Le président du Ghana Nana Afuko Addo, Emmanuel Macron, le président du Sénégal Macky Sall et le président du Conseil européen Charles Michel (de D à G) à Paris le 17 février 2022

Le président du Ghana Nana Afuko Addo, Emmanuel Macron, le président du Sénégal Macky Sall et le président du Conseil européen Charles Michel (de D à G) à Paris le 17 février 2022

afp.com/Ian LANGSDON

Plus question de s'exprimer seul. A l'Elysée, ce jeudi matin, il y avait quatre pupitres. Aux côtés d'Emmanuel Macron, les chefs d'Etat du Sénégal, du Ghana, et le président du Conseil européen Charles Michel, réunis pour évoquer l'avenir de la lutte contre le terrorisme au Sahel. Le message de Paris ? Toute décision française est concertée avec ses partenaires. A commencer par la plus attendue : le retrait de l'opération antiterroriste Barkhane du Mali. Emmanuel Macron a officialisé la rupture après des mois de tensions avec la junte au pouvoir à Bamako en raison, notamment, du contrat passé par les militaires, selon Paris, avec la société de mercenaires russes Wagner. Le départ "sera effectué de manière ordonnée, avec les forces armées maliennes et la mission des Nations Unies au Mali" a précisé le président. Il impliquera la fermeture des bases militaires de Gossi, Ménaka et Gao (nord-est), dans un délai de quatre à six mois, selon le président.

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S'ouvre dès lors une période à hauts risques pour la France et ses alliés européens impliqués dans la task force Takuba, une coalition d'environ 800 forces spéciales européennes sous le commandement de Barkhane. Organiser cette sortie sans exposer davantage les forces aux attaques djihadistes sera le défi majeur, sur lequel planche l'armée française depuis des mois. Il faudra aussi faire avec la défiance des populations locales. Fin novembre, un convoi d'une soixantaine de véhicules de l'opération, en route pour le Mali, avait été pris pour cible à plusieurs reprises (Burkina Faso et Niger) par des manifestants hostiles à la présence française.

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Après neuf ans d'engagement, cinquante-trois soldats tombés sous les couleurs du drapeau français, et une violence djihadiste en constante progression au Sahel, Emmanuel Macron refuse toutefois de parler d'échec. "Nous avons évité le pire" au Mali, à savoir "l'effondrement total" du pays, juge-t-il, en référence à l'intervention de 2013, destinée à stopper la descente des terroristes du Nord au Sud. Aujourd'hui, la France et ses partenaires ne partagent pas la "stratégie" et "les objectifs cachés" de la junte de Bamako, a déclaré le président français, tout en précisant que l'aide au développement serait maintenue dans ce pays, sous réserve qu'elle ne serve pas les intérêts de Wagner ou des terroristes.

Le Niger, pivot de l'après-Barkhane

Le retrait de Barkhane au Mali ne signe cependant pas la fin des opérations au Sahel. D'ici à juin 2022, le dispositif sera réorganisé dans la région. L'objectif : passer d'un schéma d'opération extérieure à un partenariat opérationnel beaucoup plus "imbriqué" avec les armées locales. Bref, en finir avec l'installation de grandes bases. Celle du Tchad et la base aérienne du Niger seront néanmoins conservées.

Le Niger, qui accueille déjà 800 soldats français, sera la pièce maîtresse de l'après-Barkhane. Après d'intenses discussions avec Niamey, les autorités du pays, d'abord hostiles à la venue de militaires européens, ont accepté le redéploiement de certains soldats participant à Takuba aux côtés des forces armées nigériennes dans la région frontalière du Mali.

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Reste à savoir combien et dans quelles circonstances. Le nouveau dispositif devrait également impliquer davantage les pays du littoral ouest-africain voisins de la bande sahélienne (Côte d'Ivoire, Ghana, Togo, Bénin, Sénégal), gagnés par la menace terroriste. Dernier épisode en date, la triple attaque qui a tué neuf personnes dans le parc nature du W, au nord du Bénin, entre les 8 et 10 février.

"La lutte contre le terrorisme au Sahel ne saurait être la seule affaire des pays africains" a déclaré le président sénégalais Macky Sall, actuellement à la tête de l'Union africaine. "Nous sommes heureux que l'engagement ait été renouvelé de rester dans la région et de réarticuler le dispositif". Pas sûr que les opinions publiques de ces pays partagent cet avis. Pour le Niger, le risque politique n'est pas négligeable. D'autant que c'est dans ce pays que trois manifestants sont morts fin novembre en essayant d'empêcher le passage du convoi militaire français dans la commune de Téra. Ce grave incident avait, à l'époque, provoqué des tensions entre Paris et Niamey.

A l'avenir, l'Elysée mise sur un dispositif beaucoup moins visible, qui s'appuiera sur des frappes aériennes et par drones armés. Les effectifs seront également réduits à terme, pour passer de 4600 hommes aujourd'hui à 3000 maximum. Mais certains experts alertent d'ores et déjà sur le risque de commettre les mêmes erreurs que par le passé, en l'occurrence privilégier l'approche militaire, en dépit des engagements déjà pris, depuis le sommet de Pau en 2020, et répétés ce 17 février par le président Macron. "Il faut absolument changer de priorité, et passer la gouvernance et le politique au premier plan, avant le militaire... plutôt que l'inverse" insiste un connaisseur de la région.

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