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Les villes africaines vont-elles exploser ?

Lagos, Nigeria, le 16 décembre 2019. Pius Utomi Ekpei/AFP

On décrit, parfois avec effroi, l’explosion de mégapoles comme Lagos ou Kinshasa, qui compteront plus de 20 millions d’habitants en 2030. Il est vrai que le taux de croissance de la population urbaine africaine est l’un des plus forts du monde – 4 % par an en moyenne entre 1960 et 2010 – et il devrait continuer à être supérieur à celui des autres régions d’ici à 2050.

Une idée reçue : l’Afrique vit un exode rural massif

Pourtant, l’urbanisation africaine se réalise aujourd’hui principalement dans les campagnes et dans les villes petites et moyennes, comme le montre la base de données Africapolis récemment publiée par le Club du Sahel et l’OCDE. Contrairement à ce qu’on imagine, les bourgs ruraux deviennent des villes en se densifiant, et sans grignoter massivement les terres cultivées et irriguées.

En outre, les campagnes ne se dépeuplent pas. Dans certains pays, la population rurale a même augmenté plus rapidement que la population urbaine entre 1990 et 2010 (Égypte, Liberia, Maurice, Zambie, Eswatini). Il n’y a pas d’exode rural massif. Ainsi, dans 22 pays d’Afrique, les deux tiers de la croissance urbaine sont alimentés par les naissances d’enfants de citadins, et non pas par des migrations des campagnes vers les villes. Entre 2010 et 2014, l’indice de fécondité en ville était supérieur à 5 enfants par femme au Mali, au Niger, au Nigeria, en République démocratique du Congo et au Burundi.

Par ailleurs, un phénomène important en Afrique est la transformation de camps de réfugiés en villes. Le camp d’Iriba au Tchad compte à lui seul plus de 141 000 réfugiés du Darfour, la taille d’une vaste agglomération. Lorsque les camps sont éloignés des principaux lieux d’activité économique, l’avenir de leurs habitants est préoccupant.

Un immeuble à Abidjan, juin 2000. Issouf Sanogo/AFP

La croissance urbaine africaine n’est pas synonyme d’étalement spatial au sens de dilution. Dans le monde, les pays riches connaissent un étalement urbain dû à la réduction de la taille des ménages et à l’augmentation du niveau de vie. Ainsi, entre 1990 et 2015, les surfaces bâties se sont accrues de 18,5 % en Europe, tandis que la population n’augmentait que de 1,6 %, ce qui aggrave l’empreinte écologique des villes européennes.

Durant la même période, les villes africaines devenaient plus compactes. En 1990, dans les grandes villes africaines, la densité moyenne de population était de 5 500 habitants/km2 ; elle est de 6 000 habitants par km2 en 2015 (contre 2 500 habitants par km2 à Los Angeles). Cette densification est en grande partie due aux « modes d’habiter ». Selon la Banque mondiale, en 2017 la moitié de la population d’Abidjan (Côte d’Ivoire) et le tiers de la population de Dar es-Salaam (Tanzanie) vivent en moyenne à 3 habitants par pièce.

Multiplication des mégapoles et création de villes nouvelles

Le nombre de grandes métropoles a quand même été multiplié par 10 entre 1970 et 2015 : le nombre des villes de plus de un million d’habitants est passé de 4 à 41 et elles devraient être 67 en 2030. L’Afrique compte aujourd’hui 3 mégapoles (plus de 10 millions d’habitants) : Le Caire, Lagos et Kinshasa. En 2050, 3 autres dépasseront ce seuil : Dar es-Salaam, Johannesburg et Luanda.

Johannesburg, Afrique du Sud, 2017. Mark Hillary/Flickr, CC BY-SA

En raison du rythme élevé de la croissance démographique, ONU-Habitat estime les besoins en Afrique à 4 millions de logements supplémentaires chaque année. Si ceux-ci ne sont pas fournis par une offre formelle et planifiée, ils se développent par auto-construction. C’est pourquoi la population des bidonvilles africains a plus que doublé entre 1990 et 2014, passant de 200 millions à 456 millions d’habitants.

Or, les pays dont la majorité (plus de 80 %) des citadins habite dans des quartiers précaires sont les États les plus pauvres : Soudan, République centrafricaine, Tchad, Mauritanie, Madagascar. Certains de ces pays ont subi des crises politiques, l’État dispose de peu de ressources financières. La probabilité pour que leurs gouvernements réussissent à mettre en place une planification rationnelle anticipant l’ensemble des besoins en logements est très faible. L’un des grands défis de la planification urbaine en Afrique est donc l’intégration au reste de la ville des quartiers dits « informels » – c’est-à-dire leur normalisation. Les politiques répressives vis-à-vis de ces quartiers renforcent les inégalités et l’exclusion. Elles sont souvent inefficaces, puisque le développement de ces quartiers répond à des besoins essentiels pour les populations.

Une autre piste encore est la réalisation de polarités secondaires en périphérie des grandes métropoles, voire la création de villes nouvelles, afin d’éviter l’étalement urbain. Le pays précurseur pour les villes nouvelles modernes est l’Égypte. 22 cités ont été construites entre 1977 et 2000, avec des fortunes variables : cités-dortoirs mais aussi embourgeoisement dans le Grand Caire, villes désertes dans le désert.

Au début des années 2000, le Maroc a à son tour lancé la planification d’une dizaine de villes nouvelles, destinées aux classes populaires et aux classes moyennes. En Algérie et en Angola, d’immenses villes nouvelles ont pu voir le jour grâce aux revenus pétroliers et à la construction à bas coût par des entreprises chinoises. D’autres villes nouvelles visent explicitement les classes aisées, parfois en association avec des parcs de haute technologie, comme Sidi Abdellah en Algérie, Diamniado au Sénégal, Hope City au Ghana, Eko Atlantic City au Nigeria ou Konza Technology City au Kenya.

De nombreux observateurs soulignent le fait que ces villes nouvelles récentes n’attirent pas massivement les populations, en particulier lorsqu’elles sont éloignées des lieux d’emploi et mal desservies, contrairement à ce qui était annoncé par les gouvernements. Cependant, il faut comprendre que ces grands projets servent également à thésauriser des capitaux, dans un contexte de fiabilité limitée du système bancaire, et à entretenir une bulle spéculative.

Construction du district financier (au premier plan) et d’un complexe résidentiel (à l’arrière-plan) dans la nouvelle capitale administrative égyptienne, à quelque 50 km à l’est du Caire, le 8 mars 2019. Pedro Costa Gomes/AFP

La nécessaire implication des États

Si elles en ont les moyens, les autorités publiques peuvent lancer d’importants programmes de construction de logements sociaux. En revanche, si elles laissent libre champ au secteur privé de la promotion immobilière, ce dernier, dans une recherche de rentabilité, offrira peu de solutions pour les populations peu solvables, qui constitueront pourtant la majorité des citadins africains de demain. Une partie des villes nouvelles et gated communities de dernière génération abritera alors uniquement les classes aisées, ce qui risque de renforcer la ségrégation spatiale et les inégalités, tout en ayant un impact négatif pour le climat et l’environnement (les quartiers aisés sont souvent plus consommateurs d’espaces).


Pour une analyse plus détaillée de ces questions, lire « L’économie africaine 2020 », paru aux éditions La Découverte en janvier 2020.

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