.) En vrai, je ne me suis jamais autorisé cette idée. Je me disais: C’est déjà dingue d’être mannequin. Mais, après avoir réalisé mon premier rêve qui était de défiler pour Jean Paul Gaultier pour la haute couture femme, j’ai voulu arrêter. Tout allait être trop fade si je continuais dans cette voie. C’est à ce moment-là que j’ai eu l’idée du cinéma.

Comment vous êtes-vous rencontrés Ruben Alves et vous?

A. W.: Sur les réseaux sociaux. C’était sur Instagram.

R. A.: Je cherchais un personnage atypique pour un autre projet. Je suis tombé sur sa page et je voulais à tout prix le rencontrer. Dès que je me suis retrouvé en face de lui, je me suis dit qu’il fallait en faire un film. Le soir de notre rencontre, il a vu mon long-métrage «La cage dorée» et il m’a appelé le lendemain pour me dire qu’il fallait que l’on travaille ensemble.

Le film «Miss» a commencé à partir de là…

R. A.: J’écrivais depuis un moment sur la question du genre. C’est quelque chose qui me touche particulièrement de par ma vie privée. Je n’avais pas encore la bonne idée. Grâce à ma rencontre avec Alex, c’est devenu une évidence. C’est cette liberté de pouvoir dire dans une société très normative: «J’ai envie de vivre comme je l’entends et d’être libre. Je veux pouvoir explorer ma féminité, même si je suis un garçon et vice versa.» Le propos du film est universel. C’est pour toute personne qui se sent différent.

Dans une scène, on entend Alex dire: «Je ne suis ni un homme, je ne suis ni une femme.» Que voulez-vous dire?

R. A.: Il est perdu lorsqu’il dit cette phrase. Il est en train d’explorer sa féminité et en même temps il ne se sent pas homme. Il est en construction. Cette ambivalence qu’il ressent le trouble. Il n’est pas un homme aux yeux des autres hommes, car il n’est pas assez viril. Il n’est pas non plus une femme car il se travestit.

Comment vous êtes-vous préparé à ce rôle?

A. W: J’ai eu deux mois de préparation physique. J’ai perdu 10 kilos à l’aide d’un régime et d’activités physiques. Je faisais deux heures de barre au sol par jour. Cela m’aidait à mettre en place des muscles pour gagner en port de tête. Je mangeais très peu. J’ai eu aussi un coaching en comédie où j’ai appris à connaître mes émotions. C’était très intense. Cela demandait beaucoup d’endurance. Mais j’y allais à fond, car je voulais vraiment y arriver. J’ai eu des moments de doutes. Mais Ruben et toute l’équipe m’ont beaucoup protégé.

Le casting est bluffant. Comment avez-vous convaincu Amanda Lear à jouer le rôle d’une maquerelle qui conseille Alex pour lui donner une silhouette plus féminine?

R. A.: C’est parce qu’elle a de l’autodérision. (Rires.) Je trouve que c’est une qualité extraordinaire. On vit une époque où il en faut extrêmement. C’est une femme intelligente. Elle comprend tout très vite. Sans oublier que le film peut aussi faire référence à Amanda Lear. Tout au long de sa carrière, elle a pu souffrir aussi de cette ambivalence qu’on a mentionnée avant. C’est un personnage fort qui brave les problèmes avec beaucoup d’humour. C’était un grand kif quand elle m’a dit oui. Pourtant j’y allais avec des pincettes. Je lui ai d’abord expliqué le projet et elle m’a dit: «Oui oui, OK.» Je lui ai dit: «Mais tu as lu le script?» Et elle m’a répondu que non. (Rires.) Lors du premier jour de tournage, je pose le contexte juste avant sa scène et elle me rétorque: «Il va bien falloir que je le lise un jour ce scénario.»

Pensez-vous que certaines sensibilités risquent d’être heurtées par des clichés dans le film? Par exemple, l’Arabe et le Noir qui vendent du shit ou plusieurs Indiennes qui font de la couture en silence dans une chambre de la maison?

A. W.: Est-ce que cela existe ou pas? Oui. Là, vous ne voyez que le superficiel. Oui, les deux garçons dealent du shit, mais ce sont aussi deux personnes relativement tolérantes. Ils ont du cœur.

R. A.: C’est tombé sur eux car c’est le duo qui fonctionnait le mieux. Je n’ai pas cherché une personne avec un physique en particulier. Moussa Mansaly et Hedi Bouchenafa étaient les meilleurs. Après, j’ai choisi les Indiennes car j’avais passé deux semaines en Inde quatre mois avant le tournage. Le pays et ses couleurs m’avaient inspiré et ça s’arrête là. Aujourd’hui, c’est peut-être cliché, mais ce sont des gens qui m’entourent et que je connais. Pour être honnête, j’aime les clichés pour les déconstruire. Par exemple, le boxeur que l’on voit dans le film a un côté viril, mais il ne va pas hésiter à aider son ami qui veut devenir Miss France.

Trouvez-vous qu’en 2020 il faille faire plus attention à ce que l’on écrit?

R. A.: C’est triste. Je pense surtout aux humoristes. Quand ce n’est pas capté par la caméra, ça peut passer. Mais dès que c’est sur les réseaux sociaux ou à la télévision, on ne peut plus rien dire. Je suis du côté de la liberté d’expression pure. L’humour doit faire du bien. Aujourd’hui, si tu n’es pas Juif, tu ne peux rien dire sur les Juifs. Si tu n’es pas gay, tu ne peux pas faire un film sur les gays…

A. W.: On vit dans une époque où on est tous des ados hypersensibles. Chaque remarque on la prend pour soi ou pour sa communauté…

R. A.: Mais on comprend les luttes. Il faut faire avancer le Schmilblick.

Qu’espérez-vous que les gens retiennent de votre long-métrage?

R. A.: Ce film est fait pour les gens qui sont sceptiques ou pour ceux qui ressentent une appréhension lorsqu’ils sont en présence de gens différents. C’est gagné à partir du moment où quelqu’un me dit qu’il a envie d’être pote avec Lola (ndlr.: une prostituée travestie jouée par Thibault de Montalembert), alors qu’il est peut-être un peu homophobe à la base, par exemple. J’espère que l’on va retenir qu’en 2020 il faut du courage pour être soi dans une société qui est violente. Et, surtout, il faut être fier de cette différence.

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