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GRANDMA, le couteau suisse de l’astronomie multimessager

Recherche Article publié le 16 juillet 2020 , mis à jour le 17 juillet 2020

Le réseau international de télescopes GRANDMA, auquel contribuent activement les chercheurs du Laboratoire de physique des deux infinis - Irène Joliot-Curie (IJCLab – CNRS, Université Paris-Saclay), vient enrichir l’approche multimessager d’une observation du ciel.

Les récentes détections d’ondes gravitationnelles issues de la coalescence d’objets compacts représentent une avancée majeure pour différents domaines de la physique : l’astrophysique et la cosmologie, mais aussi la physique fondamentale (voir l’encadré plus bas « Retour sur GW170817 »). Les premiers résultats de la campagne d’observation O3 des interféromètres LIGO/Virgo, qui s’est déroulée entre avril 2019 et avril 2020, ont révélé de nouveaux systèmes binaires très différents de ceux découverts jusqu’alors : des étoiles à neutrons très massives, comme l’événement GW190425, et des systèmes extrêmement asymétriques, tels que les événements GW190412 et GW190814.

Logo GRANDMA

Pour lever le voile sur les nombreux questionnements posés, les chercheurs associent de plus en plus les observations issues de différents instruments. C’est pourquoi de nombreux observatoires lèvent les yeux au ciel lorsqu’une détection d’ondes gravitationnelles, de sursauts gamma, ou encore de neutrinos, a lieu. Une fois qu’un signal intéressant est détecté, il devient déterminant d’activer rapidement les autres instruments, en particulier les télescopes au sol, afin d’observer la source aussi efficacement et vite que possible.

Mais le challenge de l’astronomie multimessager nécessite un effort coordonné, auquel vient répondre depuis deux ans le réseau international de télescopes GRANDMA (Global Rapid Advanced Network Devoted to the Multi-messenger Addicts).

 

Une meilleure séquence observationnelle

Initié par le groupe « ondes gravitationnelles » du Laboratoire de physique des deux infinis - Irène Joliot-Curie (IJCLab – CNRS, Université Paris-Saclay), GRANDMA contribue au chaînon manquant de la séquence observationnelle. Avec ses 25 télescopes, répartis dans 20 observatoires présents sur les deux hémisphères, GRANDMA couvre un grand nombre de fuseaux horaires et favorise un suivi rapide et efficace en cas d’alerte. Ce réseau est capable d’identifier l’éventuelle contrepartie visible d’un signal d’ondes gravitationnelles.

Le réseau GRANDMA à travers le monde

Un algorithme développé conjointement par le groupe « ondes gravitationnelles » de l’IJCLab et la collaboration américaine GROWTH, permet de mieux exploiter les caractéristiques des télescopes du réseau et d’optimiser leur utilisation, pour observer de grandes zones du ciel dans les premières heures qui suivent le signal. Les images sont alors rapidement analysées grâce à un logiciel mis au point à l’IJCLab, pour détecter des sources transitoires en comparant les données aux images de références.

Le télescope TAROT à Calerne (France)
Le télescope TAROT à Calerne (France)       

Les candidats identifiés déclenchent un nouveau suivi multilongueur d’onde, avec un échantillonnage rapide, afin d’extraire leurs propriétés physiques. Ce train d’observations, contenant jusqu’à plusieurs centaines d’images, est ensuite étudié et étalonné. C’est la dernière étape avant la troisième séquence d’observations avec les télescopes du ciel profond, comme le CFHT (Canada France Hawaii Telescope), le GTC aux Canaries, ou encore le VLT au Chili.

Au sein de GRANDMA, l’ensemble de ces opérations et analyses est géré par ICARE (Interface and Communication for Addicts of the Rapid follow-up in multi-messenger Era), un outil conçu au sein d’IJCLab en partenariat avec l’université d’Australie occidentale (UWA) et hébergé au laboratoire sur le cloud VirtualData.

 

Quand efficacité se conjugue avec science participative

GRANDMA a fait preuve de son efficacité en suivant 90 % des alertes fournies lors de la campagne d’observation O3 de LIGO/Virgo, avec un déclenchement des observations par le réseau de télescopes au sol en moins de 30 minutes en moyenne. L’analyse des images n’a malheureusement montré aucune source visible associée aux sources d’ondes gravitationnelles, généralement trop éloignées pour que les contreparties optiques soient détectables par le réseau. Mais les limites atteintes par les observations visibles apportent de nouvelles contraintes aux modèles d’émissions électromagnétiques des sources d’ondes gravitationnelles.

Suivi de l’alerte LIGO/Virgo GW191222 par 5 télescopes « grand champ » du réseau GRANDMA. Les zones orangées/rouges correspondent aux positions possibles de la source reconstruites par LIGO et Virgo, positions d’autant plus probables que la couleur est foncée. Les petits rectangles colorés représentent les zones du ciel observées par les télescopes. Le premier télescope a pu pointer 20 minutes seulement après la publication de l’alerte. Certains ont observé deux nuits consécutives.
 

GRANDMA a également mis en place le projet de science participative kilonova-catcher, qui incite les astronomes amateurs du monde entier à contribuer aux observations de suivi. Aujourd’hui, plus de 30 amateurs et leurs télescopes de taille respectable, comparable à celle des “professionnels”, participent activement aux observations.

Pour répondre au besoin encore plus grand que demandera la prochaine campagne d’observation O4 prévue entre 2022 et 2023, qui marquera un nouveau bond en sensibilité des détecteurs d’ondes gravitationnelles, de nouveaux développements et synergies entre le monde professionnel et amateur sont en cours. GRANDMA et les astronomes de Kilonova-Catcher seront encore une fois prêts à faire face au défi de l’astronomie multimessager !

 

Référence :

GRANDMA Observations of Advanced LIGO's and Advanced Virgo's Third Observational Campaign  https://arxiv.org/abs/2004.04277

 

Retour sur GW170817

GW170817 - Vue d'artiste

L’événement GW170817 - fusion de deux étoiles à neutrons - est à ce jour le seul événement observé par LIGO/Virgo dont la contrepartie optique a été détectée, en périphérie de la galaxie NGC4993 située à 40 Mégaparsecs (plus de 130 millions d’années-lumière).  L'énorme effort de suivi des télescopes au sol, en association avec une localisation relativement précise de l'événement dans le ciel, a permis d'identifier des contreparties électromagnétiques. L’observation multilongueur d’onde de l’événement a amélioré la compréhension de la gravitation en champ fort et posé des contraintes importantes sur les modèles astrophysiques de la matière pendant les phases de fusion et d’après-fusion. Les observations de la kilonova et de l’émission rémanente ont fourni des informations sur l'équation d'état des étoiles à neutrons, l’énergie de l'éjecta, les restes de fusion, le milieu ambiant, etc. Ce genre d’événement violent représente un véritable laboratoire de physique nucléaire grandeur nature, où règnent des conditions bien plus extrêmes que ce qu’il est possible d’obtenir sur Terre. L’analyse de la courbe de lumière de la kilonova a notamment mis en évidence la production d’éléments lourds, tels que l’or, le platine ou le néodyme, via le processus r :  la masse de ces éléments synthétisés est mille fois plus importante que celle de la Terre. Une première contrainte sur la vitesse des ondes gravitationnelles et la violation de l'invariance de Lorentz a ainsi été déterminée. De tels événements fournissent également une nouvelle estimation indépendante de la constante de Hubble.