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Or, platine, hélium 3… le grand bluff des ressources spatiales

Publié le 24 Oct 2019 à 00H00 Modifié le 26 octobre 2019
Or, platine, hélium 3… le grand bluff des ressources spatiales

Les chiffres font rêver : les minerais rares contenus dans un astéroïde de 200 km pourraient rapporter jusqu'à 1 million de fois le PIB mondial ! Sauf que… aucune étude ne confirme l'existence d'un tel eldorado au-dessus de nos têtes, tandis que les techniques de forage sont à l'état de prototype et la rentabilité encore loin d'être assurée ! La fin d'une illusion ?

Des dizaines de milliards de milliards de dollars ! C’est, selon la Nasa, la valeur marchande de l’astéroïde Psyché 16, un bloc de métal de 226 km de diamètre qui orbite entre Mars et Jupiter. Confirmant sa volonté d’en voyer une sonde l’explorer en 2022, l’Agence américaine a en effet calculé que cet astéroïde pourrait rapporter à lui seul, s’il était exploité, un million de fois le PIB mondial !

Sachant que ces cailloux extraterrestres pullulent en orbite autour du Soleil – ils sont des millions et on en décompte déjà 800 000 rien qu’au voisinage de la Terre – ce serait donc une mine d’or qui se cacherait au-dessus de nos têtes. Or, platine, terres rares… ils recèleraient des éléments très prisés par l’industrie des hautes technologies, et parfois menacés de pénurie. Ce n’est pas tout : la Lune aussi attise les convoitises. Surtout depuis que des études, extrapolées à partir des données collectées en 2007 par la sonde chinoise Chang’e-1, ont permis d’estimer qu’elle regorgerait d’énormes quantités d’hélium 3, un gaz issu du vent solaire quasi inexistant sur Terre, qui pourrait fournir l’énergie propre du futur.

EXPLOITER L’ESPACE

C’est donc une myriade de trésors qui attendraient depuis des milliards d’années, sagement installés sur leur orbite, d’être exploités pour enrichir l’humanité et la sauver de la déplétion programmée des ressources terrestres. Et la ruée vers cet eldora do cosmique semble déjà se préparer : en juillet dernier, la Nasa a fait savoir que deux projets de recherche sur des technologies visant à exploiter des ressources spatiales entraient dans leur phase avancée… Une annonce qui fait suite à l’accord signé il y a quelques mois entre les États-Unis et le Luxembourg pour l’exploitation commerciale des objets célestes. Le Luxembourg s’est en effet doté en 2017 d’une législation afin de favoriser l’implantation sur son territoire d’une activité pressentie comme lucrative et d’attirer d’éventuelles start-up, s’inscrivant dans le sillage des États-Unis, qui, dès 2015, s’étaient les premiers engouffrés dans la brèche de la seule législation existante : le traité de l’espace.

Pour comprendre, il faut savoir que, signé en 1967 par une centaine de pays, ce traité avait pour ambition de donner un cadre juridique aux activités spatiales.

Mais en pleine guerre froide, il s’était contenté de garantir les notions de libre accès, de non-appropriation territoriale et de non-militarisation de « la Lune et des autres corps célestes » , tout en restant très flou sur la question de l’exploitation des ressources. « Le traité n’est pas clair, et les États-Unis et le Luxembourg ont profité de cette ambiguïté » , résume Arthur Sauzay, avocat au cabinet Allen & Overy et expert des questions spatiales à l’Institut Montaigne.

COMME AU FAR WEST…

En clair, les États-Unis et le Luxembourg considèrent que les corps célestes ont le même statut que les eaux internationales : elles n’appartiennent à personne, mais chacun a le droit d’y pêcher ce qu’il veut, selon le principe du premier arrivé, premier servi. Comme ce qui se fait aujourd’hui pour les échantillons scientifiques. « Pour l’instant, l’espace est plutôt parti pour devenir une sorte de Far West. Le premier arrivé plante son drapeau, et c’est lui qui fixe les règles » , prévient Arthur Sauzay. Ce qui n’est pas sans poser toutes sortes de problèmes, y compris éthiques (lire l’encadré page suivante).

Sans compter que depuis le début des années 2010, de nombreuses entreprises privées ont fleuri pour préparer l’assaut : Deep Space Industry, Planetoid Mines Corp, Trans Astronomica, Moon Express ou l’emblématique Planetary Resources (soutenue par des dirigeants de Goo gle) pour n’en citer que quelques-unes. De quoi permettre à l’humanité de se lancer dans une ruée vers l’or spatial ? Pas si sûr… Car au-delà de ces initiatives privées, des effets d’annonce et des prises de position juridiques, les difficultés qui émaillent la route des pionniers sont encore nombreuses. Et comme à la glorieuse époque du Far West, les déceptions risquent fort d’être à la mesure des espérances soulevées. Sachant que c’est la communauté scientifique qui joue ici le rôle de briseuse de rêves.

De fait, sa réponse en trois temps est sans appel : d’abord, on ne sait toujours pas si ces richesses existent ; si c’est le cas, on ne sait pas encore les extraire ; enfin, et surtout, il n’est pas sûr qu’il sera un jour rentable de les exploiter. Quant à les capturer et les ramener sur Terre pour en exploiter les ressources… On se souvient que sous la présidence de Barack Obama, la Nasa avait planché sur le sujet (voir S&V n° 1118, p. 48). Mais ce programme ARM (Asteroid Redirect Mission), jugé trop coûteux et trop complexe, a été abandonné dès 2017…

Finalement, dans un futur proche, seule l’utilisation des ressources sur place semble techniquement et financièrement crédible. Or, dans cette optique, les ressources de valeur ne seront plus celles que l’on croit : seule l’eau s’avérerait alors une véritable pépite.

DIX ANS QUE LA FIÈVRE MONTE

2009 Les données de la sonde chinoise Chang’e-1, qui s’est posée sur la Lune en 2007, révèlent un sol lunaire riche de 100 000 tonnes d’hélium 3, un gaz quasi inexistant sur Terre, qui pourrait fournir l’énergie propre du futur. 2010 Les fondateurs et dirigeants de Google, le réalisateur James Cameron et le grand-duché du Luxembourg soutiennent financièrement la création de Planetary Resources, une entreprise dédiée à l’exploitation minière des astéroïdes. 2019 Les États-Unis signent un accord avec le Luxembourg pour exploiter commercialement les objets célestes. Ce sont les seuls États à s’être dotés d’un cadre législatif (dès 2015 pour le premier, en 2017 pour le second) autorisant une telle exploitation.

1 mg

C’est, à ce jour, la masse totale d’astéroïdes rapportée sur Terre (par la mission Hayabusa en 2010). À laquelle s’ajoutent 382 kg de roches lunaires, collectés par les missions Apollo et Luna. Quelques centaines de grammes devraient être rapportées par les sondes Hayabusa 2 et Osiris-Rex en 2020 et 2023.

L’eau : le seul trésor réellement accessible

« Dans les dix ans à venir, la seule exploitation envisageable d’un point de vue technique et économique concerne l’eau que l’on trouve sur des astéroïdes et sur la Lune » , tranche Andreas Hein, spécialiste du sujet à l’université Paris-Saclay. Pourquoi l’eau ? Parce qu’elle est vitale dans l’espace pour alimenter astronautes et cultures et pour fabriquer du carburant, en séparant l’hydrogène de l’oxygène, ce dernier pouvant aussi servir à produire de l’air respirable. Autant de ressources critiques qu’il faut aujourd’hui envoyer à grands frais : la note s’élève à plus de 1 500 dollars pour chaque litre d’eau mis en orbite. Avec une prochaine station spatiale habitée autour de la Lune, des stations privées dédiées au tourisme et les projets de missions vers Mars, l’extraction robotisée d’eau pourrait enfin trouver son modèle, selon Martin Elvis, astrophysicien à Harvard et supporteur de longue date de l’exploitation des ressources spatiales : « Si des stations spatiales privées sont lancées dans les prochaines années, cela pourrait être le marché qui fera basculer l’extraction spatiale vers une véritable industrie.  » Bref, ce ne sont pas des mines d’or qui vont fleurir dans l’espace, mais des stations-service !

1 – Des ressources spatiales absolument pas confirmées

Combien, à ce jour, d’astéroïdes gorgés de métaux précieux ont-ils été identifiés ? La réponse est simple : aucun ! En fait, nos connaissances sur la composition des astéroïdes restent très pauvres : nous ne disposons pour l’heure que d’un seul échantillon – à peine 1 milligramme – récolté en 2010 par la sonde japonaise Hayabusa sur la surface de l’astéroïde Itokawa. Une récolte qui n’a pour l’instant rien révélé d’autre que quelques grains d’olivine, de pyroxène, des silicates… comme on en trouve à foison sur la Terre. « Pour l’instant, on sait juste ramener de la poussière à haute valeur scientifique » , résume Francis Rocard, responsable des programmes d’exploration du Système solaire au Centre national d’études spatiales (Cnes). Et pour cause : les astéroïdes visités à ce jour sont de type rocheux, plus faciles à échantillonner que les astéroïdes métalliques, justement les plus susceptibles de contenir des ressources de valeur. En 2022, la mission américaine Psyché sera la première envoyée pour étudier de près ce type d’astéroïde (mais sans s’y poser ni rapporter d’échantillon). Autrement dit, tout ce que nous savons est issu des observations effectuées depuis la Terre. Ce qui permet tout au plus de savoir à quel degré ils sont rocheux ou métalliques, en étudiant la façon dont leur surface réfléchit la lumière. « La caractérisation d’un astéroïde depuis la Terre est, en vérité, d’une pauvreté à pleurer » , tranche Francis Rocard. Comme les extrapolations tirées de la composition des météorites tombées au sol… Ainsi, le montant astronomique annoncé par la Nasa pour l’astéroïde Psyché n’est qu’une évaluation théorique effectuée à partir de la composition supposée de l’astéroïde. « Nous ne savons pas avec certitude de quoi Psyché est fait, concède ainsi Linda Elkins-Tanton. C’est d’ailleurs tout l’intérêt de la mission. »

On cherche le mouton à 5 pattes !

Les entreprises qui rêvent de faire fortune avec leurs mines spatiales savent que le premier défi sera d’envoyer une armada de sondes explorer la ceinture d’astéroïdes entre Mars et Jupiter pour dénicher le mouton à cinq pattes : un géocroiseur métallique, riche en ressources, accessible et qui ne tourne pas trop vite sur lui-même. « Certes, vu leur grand nombre et leur hétérogénéité, on peut toujours se dire qu’il doit y avoir quelque part un astéroïde miraculeux débordant de tantale, de terres rares ou de platinoïdes… Reste à le trouver » , enfonce Francis Rocard.

FRANCIS ROCARD Responsable des programmes d’exploration du Système solaire au Cnes – Tout ce que nous savons est tiré des observations effectuées depuis la Terre… et c’est d’une pauvreté à pleurer

Quant à la Lune, même si elle a été étudiée sous toutes les coutures, les données restent trop parcellaires pour estimer si cet hélium 3 qui porte tous les espoirs forme un gisement exploitable. Selon les estimations actuelles, l’épaisse couche de poussière lunaire contiendrait une concentration d’hélium 3 d’environ 0,01 g par tonne de régolithe. Soit une teneur 50 à 400 fois inférieure à celle de l’or présent dans les mines exploitées sur Terre.

2 – Des techniques d’exploitation très loin d’être opérationnelles

Certes, les technologies minières sont éprouvées sur Terre. Mais l’environnement spatial ne permet pas de les réutiliser directement. Sur la Lune, même pour des missions robotisées, ce sont les poussières, très abrasives, et les chutes extrêmes de températures, lorsque le Soleil disparaît, qui rendent les conditions dantesques. « Dans les cratères, la température est très basse, proche de – 270 °C. C’est comme devoir résister à de l’azote liquide : il faut du matériel adapté, c’est très compliqué » , estime Francis Rocard. Et encore faut-il savoir où creuser : « On pensait trouver de grandes quantités d’hélium 3, mais il semble diffus et donc plus difficile à extraire qu’on ne le croyait » , ajoute Ian Carnelli, responsable du programme de préparation des futures missions de l’Agence spatiale européenne (ESA). Quant aux astéroïdes, ils offrent une difficulté supplémentaire : l’absence totale de gravité.

Un véritable casse-tête

Dans ces conditions, toute tentative d’extraction se transforme en véritable casse-tête, cumulant les difficultés avant même qu’on ait pu se poser… Comme le résume Ian Carnelli, « il faut identifier où se trouvent les ressources, mais sans gravité, impossible de mettre une sonde en orbite : il faudra donc la piloter en corrigeant sa trajectoire en permanence avec beaucoup de précision. Il faudra ensuite tout ancrer au sol, car le moindre mouvement pourra expulser la sonde ou le matériel dans l’espace. Avec le risque de désintégrer l’astéroïde s’il est fragile, voire de le faire changer de trajectoire et de le rendre menaçant pour la Terre » .

IAN CARNELLI Responsable du programme de préparation des futures missions de l’ESA – Sans gravité, on ne peut pas se mettre en orbite : il faut s’ancrer au sol. Mais le moindre mouvement risque d’expulser la sonde dans l’espace ou, pire, dévier l’astéroïde vers la Terre

Bref, même si quelques entreprises comme TransAstra commencent à réfléchir et à tester des techniques d’extraction, elles sont encore loin d’être opérationnelles. « L’idée d’extraire des métaux rares sur des astéroïdes et de les ramener sur Terre est malheureusement encore inenvisageable. Nous ne disposons tout simplement pas des technologies nécessaires » , résume Detlef Koschny, astrophysicien spécialiste des astéroïdes et des comètes à l’ESA.

3 – Une rentabilité pas du tout assurée

En fait, la rentabilité d’une exploitation des ressources extraterrestres est de plus en plus discutée. Principal obstacle : le coût des activités spatiales, plombé par la nécessité de lutter contre la gravité terrestre pour envoyer le matériel nécessaire et son carburant. « J’ai participé à plusieurs études de retour d’échantillons issus d’astéroïdes, explique Detlef Koschny, ex-responsable des opérations scientifiques de la mission Rosetta vers la comète Tchouri. Les coûts s’élèvent toujours entre 600 et 800 millions d’euros… pour ramener au maximum 100 g de matière. » On ne peut espérer un retour sur investissement avant 50 ans Le calcul est donc vite fait : il faudrait que celle-ci se vende à un prix 150 000 fois supérieur à celui de l’or pour que l’opération paie – tout juste -ses frais ! Et encore, c’est sans compter le risque – élevé – que le business model ne soit sapé par l’avalanche subite de matières mises sur le marché. « Les prix chuteront et l’opération ne sera plus rentable » , professe Patrick Michel. Évidemment, ce risque est nul pour des matériaux quasi absents de la surface terrestre, comme l’hélium 3.

DETLEF KOSCHNY Astrophysicien spécialiste des astéroïdes à l’ESA – Les coûts s’élèvent entre 600 et 800 millions d’euros pour rapporter seulement 100 grammes de matière !

Mais dans ce cas particulier, ce n’est pas l’offre qui pose question, mais la demande, toujours hypothétique : tout l’intérêt de l’hélium 3 est de pouvoir produire de l’énergie grâce à la fusion nucléaire. Et ceci sans produire de déchets radioactifs. L’astronaute et géologue Harrison Schmitt a ainsi estimé que 40 tonnes de ce gaz suffiraient à satisfaire les besoins énergétiques des États-Unis pendant un an… Mais la fusion nucléaire n’est pas encore maîtrisée. Les besoins sont donc pour l’heure inexistants. Au final, l’exploitation de métaux rares ou d’hélium 3 semble encore très loin de se concrétiser. « Même si on estime qu’une entreprise privée peut prendre plus de risques qu’une agence gouvernementale, elle voudra un retour sur investissements dans les 10 ans. Or je ne pense pas que ce soit réaliste avant au moins 30 à 50 ans » , calcule Detlef Koschny. D’ailleurs, quelques rêveurs des débuts commencent déjà à se heurter à ces réalités. Entreprise emblématique de l’exploitation spatiale, Planetary Resources a dû faire face à des déboires financiers et a finalement été rachetée fin 2018. Ses activités ont été recentrées sur l’observation de la Terre

Un bien commun de l’humanité ?

Les corps célestes devraient-ils être considérés comme un bien commun de l’humanité à préserver et à encadrer par des traités, comme les fonds marins ou l’Antarctique ? La question se pose. Des réflexions sont déjà en cours au Bureau des affaires spatiales des Nations unies (Unoosa), et l’ESA a lancé une étude prévoyant de cataloguer les astéroïdes, afin d’identifier et de préserver ceux qui présentent une forte valeur scientifique. À l’inverse, pour certains, dans la lignée de Jeff Bezos, le fondateur de Blue Origin, l’exploitation des ressources spatiales pourrait justement être un moyen de préserver la vie sur Terre en externalisant les activités industrielles polluantes… « Tout le débat consiste à savoir si on veut protéger la planète ou l’humanité, résume Patrick Michel, de l’observatoire de la Côte d’Azur. Et on a intérêt à se poser la question avant d’en avoir vraiment besoin. « 

Un article issu du n°1226 de Science & Vie
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