Othmane Benmoussa

Enseignant-chercheur en Systems Thinking et directeur de l’Euromed Polytechnic School -Université Euromed de Fès

Entreprises et changement climatique : une relation structurelle pour une réduction franche des émissions de carbone

Le 26 juillet 2022 à 17h22

Modifié 27 juillet 2022 à 11h00

A-t-on encore le temps de stopper le changement climatique ? Quelle serait notre marge de manœuvre ? Si la question semble scientifiquement, politiquement et émotionnellement lourde de sens, c’est parce qu’elle peut être effrayante et déprimante pour les entités qui ne savent pas comment embrasser durablement le processus de décarbonation de l’économie dans son ensemble. Ceci ne signifie pas, bien sûr, que la réponse réelle est incertaine ; la science étant assez claire à ce propos.

Le groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Intergovernmental Panel on Climate Change - IPCC) a publié un rapport en août 2021 dont la réponse à la question donne à réfléchir : "Nous n’avons pas le temps. Nous n’avons plus le temps."

L’interprétation de cette déclaration doit être appréhendée de manière grave. Elle indique que nous sommes à un moment charnière de l’avenir des générations futures, dans le sens que cela ne s’entend pas comme s’il n’y avait plus rien à faire ou que notre avenir était entièrement hors de nos mains. Les entreprises et les décideurs peuvent encore et doivent entreprendre des actions systémiques pour positionner notre économie et notre monde sur une voie véritablement plus soutenable.

Vers un réchauffement additionnel plus marquant

Nous devons certes accepter une réalité difficile. A cause des gaz à effet de serre déjà émis dans l’atmosphère, le réchauffement se poursuivra pendant des décennies.

L’utilisation d’En-ROADS, simulateur climatique mondial développé par Climate Interactive, la MIT Sloan Sustainability Initiative et Ventana Systems, permet de mettre en exergue l’impact d’environ 30 mesures politiques telles que l’électrification des transports, la tarification du carbone et l’amélioration des pratiques agricoles sur des centaines de facteurs, comme le prix de l’énergie, la température, la qualité de l’air, l’élévation du niveau de la mer…

En-ROADS, outil systémique inspiré de la théorie des "system dynamics" telle que mise en œuvre par Jay Forrester et John Sterman, aide à mettre la lumière sur les effets à long terme des politiques et actions climatiques mondiales pour tenter de mettre en œuvre des solutions climatiques équitables et à fort effet de levier.

Dans ce cadre, en observant le statu quo, la température à l’horizon 2100 enregistrera une augmentation de 3,6°C entraînant, entre autres, une augmentation nette des émissions de CO2, une élévation du niveau des mers, une acidification des océans, une fonte des neiges arctiques, une baisse de la productivité agricole et une perte de la biodiversité (figure 1).

Figure 1 : Réchauffement climatique et impacts du statu quo

Par ailleurs, même si nous réduisons considérablement (voire immédiatement, ce qui est technologiquement et économiquement non viable) les émissions de carbone, nous sommes déjà sur la voie d’une augmentation irrémédiable de la température, a minima de 1,5°C, induisant la fonte des glaciers et du pergélisol et la réduction progressive de l’oxygène des océans, dont les niveaux continueront à monter (figure 2). Néanmoins, comme indiqué au niveau de la figure 2 en ce qui concerne par exemple le pH des océans ou la pollution atmosphérique, des améliorations sont à noter par rapport au scénario dit du statu quo, et la dégradation des fondamentaux y est moins accélérée, dénotant une plus ou moins maîtrise de la situation dans le cas de la productivité agricole, de la biodiversité ou encore de la fonte des neiges arctiques.

Figure 2 : Réchauffement climatique et réduction drastique des émissions de carbone

De ce fait, nos actions actuelles pourraient faire la différence entre des impacts mitigés et des conséquences désastreuses tout en sachant que la "normale" vécue cet été, avec ses records d’inondations, d’incendies de forêt et de vagues de chaleur, va s’aggraver.

Notre choix se compose dorénavant en deux macro-variantes : désirons-nous que l’immanquable aggravation soit modérée ou voulons-nous qu’elle soit ardue ?

Trois leviers à disposition

La plupart des gaz à effet de serre proviennent de la production d’électricité, du transport et de l’exploitation industrielle et agricole, soit trois "leviers" que nous pouvons actionner pour réduire notamment les émissions de carbone.

- En ce qui concerne l’électricité, le coût des énergies renouvelables a chuté beaucoup plus rapidement que prévu. Avec certaines énergies telles que l’éolien et le solaire centralisé, nous commençons à atteindre le seuil où il est désormais moins cher de construire de nouvelles installations que de faire fonctionner les infrastructures existantes faisant usage des combustibles fossiles. Il n’en demeure pas moins que l’on doive continuer à investir dans des solutions de stockage d’énergie qui soient moins coûteuses, plus efficaces, et mettre à jour nos réseaux énergétiques tout en trouvant des moyens de contourner certains lobbies bien établis qui ralentissent la transition vers les énergies renouvelables.

- Le transport représente, quant à lui, un défi technologique plus épineux. Bien qu’il y ait eu un certain élan dans la transition vers des véhicules de tourisme plus écologiques, d’autres vecteurs de transport comme le camionnage de marchandises, la navigation maritime et le transport aérien ne sont pas aussi faciles à électrifier. Ces modes de transport nécessitent des sources d’énergie incroyablement denses et portatives. Il faudra donc continuer à développer de nouvelles technologies comme « l’hydrogène vert », c’est-à-dire l’hydrogène produit par électrolyse à partir d’énergies renouvelables, tout en mettant en évidence un facteur limitant qu’est la ressource hydrique, qui se fait de plus en plus rare au niveau de plusieurs pays, régions, sous-continents et continents.

- Le dernier levier pouvant être actionné porte sur l’industrie et l’agriculture. Les industries qui produisent le plus de gaz à effet de serre sont celles qui consomment beaucoup d’énergie et de chaleur, soit principalement celles qui utilisent le fer, l’acier et le ciment. Pour l’agriculture, la production d’engrais, de méthane (provenant du bétail) et la déforestation sont des préoccupations majeures en matière d’émissions.

In fine, devant l’insuffisance générale des incitations institutionnelles, la réduction des gaz à effet de serre augmente les coûts sans forcément créer un avantage tangible. Il est donc difficile pour les entreprises évoluant dans les secteurs les plus concurrentiels d’épouser durablement ce cercle vertueux.

Carottes ou bâtons

Pour surmonter ces défis technologiques, politiques et économiques, il faudra s’écarter radicalement du statu quo.

Malheureusement, nos actions personnelles en tant qu’individus - recyclage, utilisation des transports en commun, etc. - ne feront probablement pas assez bouger l’aiguille pour un réchauffement climatique limité et maîtrisé.

La majeure partie des décisions concernant les émissions de carbone sont prises au sein des entreprises, de sorte que ces dernières ont un rôle essentiel à jouer pour nous faire progresser vers un avenir quasi-neutre en carbone.

D’une part, les objectifs de développement durable (ODD) doivent être intégrés à travers toutes les composantes et fonctions des organisations, plutôt que cloisonnés dans un seul département ou au sein d’une seule équipe. Cela garantira le fait que chaque décision importante sera prise en tenant compte des préoccupations environnementales ; la durabilité étant l’affaire de tout un chacun.

D’autre part, les investisseurs institutionnels peuvent faire pression sur les entreprises pour qu’elles améliorent leur empreinte carbone. Quant aux grandes entreprises, elles sont à même de faire pression, à leur tour, sur leurs fournisseurs, bien que ce type d’actions ne suffira probablement pas non plus.

En effet, si les entreprises ne réagissent au changement climatique que dans la mesure où cela menace leurs propres profits, elles n’en feront donc pas assez. C’est ce qui justement prévaut depuis 30 ou 40 ans.

Cela signifie que les entreprises doivent véritablement prendre conscience du fait que nous serons tous mieux lotis si nous pouvons limiter la hausse de la température, et ce, en plaidant notamment en faveur d’un prix mondial du carbone qui instaurerait la vérité des coûts à répercuter sur les utilisateurs finaux. Elles doivent également défendre, voire cofinancer la mise en place de politiques pérennes soutenant la recherche et le développement de technologies critiques, comme le stockage sur batterie et l’hydrogène vert pour les contrées disposant de ressources hydriques suffisantes. En outre, comme il sera difficile de sevrer rapidement notre consommation des matériaux à forte intensité de carbone, tels que l’acier et le ciment, nous devrons également investir dans des technologies d’élimination du CO2.

C’est ainsi, via un mix d’incentives, d’instruments de régulation et de mesures coercitives, que les entreprises sujettes à des incitations financières directes et indirectes feront non seulement ce qui est bon pour leur propre intérêt, mais aussi ce qui est nécessaire et vital pour protéger l’avenir des générations futures.

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