Peut-on enrayer le déclin de l'art lyrique ?

Une représentation à l'Opéra national du Rhin à Strasbourg ©Maxppp
Une représentation à l'Opéra national du Rhin à Strasbourg ©Maxppp
Une représentation à l'Opéra national du Rhin à Strasbourg ©Maxppp
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Crise covid, inflation, baisse des financements publics, l’opéra fait face à des difficultés, causant déprogrammations et fermetures occasionnelles. Qui peut enrayer leur déclin, et comment ?

Avec
  • Loïc Lachenal Directeur de l'Opéra de Rouen
  • Nathalie Perrin-Gilbert Adjointe au maire de Lyon, déléguée à la culture
  • Jean-Philippe Thiellay Président du Centre national de la musique

Voilà plusieurs mois que des scènes de spectacle vivant et plus particulièrement celle d’opéra alertent les pouvoirs publics de la situation financière que l’augmentation des prix de l’énergie fait peser sur l’avenir de leurs institutions. Le ministère de la culture doit leur répondre dans le courant de ce mois après avoir augmenté les aides par exemple pour l’opéra de Rouen qui avait annulé cinq spectacles pour la saison.

Mais ce phénomène n’est pas que français puisqu’une scène internationale aussi prestigieuse que le Metropolitan Opera de New York a supprimé cinq spectacles dans sa programmation de la saison prochaine. Cette crise, antérieure à la Covid, s’est accentuée avec la pandémie même si les opéras français vendent un million de billets par an.

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Malheureusement, de l’aveu de nombre de spécialistes, l’opéra est un modèle imparfait car chaque représentation coûte bien plus cher que les recettes d’une salle pleine.

Pour en débattre, Emmanuel Laurentin reçoit Loïc Lachenal, directeur de l’Opéra de Rouen, vice-président du syndicat professionnel Les Forces musicales ; Nathalie Perrin-Gilbert, adjointe à la culture à la Mairie de Lyon , élue de la Métropole de Lyon ; Jean-Philippe Thiellay, président du Centre national de la musique et ancien directeur général adjoint de l’Opéra de Paris.

Pas d’opéra en déclin, mais des difficultés

« Si la crise existe, il faut aussi considérer que l’affaire fonctionne de mieux en mieux depuis ces dernières années » indique Loïc Lachenal, « jamais les plateaux n’ont été aussi ouverts, n’ont accueilli autant de diversité et de spectacles ». Pour lui, la question est plutôt celle de savoir « quelle est la place de ce service public ? ». Jean-Philippe Thiellay poursuit : « lorsque les propositions sont de qualité, le public est là ». La crise est plutôt due à « la remise en cause des fondamentaux » alors que les pouvoirs publics deviennent plus frileux et que les difficultés financières s’aggravent à cause de l’inflation et de la hausse des coûts de l’énergie. Nathalie Perrin-Gilbert s’inquiète des conséquences de cette crise : « ces institutions culturelles représentent un vrai poumon économique ».

Les collectivités locales et l’Etat, un désengagement ?

Nathalie Perrin-Gilbert accuse l’Etat d’être responsable de ces difficultés : « la décentralisation s’est résumée à un désengagement, et les collectivités portent l’essentiel de la charge que représentent les grands équipements déployés par l’Etat dans les années 1960 ». Depuis 1966 et les politiques qui ont suivi la création du service musique au sein du Ministère de la culture, et l’amplification budgétaire sous Jack Lang, elle regrette qu’il n’y ait plus eu de politique culturelle structurée : « la ministre doit accepter de se mettre autour de la table avec les collectivités ». « Historiquement, les collectivités territoriales ont toujours joué le rôle principal dans le financement » nuance Jean-Philippe Thiellay, « l’Opéra était la première industrie culturelle en Italie au XIXe, des théâtres fonctionnaient dans toutes les petites villes du pays ». Pour Loïc Lachenal, « la politique nationale de l’Etat pour l’art lyrique arrive très tardivement » : il observe plutôt un « non-engagement de l’Etat ».

Ouvrir les théâtres

« Le monde du spectacle vit désormais dans un environnement concurrentiel » précise Jean-Philippe Thiellay. Il identifie trois chantiers pour répondre aux défis qu’il impose : « accepter d’aller chercher le public », « restaurer l’exemplarité » du milieu et traiter « la question esthétique : si on ne donne que des productions ringardes ou perchées, on perd le public ». Il évoque deux principes conducteurs : toucher les « déserts culturels », qui doit être une ambition permanente selon lui : « dans les grandes régions ou auprès des jeunes : il faut mettre le public en présence de la voix ». Enfin, empêcher que l’art lyrique ne devienne « un art muséal et patrimonial ». La création seule permettra de « tendre le miroir de la société dans laquelle on vit » s’accorde Loïc Lachenal, « et quand on parle de conquête du public, ça peut marcher chez tout le monde : l’opéra est un genre extrêmement vulgaire ». Nathalie Perrin-Gilbert est optimiste : « les producteurs font un travail remarquable, de médiation culturelle également. Il y a un avenir à une condition : restons sur une politique publique de culture ».

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