Michael Wollny, les bons génies

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“Toutes les chansons sont des fantômes vivants et aspirent à une voix vivante" Brendan Kennelly

" En tant qu'improvisateur, vous constatez souvent que ce ne sont pas les compositions elles-mêmes que vous jouez, mais vos propres mémoires d'elles. Et comme ces souvenirs vous reviennent dans l'instant, ils affirment la continuité de leur existence ici et maintenant", explique le pianiste et compositeur Michael Wollny. En d'autres termes, les chansons sont comme des fantômes. Typiquement pour Michael Wollny, ils vont des classiques comme Erlkönig de Franz Schubert aux standards de jazz, en passant par la musique de film, les chansons d'une certaine fragilité de Nick Cave, ou celles du groupe Timber Timbre, et bien sûr également ses propres compositions originales à l'atmosphère plus sombre.

Outre le penchant de Michael Wollny pour le fantastique, l'idée d’une "hantologie" est importante pour lui. Ce terme, qui s'impose depuis quelque temps dans les débats sur la musique pop, réveille les souvenirs d'un passé lointain : des sons oubliés, fantomatiques et spectraux. Michael Wollny : "Cette perspective, ces sons et surtout le terme lui-même m'ont préoccupé ces derniers mois - et ces réflexions ont abouti à l'idée de produire un album en trio traitant de ce sujet." Un album de fantômes, donc, qui s'aventure dans les profondeurs de la mémoire consciente et inconsciente, qui passe au crible les histoires issues du passé et qui jettent des ombres sur le présent. C'est l'histoire des gentils fantômes qui nous entourent... mais aussi de certains mauvais esprits que l'on croyait ne jamais revoir.

La composition du trio de “Ghosts” s'inscrit dans le prolongement de "Weltentraum", un album qui fait désormais figure de pierre angulaire dans la discographie de Michael Wollny, puisqu'il a établi sa réputation d'artiste "capable de transformer tous les morceaux de musique imaginables en une expérience à couper le souffle" (Die Zeit). Le son et la vibration très particuliers du bassiste américain Tim Lefebvre se retrouvent sur les albums de David Bowie, Wayne Krantz et Elvis Costello. La dernière aventure de Michael Wollny à ses côtés a été le projet "XXXX". Michael Wollny déclare : "Lorsque vous travaillez avec Tim, vous ne travaillez pas seulement avec l'un des meilleurs bassistes du monde - Tim a toujours un pied dans l’univers du traitement du son, et il élargit constamment sa boîte à outils électroniques. En plus de cela, il crée une clarté phénoménale dans la musique et dans le son global, ce qui a un effet incroyable : il donne une forme et une organisation à la musique sans jamais vous restreindre."

Michael Wollny joue avec le batteur Eric Schaefer depuis près de 20 ans. Comme Tim Lefebvre, il est aussi réellement original, un musicien qui a une approche presque orchestrale du son, un sens inimitable du groove et une individualité impressionnante. "Nous sommes tous les trois imbriqués d'une manière très spéciale et inexplicable. C'est difficile à décrire mais l'effet est saisissant", dit Michael Wollny. "Enfin et surtout, nous sommes liés par les longues années que nous avons passées ensemble. En tant que trio, nous avons un son spécifique, et nous le développons maintenant dans une toute nouvelle direction." Sur "Ghosts", le trio a créé un son dans la tradition spécifique du "Southern Gothic" : profond, terreux, plein de cordes et de peaux de tambour vibrantes et cliquetantes accordées à basse fréquence, évoquant des souvenirs d'amplis de guitare claqués, de cônes de haut-parleurs déformés. L'atmosphère ici est d'une chaleur oppressante, l'air est lourd de poussière.

Avant que "Ghosts" ne soit enregistré, un autre trio - Michael Wollny et les deux coproducteurs Andreas Brandis et Guy Sternberg - s’est réuni. Andreas Brandis, qui s'était déjà fortement impliqué dans le concept de "XXXX", a proposé un album de chansons, avec les bonnes personnes impliquées. Guy Sternberg - en tant qu'ingénieur du son - et Michael Wollny avaient créé le monde sonore de “Wunderkammer”, qui devait servir de point de départ à ce nouvel album. Michael Wollny déclare : "Avant même que la setlist de l'album ne soit fixée, j'avais un son très clair en tête, dont nous avons longuement discuté avec Guy et Andreas au préalable." Le trio habite un espace acoustique où rien n'est superflu ou ne se perd : la longue résonance d'une cymbale, d'un tambour ou d'une corde pincée, ou le son d'une surface réverbérante, tous sont en quelque sorte là dans l'air. Et parfois, tout ce qui reste est un écho acoustique ou électronique, un son qui plane et acquiert sa propre existence mystérieuse et spectrale.

Tous les titres de l'album ont une chose en commun : chacun est un instantané de la vie d'une chanson. Michael Wollny : "Surtout dans le jazz, il n'y a jamais une version définitive d'un morceau. Le répertoire des standards vous hante toujours dans le meilleur sens du terme, ces chansons ne sont jamais terminées, elles refont toujours surface." Ainsi, lorsqu'il s'agit de classiques tels que I Loves You Porgy et In a Sentimental Mood, le principal point de référence de Michael Wollny, Tim Lefebvre et Eric Schaefer n'est pas la composition originale, mais les versions de Nina Simone ou de John Coltrane avec Duke Ellington.

Depuis une époque antérieure même aux standards de jazz, il y a les esprits qui habitent les chansons populaires et qui réapparaissent chaque fois que ces chansons sont chantées. Comme, par exemple, dans la chanson traditionnelle irlandaise She Moved Through the Fair, qui est presque un prototype de l'idée que les histoires de fantômes sont aussi, dans une large mesure, des histoires d'amour. Comme c'est également le cas pour Willow's Song, une chanson d'amour aussi séduisante que dangereuse tirée de la bande originale du film à suspense "Wicker Man", un classique du genre de l'horreur nordique, aussi étrange qu'effrayant. Également lié au "grand guignol" et à la nature : un arrangement d'une vivacité saisissante de l'Erlkönig de Franz Schubert. En outre, en référence au sulfureux Southern Gothic : Hand of God de Nick Cave & Warren Ellis, dédié de manière audible au grand mentor de Michael Wollny, qu'il décrit comme la "main de Dieu", Joachim Kühn.

On trouve encore, Beat the Drum Slowly du groupe Timber Timbre, l'un des favoris de Michael Wollny, et Ghosts de David Sylvian - peut-être la représentation la plus claire des thèmes qui caractérisent "Ghosts" : ici, nous découvrons que les mélodies et les sons peuvent hanter des souvenirs qui restent cachés ou refoulés, et ce d'une manière à la fois séduisante, touchante, mystérieuse et profonde. Deux compositions originales de Michael Wollny trouvent naturellement leur place dans ce programme savamment sélectionné, aussi hétéroclite que cohérent : d'abord la contribution éponyme de Michael Wollny à Hauntology, pour lui "une "chanson sans paroles" qui vient d'un autre monde pop parallèle, passé ou étrange", puis Monsters Never Breathe avec sa mélodie qui s'étend à l'infini et ne pourrait jamais être chantée que s'il était possible de chanter sans avoir besoin de s'arrêter pour respirer. 
(extrait du communiqué de presse en anglais - traduction E. Lacaze / A. Dutilh)