C’était une échéance très attendue pour laquelle il faudra encore patienter. Le procès de Pierre-Alain Mannoni, prévu mercredi 15 janvier, a été reporté, pour cause de grève des avocats. Poursuivi depuis 2016 pour « aide à l’entrée, à la circulation et au séjour » de personnes en situation irrégulière, ce chercheur niçois est à l’origine, avec Cédric Herrou, de la décision du Conseil constitutionnel, reconnaissant, le 6 juillet 2018, la fraternité comme un principe constitutionnel.

Saluée à l’époque comme historique, la décision s’avère à l’usage ambivalente. Certes, le Conseil constitutionnel a bel et bien « consacré la valeur constitutionnelle de la fraternité », mais « il a ajouté que la sauvegarde de l’ordre public est aussi un objectif à valeur constitutionnel », explique Violaine Carrère, juriste au Gisti.

Il a ainsi confirmé que l’aide à l’entrée est bien un délit et précisé que l’aide à la circulation et au séjour ne sont pas sanctionnables si elles sont réalisées dans un but humanitaire, et sans contrepartie. Mais la loi asile et immigration est venue durcir cette décision. Promulguée en septembre 2018, elle a traduit le « but humanitaire » du conseil constitutionnel en « but exclusivement humanitaire ». Ce qui, selon Violaine Carrère, « ouvre la porte à des condamnations de personnes qui agissent dans un objectif militant ».

Des sanctions pour l’aide à l’entrée et au séjour

Sur le terrain, « on constate que le délit de solidarité est loin d’avoir été abrogé et que les poursuites continuent toujours », affirme ainsi Lola Schulmann, chargée de plaidoyer à Amnesty International. En particulier, « sur l’aide à l’entrée, on a assisté non seulement à un durcissement des poursuites », estime Laure Palun, directrice de l’association Anafé. Poursuivie pour avoir « facilité l’entrée » de deux mineurs isolés près de Menton, la militante d’Amnesty Martine Landry, relaxée en juillet 2018, a eu la surprise de voir le parquet changer d’avis et faire appel. Quant à Loïc, arrêté à la frontière avec un Éthiopien dans sa voiture, il a été relaxé en mars 2018, puis condamné en avril 2019.

Un peu plus haut dans les Alpes, les « 7 de Briançon », accusés d’avoir permis l’arrivée d’une vingtaine de migrants lors d’une manifestation en avril 2018, ont été condamnés à des peines allant de six mois de prison avec sursis à quatre mois ferme. Plus récemment, dans cette zone, si Pierre Mumber, accusé d’avoir aidé des exilés à passer la frontière, a été relaxé en appel, une vidéo montrant sa bonne foi, deux autres maraudeurs ont été condamnés.

Sur l’aide au séjour également,« il n’y a pas eu d’amélioration », affirme Laure Palun. Et de citer le cas de Raphaël, 19 ans, condamné pour avoir conduit des exilés chez Cédric Herrou, figure de l’aide aux migrants alors qu’ils n’étaient pas blessés : le « but exclusivement humanitaire » n’a pas été retenu.

Multiplication des poursuites connexes

Enfin, à ces procédures pour aide à l’entrée et au séjour, « s’ajoutent tout un tas de sanctions pour d’autres motifs », complète Steve Irakozé, représentant de la Cimade au collectif Délinquants Solidaires. À Avignon, Chantal Raffanel, militante RESF qui a aidé à un mineur isolé à s’inscrire à l’école, a été poursuivie pour « usurpation de fonction » et « usage de faux » après avoir coché la mention « représentant légal » dans le formulaire d’inscription. Le parquet a fait appel de sa relaxe. À Calais, Loan Torondel, bénévole à l’Auberge des migrants, a été condamné en diffamation en juin 2019 pour un tweet humoristique à propos de la confiscation de couvertures par la police.

« Vous avez des gens qui sont poursuivis pour entrave à la circulation d’un aéronef parce qu’ils ont protesté contre l’expulsion de migrants dans leur avion, illustre encore Steve Irakozé. Des bénévoles venus apporter de la nourriture sont aussi mis en cause pour dépôt illégal d’ordures. » Il cite également des poursuites pour outrages à agent, concernant des militants venus manifester contre l’expulsion d’un squat à Lille. « Les outrages, c’est la nouvelle mode », confirme Agnès Antoine, juriste à Tous Migrants, dans le Briançonnais, qui précise que « les amendes pour stationnement gênant ou phare mal réglé n’ont jamais cessé. Ça aussi, c’est une façon de tenter de décourager ceux qui aident les migrants. »

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Ce que dit la loi

Le terme « délit de solidarité » désigne la pénalisation des personnes venant en aide aux étrangers en situation irrégulière mais n’existe pas en tant que tel dans la loi.

Dans le Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, l’article L.622-1, modifié par la loi asile et immigration, punit d’un emprisonnement de cinq ans et d’une amende de 30 000 € toute personne qui aura facilité ou tenté de faciliter l’entrée irrégulière.

Mais l’article L.622-4 exonère de poursuites l’aide au séjour dès lors qu’elle « n’a donné lieu à aucune contrepartie directe ou indirecte » et a consisté à fournir une aide « dans un but exclusivement humanitaire ».