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Renversée par la foule

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BILLET | Les festivals qui battent leur plein ces jours-ci et jusqu’à la fin de l’été attirent des foules qui peuvent être turbulentes, à l’issue de deux années beaucoup plus tranquilles à cause de la pandémie. À l’approche du festival Osheaga, ça me rappelle que, parfois, ça n’en prend pas beaucoup pour que les gens s’emballent et que la foule bascule. 

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En février 2020, lors d’un spectacle de Rüfüs Du Sol, à l'Igloofest, je me suis retrouvée sous la foule en quelques secondes.  

Joël Lemay / Agence QMI 

Dans l’effervescence du moment, je m’étais éloignée de mon groupe d’amis pour aller rejoindre un autre ami qui, lui, se trouvait tout près de la scène. Ce n’est pas dans mes habitudes, mais je me donnais des airs invincibles avec mon look de festivalière, composé d’un manteau et d’un pantalon de neige.  

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Mais à quelques mètres de la scène, la foule s’est renversée. Des corps se sont empilés sur le mien. Ça s’est passé si vite que je n’ai pas eu le temps de réagir: j’ai subi.

Je me rappelle qu’après l’impact, j’ai la tête lourde. On me tend la main. Je me relève. J’aide celle qui est sous moi. Mon pantalon de neige est déchiré, souillé. On s’en fout. Je suis en vie. Je n’ai pas reçu de coups violents, je n’ai pas été coincée sous les parois d’une clôture en métal, mais surtout, je n’ai pas manqué d’air au point d’en mourir.  

Ça prend de trois à quatre minutes pour que tout bascule, m’explique Pascal Viot, chercheur et fondateur de l’Institut suisse de sécurité urbaine et événementielle. 

Apprendre des erreurs du passé 

Il n’y a rien de nouveau dans les mouvements de foule. On peut remonter au tournant des années 2000, au festival de Roskilde, au Danemark, où il y a eu neuf morts lors d’un spectacle du groupe Pearl Jam.  

Cette roche porte l'inscription «How fragile we are» en mémoire des neufs personnes qui sont décédées lors du concert de Pearl Jam au festival de Roskilde en 2000.

AFP 

Cette roche porte l'inscription «How fragile we are» en mémoire des neufs personnes qui sont décédées lors du concert de Pearl Jam au festival de Roskilde en 2000.

«Après ce qui est arrivé en 2000, une réflexion globale sur la gestion des festivals a été nécessaire», précise Pascal Viot. 

Toutefois, près de 20 ans après cette tragédie, des centaines de personnes ont été blessées et dix décès sont survenus au festival Astroworld lorsque l’arrivée du chanteur Drake, au beau milieu du concert de Travis Scott, a fait craquer la foule.  

«Avec ce qui est arrivé au concert de Travis Scott, on pourrait se dire qu’on n’a pas appris [des erreurs du passé]. Il faut toutefois comprendre que les témoins de 2000 ne sont pas le public cible aujourd’hui. Le risque d’oubli est plus élevé», précise le chercheur.  

Des fleurs et objets ont été déposés à cet endroit en hommage aux festivaliers qui sont décédés lors du concert de Travis Scott au festival Astroworld.

AFP 

Des fleurs et objets ont été déposés à cet endroit en hommage aux festivaliers qui sont décédés lors du concert de Travis Scott au festival Astroworld.

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Il serait facile de croire que ces scènes, à mille lieues des nôtres, n’arrivent qu’aux autres. Pourtant, un mouvement de foule a été provoqué au festival Metro Metro, au stade olympique de Montréal, durant le week-end du 20 mai dernier.  

Des vidéos, circulant notamment sur TikTok, montraient un mouvement de foule qui a fait basculer une clôture de sécurité et des dizaines de jeunes au sol. Cette bousculade est survenue à l’entrée du site du festival alors que certains tentaient d’y avoir accès sans billet.  

Durant les trois jours du festival Metro Metro, les organisateurs estiment que près de 600 personnes ont franchi le site sans billet, en sautant une clôture sécurisée ou en la faisant carrément basculer. 

Trembler 

Le chercheur Pascal Viot compare la foule à un liquide qui se solidifie. «Si elle atteint un seuil au-delà de huit ou neuf personnes par mètre carré, [la foule] devient solide», explique-t-il. C’est ce phénomène qu’on appelle le tremblement de foule. 

Lorsqu’elle atteint ce seuil critique, la foule tremble. Cette densité est observable notamment au moyen de caméras de sécurité. Du haut des airs, il est aussi possible d’observer des mouvements circulaires, qui témoigneront d’un niveau de densité trop élevé par rapport à l’espace disponible.  

Les spécialistes en organisation d’événements vous diront qu’ils préfèrent que ces instants de haute densité soient brefs, soit de quelques secondes tout au plus, sans quoi il suffit de trois ou quatre minutes pour avoir des victimes sur la conscience.  

«La plupart du temps, il s’agit d’une mauvaise anticipation de l’espace de la part des organisateurs du festival. Lorsque la décompression d’une foule est impossible, les gens n’ont plus assez d’espace pour respirer.» 

Bousculer 

La bousculade, elle, résulte plutôt du manque d’anticipation de la réaction du public et non du manque d’anticipation de l’espace disponible. 

Nous avons montré à l’expert Pascal Viot les images de la débandade qui a eu lieu au festival Metro Metro. 

Pour lui, le constat est sans équivoque: il s’agit d’une bousculade de foule provoquée par une mauvaise anticipation de la réaction de la foule et la gestion du périmètre. 

«C’est très clair sur les images: on voit des gens qui tentent d'entrer sur le site sans billet, le contrôle lâche, la barrière s’ouvre, les gens se précipitent, se bousculent et tombent. Ici, ça pose un problème de gestion de la réaction du public dans un périmètre donné», constate l’expert.  

Le constat est le même du côté de l’organisateur du festival. 

«C’est la deuxième année que nous travaillons sur ce site-là. C’est un site qui est plaisant à travailler, mais en même temps qui est très compliqué, car il y a beaucoup d’entrées», soutient Olivier Primeau, promoteur du festival Metro Metro.  

«La planification de la sécurité a été très bien faite. A-t-elle été maximisée? Pouvions-nous prévoir où les mouvements de foule allaient avoir lieu? Non, car on ne connaissait pas le site», avoue-t-il.  

Qui plus est, les mouvements de foules qui surviennent à l’entrée et à la sortie des festivals revêtent un caractère ambigu et dangereux.  

Est-ce la responsabilité de la police municipale ou celle des agents de sécurité embauchés pour l’événement? «C’est vrai que c’est une grosse zone grise», reconnaît Olivier Primeau.  

Il estime que, lors d'une prochaine édition, la gestion des entrées et des sorties sera son cheval de bataille. Elle sera d’ailleurs à l’ordre du jour lors d'une analyse rétrospective qui réunira tous les intervenants autour d'une table. 

Mosh pits, bousculade volontaire? 

D’autres images montrent des groupes qui, volontairement, provoquent des mouvements de foule de type mosh pit. «Je remarque que la mode est à ça, comme ça l’a été dans les années 1970 et 1980», réplique Olivier Primeau.  

Cette tendance relayée aux oubliettes semble avoir conquis un nombre important de jeunes festivaliers depuis la reprise des spectacles et des festivals de musique. En sept ans de métier, c’est la première fois qu’il a affaire à des mosh pits.  

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