Exosquelette : comment Clinatec imagine la robotique médicale de demain

Alors que le centre de recherche biomédicale grenoblois Clinatec vient de publier les premiers résultats de son projet Brain Computer Interface, qui lui a permis de faire marcher un exosquelette grâce à un implant neuronal, l’une des prochaines étapes pourrait bien être d’opter pour un transfert technologique afin que cette innovation puisse être amenée un jour sur le marché par des acteurs industriels.
(Crédits : FDD Clinatec - Juliette Treillet)

Il se pose comme la première neuroprothèse implantable, en contact avec la dure-mère du patient, capable de piloter ensuite un exosquelette via des logiciels associés. Près de 10 ans après son lancement, le projet Brain Computer Interface (BCI) conduit par Clinatec (CEA Leti/CHU de Grenoble Alpes), a donné lieu début octobre à la publication d'une première preuve de concept, dans laquelle les partenaires grenoblois ont mené une démonstration de taille : réussir à faire marcher un patient tétraplégique, grâce à l'implantation d'une neuroprothèse intelligente, reliée par des communications sans fil à un ordinateur, lui-même basé dans le dos d'un exosquelette, et conduit grâce à de puissants algorithmes.

Une prouesse scientifique de rang mondial, permise par le développement de plusieurs briques technologiques : à commencer par l'implant neuronal Wimagine couplé à des algorithmes d'intelligence artificielle, conçus spécifiquement pour ce projet par les équipes du CEA Leti, mais également l'adaptation d'un modèle d'exosquelette, Emy, lui-même issu de 15 années de recherches au sein du CEA-List.

Au total, pas moins de 14 brevets qui ont été déposés par les équipes de l'institut technologique rien que sur son algorithme de machine learning, capable d'identifier des signaux neuronaux et de les traduire ensuite par des mouvements des quatre membres.

Le projet, qui nécessité près de 18 millions d'euros d'investissements (dont 4 millions d'euros lors des 27 mois d'essais cliniques), n'en est pas pour autant encore arrivé sur le marché, comme le précisent les équipes de recherche.

"Compenser différents types de handicap moteur"

Car si l'ambition serait bel et bien d'améliorer le quotidien des patients tétraplégiques en leur fournissant un outil capable de les aider à marcher, voire même d'effectuer des tâches du quotidien avec un bras articulé, la recherche vient juste de faire un premier pas dans cette direction. Celui-ci devra nécessairement être suivi de nouveaux travaux, ainsi que d'une série de certifications réglementaires, en vue de pouvoir entrer un jour dans le quotidien des malades.

"Nous avons encore des développements à réaliser afin de pouvoir arriver à réaliser, à terme, un système qui puisse être embarqué et autonome à domicile", glisse Yann Perrault, responsable de l'activité exosquelette sur ce projet pour le CEA-List.

Avec, au programme, un travail continu sur la miniaturisation et l'embarquement des technologies utilisées, telles que les implants, les antennes de télétransmission (déjà sans fil), ainsi que sur l'intégration de l'ordinateur embarqué, capable de faire fonctionner des algorithmes complexes au sein de l'exosquelette, et qui pourrait même, à terme, songer à être remplacé par une tablette. Sans oublier l'exosquelette lui-même, qui, pour les raisons de cette expérience, est pour l'instant suspendu par des rails au plafond, en vue d'écarter les problématiques d'équilibre.

Un choix également assumé par les équipes de Clinatec, qui rappellent que l'ambition était "d'abord de réaliser une preuve de concept" de leur dispositif, en vue de travailler ensuite à l'intégration d'une technologie similaire au sein du quotidien d'un patient. En commençant par lui proposer des actions plus "simples", comme celles de conduire un fauteuil ou encore de mouvoir un bras articulé.

"L'ambition est à terme de décliner les champs d'utilisation de l'interface pour compenser différents types de handicap moteur et redonner davantage d'autonomie aux patients dans leur vie quotidienne, par le pilotage par exemple d'un fauteuil roulant ou d'un bras articulé", soulignaient les équipes de Clinatec.

Des économies d'échelles possibles

Si le projet a donc pour l'instant franchi la phase de la preuve de concept, le Pr Alim Louis Benabid rappelle que des assureurs et mutuelles se montreraient d'ores et déjà intéressées par les possibilités offertes d'un fauteuil ou d'un exosquelette, équipé d'une telle interface BCI.

"La question principale n'est pas tant une question de coût, car même si un modèle comme l'exosquelette développé pour cet essai clinique s'approche plutôt des 100 000€/unité pour l'instant, c'est une somme qui peut largement baisser si l'on envisageait un jour une production en série. De même qu'un fauteuil roulant classique qui est commercialisé aujourd'hui pour ce type d'application coûte déjà 30 000 à 70 000€ pièce, en fonction du modèle". Même chose, selon lui, pour la fabrication de l'implant associé, dont le coût du prototype n'a pas été communiqué, mais qui pourrait lui aussi bénéficier d'une économie d'échelle dans le cas d'une production en série.

"Des assureurs se positionnent aujourd'hui sur cette question et aimeraient pouvoir proposer, au sein de leurs garanties, des prestations comme celles-ci en cas d'accident", avance le Pr Benabid.

Le potentiel se révélerait en effet conséquent, puisque l'on compte près de 50 000 personnes para et tétraplégiques en France, avec près de 1 200 nouveaux cas accidentels par an et dont 70% ont moins de 35 ans.

Clinatec et le Cea Leti n'auront cependant pas vocation à amener eux-mêmes cette innovation sur le marché, et envisagent d'ores et déjà la possibilité, comme pour chacune des innovations réalisées au sein de l'institut technologique, de passer par des mécanismes de transfert technologique.

Avec, pour cible, des startups du domaine de la santé ou des industriels, qui pourraient ensuite prendre en charge la définition d'un public, en vue d'adapter cette technologie à leurs besoins, mais également, de mener l'ensemble des étapes réglementaires en vue d'obtenir un marquage CE. Une démarche qui pourrait encore prendre plusieurs années.

En attendant, les équipes du docteur Benabid ont d'ores et déjà annoncé qu'elles s'apprêtaient à faire entrer trois nouveaux patients au sein de leur essai clinique, en vue de tester la robustesse de leur modèle et d'élargir leurs champs d'essais. Avec également, de nouvelles améliorations de la technologie à venir, comme la possibilité, de pouvoir saisir un verre ou un objet sans le casser à l'aide d'un bras articulé. Sur ce point, le docteur Benabid se veut confiant, et espère pouvoir en faire la démonstration d'ici deux ans.

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