Consécration de l’autel de l’église de La Neuville ( Corbie)

Frères et sœurs,

Malgré le froid hivernal dans cette église magnifiquement rénovée de La Neuville, dont nous bénissons ce jour le mobilier liturgique créé récemment, vous avez voulu faire assemblée, comme le font les chrétiens le Jour du Seigneur depuis les origines. Ce qui nous unit ce matin n’est pas la pratique d’un sport ni l’appartenance à une organisation professionnelle, politique ou même culturelle. C’est la foi chrétienne vécue en Église, une foi nourrie par le désir du retour du Seigneur. Il est déjà venu, certes, dans la nuit de Bethléem, une fois pour toutes, et il est pour toujours l’Emmanuel « Dieu-avec-nous », jusqu’à la fin des temps. Mais en célébrant à nouveau, sous peu, sa Nativité, nous allons nous rendre à nouveau contemporain de cet événement. Dans la nuit et le froid du monde, un signe est donné, une étoile dans la nuit, une présence dans l’épreuve : Jésus, que nous recevons en chaque eucharistie en nos mains, que nous cherchons à suivre, à aimer, à prier et dont nous attendons le retour, ce jour où Dieu nous jugera sur le poids d’amour que nous aurons mis dans nos vies.

Cette relation à Jésus est intime pour chacun de nous. Elle est aussi communautaire car nous formons ensemble le Corps du Christ qui est l’Église. Voilà pourquoi nous ne sommes pas d’abord tournés les uns vers les autres, mais vers le chœur de cette église, pour vivre la liturgie de la messe. Tout dans le chœur d’une église, les objets : leur beauté, leur propreté, la justesse de leur aménagement ; les personnes aussi : leur manière de parler, de chanter, de se tenir, leurs gestes et le contenu de leur propos, tout doit nous aider à percevoir que Dieu est réellement présent au cœur de notre assemblée, et que son grand désir est de nous rassembler tous en un seul corps.

Au cœur de ce chœur, il y a l’autel. Il représente le Christ, le rocher sur lequel nous pouvons bâtir nos vies. Des matériaux solides et nobles le constituent : ils expriment que pour les chrétiens, tout repose sur un unique fondement, le Christ Jésus, mort et ressuscité. L’autel est certes la table autour de laquelle nous nous rassemblons comme des convives. Il est surtout, comme en bien des religions, et notamment la religion biblique, l’autel du sacrifice, comme nous l’entendrons dans un instant lors de la magnifique prière de consécration. Et pourtant Dieu, dit la Bible, n’a pas besoin de sacrifices d’animaux et moins encore humains.

C’est Jésus lui-même qui, par amour, s’est sacrifié. Il est lui-même, dit l’Écriture, l’autel, le prêtre et la victime : l’autel car il est le roc sur lequel se fonde notre foi ; le prêtre car c’est lui qui est notre unique pasteur qui nous guide vers Dieu et nous présente au Père ; la victime car c’est lui-même qui s’offre. Rien n’achète Dieu : ni des cierges, de l’argent ou des animaux. Le prix payé, c’est celui du rédempteur, Jésus, qui nous « rachète à grand prix ». C’est pourquoi pour les chrétiens, l’autel est un signe fort car il renvoie au Christ, notre rocher. Ce signe doit être beau, dépouillé, propre, sobrement fleuri, solide et inamovible.

Allons plus loin : Nous n’allons au Christ, pour l’accueillir en son eucharistie que parce que nous avons préalablement écouté sa Parole. A vrai dire, Jésus est lui-même la Parole, le Verbe fait chair, comme nous le chanterons à Noël. La Bible, que nous lisons dans toutes nos liturgies, est un Livre sacré. Mais nous n’adorons pas un Livre. Nous ne pratiquons pas une religion du Livre, mais de la personne, la Personne de Dieu, et la personne sacrée de nos frères et sœurs. Le Livre nous permet de connaître « l’Évangile de Dieu » (Saint Paul. 2° lect), de croire en Lui et de l’aimer. Et L’Évangile de Dieu, c’est le Christ lui-même, homme et Dieu à la fois. Voilà pourquoi nous avons béni cet ambon : lui aussi est un bel objet sur lequel on ne doit lire normalement que la Parole biblique, source qui révèle Dieu et nous apprend à vivre à sa suite. Cette Parole, nous l’écoutons pour la recevoir en nous, essayer de la comprendre et de la vivre : elle peut être lue par des laïcs hommes et femmes, des diacres ou des prêtres, pour l’Évangile en particulier… Elle doit donc être bien lue, lentement, distinctement. Le lecteur ou la lectrice ne se met pas en scène, car il a conscience qu’à travers sa lecture, c’est Dieu qui parle à chaque personne présente dans l’assemblée.

Ainsi, nous voulons que partout où nous célébrons, l’autel et l’ambon soient beaux, respectés, bien disposés et entretenus, qu’aucun bric-à-brac ne les encombre, et qu’ils restent à une place fixe, au cœur de l’espace liturgique. Il en va de même pour le siège de présidence. La messe, en effet, est présidée par un prêtre, appelé par Dieu et son Église à présider l’assemblée, non pas d’abord en raison de ses qualités personnelles ou de ses talents (personne n’est digne d’être prêtre), mais par vocation et par grâce, pour signifier que c’est Jésus lui-même, Dieu fait homme, qui continue d’appeler à lui son épouse ; Cette épouse du Christ, c’est l’Église, qu’il veut belle et resplendissante. Le prêtre est l’ami de l’Époux qu’est Jésus, et au cœur de l’assemblée, il représente le Christ. Il n’est pas le Christ mais le rend humainement présent. Sa présidence de l’assemblée signifie que le Christ est l’unique pasteur, l’unique Berger, l’unique Prêtre.

Voilà pourquoi, habituellement, c’est le curé (ou un des coopérateurs), pasteur de la paroisse, qui préside l’assemblée chrétienne. Voilà pourquoi il faut aussi que le siège de présidence soit beau et digne, non pas pour faire du prêtre une star, mais parce que la présidence se fait au nom du Christ. Comme pour les autres lecteurs, le prêtre ne se met pas en scène dans la liturgie. Il sait qu’il est un des signes humbles du Christ présent au milieu de ses frères : ses prises de parole sont faites au nom et dans la personne du Christ, notamment lors de la consécration du pain et du vin. Il a la charge de commenter et d’actualiser la Parole pour aider les chrétiens à grandir dans la charité et la foi. Ses annonces sont faites pour que la paroisse devienne vraiment ce qu’elle célèbre.

Cette Église est reliée aux autres. Le prêtre n’est pas à son compte. Il est coopérateur de l’évêque dont le siège, la cathèdre, se trouve à la cathédrale, à Amiens pour notre diocèse. Ainsi, tout un réseau d’églises est relié à la cathédrale, le siège de l’évêque, lui-même successeur des apôtres envoyés par le Christ, avec leurs coopérateurs prêtres, pour que tous les baptisés vivent de la foi et des sacrements et deviennent témoins de l’Évangile en tous points du diocèse. De la sorte, à la suite du Christ, tous les baptisés peuvent faire de leur vie une offrande spirituelle et devenir prêtres, prophètes et rois à la suite de Jésus.

En quelques mots, frères et sœurs, j’ai voulu exprimer combien le mobilier liturgique est là pour nous aider à mieux vivre notre foi, et par le fait à mieux en témoigner. Demandons à Dieu de faire en sorte que nos assemblées soient à la hauteur de ce qu’elles célèbrent et qu’il soit donné à cette paroisse de vivre un renouveau vocationnel, missionnaire et eucharistique. A quoi, en effet, servirait un beau mobilier liturgique si les pierres vivantes que sont les chrétiens ne se rassemblent autour ? Demandons qu’un vent d’espérance souffle sur cette paroisse, et que la fête de Noël nous donne de mieux accueillir l’Emmanuel, Dieu-avec-nous, jusqu’à la fin des temps. Amen.

+ Mgr Gérard Le Stang
Evêque d’Amiens