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Grand Angle

Les discours primordialistes, un obstacle à la construction du Maghreb

Les discours primordialistes, utilisés d’abord comme «instrument contre le colonialisme», peuvent «freiner la cristallisation d’une identité maghrébine», selon deux chercheurs du Policy Center for the New South (PCNS), qui plaident pour la promotion d’une «identité maghrébine».

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Photo d'illustration. / DR
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Bien qu’elle soit considérée comme une coquille vide, 32 ans après sa fondation, plusieurs facteurs peuvent expliquer le blocage de l’Union du Maghreb Arabe (UMA). Des facteurs qui vont de l’architecture institutionnelle de l’organisation au modèle d’intégration régional voulu par ses pères fondateurs, en passant par la nature des relations maroco-algériennes.

Dans un Research Paper du Policy Center for the New South (PCNS), Abdessalam Jaldi et Abdelmounaim Fanidi se sont intéressés à ce qui freine ou favorise l’intégration maghrébine, en se focalisant sur «les discours primordialistes», qui «considèrent les nations comme naturelles et anciennes». Ils rappellent que pendant la colonisation, les discours primordialistes sur la nation ont été utilisés afin de légitimer les indépendances, alors qu’après la décolonisation du Maghreb, et depuis la conférence de Tanger (qui jeta les bases de ce qu’on appelait déjà le Maghreb uni en 1958), les discours primordialistes avaient comme objectif d’accompagner les constructions nationales des Etats maghrébins nouvellement indépendants».

Aujourd’hui, les deux chercheurs font état de la «prolifération de discours primordialistes dans les médias et les réseaux sociaux dans le cadre d’une réémergence du nationalisme au Maghreb».

«Les discours primordialistes ont occupé une place importante dans les discours politiques au cours de l’histoire moderne et contemporaine du Maghreb. Ils ont alors influencé les imaginaires des citoyens maghrébins autour de leur conception de l’identité nationale.»

Extrait de l’article

«De fortes altérités inter-maghrébines»

Pour Abdessalam Jaldi et Abdelmounaim Fanidi, ces discours primordialistes peuvent «freiner la cristallisation d’une identité maghrébine». «Le discours primordialiste pose une question de légitimité de l’identité maghrébine. En affirmant que telle nation maghrébine est naturelle, éternelle et ancienne, le discours primordialiste légitime la priorité, voire la supériorité de l’identité nationale sur les autres types d’identification, qu’il estime être construites et inauthentiques», expliquent-ils.

De plus, «une prédominance de la conception primordialiste de l’identité nationale dans l’imaginaire de la population va remettre en cause la légitimité d’une identité maghrébine, qui n’a pas lieu d’exister puisque l’identité nationale est censée être le lien d’attachement le plus ancien et primordial des individus. Ensuite, les discours primordialistes peuvent créer de fortes altérités inter-maghrébines», poursuit l’article.

Cependant, l’altérité n’est pas en soi un danger à la construction maghrébine mais c’est plutôt «le développement de l’altérité en adversité qui peut freiner le projet maghrébin», détaille la même source, en affirmant qu’«une forte altérité inter-maghrébine cultivée par les discours primordialistes au Maghreb, freine l’intégration régionale et risque même de transformer cette altérité en adversité entre les Etats du Maghreb».

Les deux chercheurs affirment, plus loin, que ces discours primordialistes sont «mobilisés par des mouvements nationalistes qui sont contre le projet maghrébin». Le papier évoque le cas du «Mouvement Moorish au Maroc» qui revendique comme objectif de «faire revivre le passé glorieux et ancestral du Maroc impérial et défendre la singularité du royaume face aux menaces venant de toutes parts».

«La prolifération de discours primordialistes au Maghreb inspire et encourage la formation de ce type de mouvements nationalistes qui s’opposent à la construction maghrébine.»

Extrait de l’article

Enseigner l’histoire du Maghreb et promouvoir une identité maghrébine

Les deux auteurs appellent ainsi à la promotion d’une identité maghrébine commune, qui ne doit pas s’opposer à l’identité nationale, en proposant des recommandations pour promouvoir l’identité maghrébine et, par conséquent, la construction du Maghreb. Ainsi, Abdessalam Jaldi et Abdelmounaim Fanidi suggèrent d’«éclaircir la conception de l’identité nationale», avec notamment «un discours scientifique sur l’identité nationale» et une «remise en cause du primordialisme» qui peut se réaliser à travers un travail de vulgarisation dans les médias par les spécialistes ou, encore, dans les programmes scolaires. «Il faut souligner que la nation est une construction sociale qui s’inspire de traditions, mythes, valeurs, et symboles ancestraux, mais qu’elle n’est ni naturelle ni identifiable par des caractéristiques fixes et immuables. La définition de la nation en tant que volonté de vivre ensemble doit être mise en avant», indiquent-ils.

Les deux chercheurs proposent aussi d’«enseigner l’histoire du Maghreb» et promouvoir une identité maghrébine en s’inspirant de l’histoire commune qui lie les nations du Maghreb et une sphère publique maghrébine. Ce dernier point «permettra de participer, échanger, dialoguer et débattre les besoins de la communauté maghrébine.

Enfin, l’article suggère de promouvoir des événements maghrébins, rappelant que «les identités collectives sont basées sur le partage d’expériences». «Dans le cas européen, des événements comme le concours Eurovision ou les compétitions de l’Union des associations européennes de football (UEFA) ont grandement contribué à développer des liens d’identification entre la population européenne. Dans la même perspective, la promotion de compétitions sportives, de festival et d’événements culturels inter-maghrébins contribuera à créer des expériences partagées et des pratiques communes entre la population maghrébine», concluent les deux chercheurs.

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